Les tests psychométriques pour recruter les « candidats les plus moraux » : vraie solution ou discrimination déguisée ?

Cela a tout de l’idée de bon sens : pour réduire les fraudes, il faut embaucher des personnes vertueuses. D’où le développement de tests. Et si le remède posait d’épineux problèmes ?

Mai 5, 2025 - 12:37
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Les tests psychométriques pour recruter les « candidats les plus moraux » : vraie solution ou discrimination déguisée ?

Cela a tout de l’idée de bon sens : pour réduire les fraudes, il faut embaucher des personnes vertueuses. D’où le développement de tests censés mesurer le degré d’honnêteté des candidats pour un poste. Un processus qui pourrait être illusoire, les tests s’avérant discriminatoires et se trompant sur la cause réelle des fraudes.


Une batterie de tests préalables devrait-elle s’imposer avant un recrutement ? Certaines entreprises semblent le croire. Face à la multiplication des scandales, ces firmes pensent avoir le remède : des tests psychométriques pour détecter les « candidats les plus moraux », avant même qu’ils ne franchissent la porte de l’organisation. Une étude récente met en évidence l’essor des tests psychométriques, présentés comme des outils fiables pour évaluer compétences et traits de personnalité. Pourtant, l’analyse scientifique nuance cette confiance : leur efficacité dépend fortement de leur conception et de leur mise en application, et ils restent incapables, à eux seuls, d’assurer une prise de décision réellement éthique. Sous couvert de rigueur scientifique, ces outils prétendent filtrer les profils “à risque” et renforcer ainsi l’intégrité organisationnelle. Cette logique, c’est celle du tout prédictif.

Une fausse promesse

En prétendant prédire l’éthique à travers des traits fixes, cette approche ignore une dimension centrale des décisions éthiques : les biais inconscients. Comme la montre une méta-analyse récente, ceux-ci déterminent nos comportements quand nous ne sommes même pas conscients de leur existence. Les biais implicites, ces automatismes cognitifs, influencent les jugements moraux à hauteur de 20-30 %, même chez les professionnels formés à l’éthique, et ce, sans aucune conscience des sujets.

Les outils traditionnels sont donc inadaptés pour évaluer les capacités éthiques des candidats. Derrière l’obsession de la mesure de l’éthique, des questions fondamentales se posent : l’éthique peut-elle être réduite à un score ? L’intégrité peut-elle être évaluée sans reproduire de biais sociaux, culturels, genrés ? Plus grave encore : ces pratiques détournent l’attention des véritables causes des dérives. Bien souvent, derrière ces graves dysfonctionnements « moraux » se trouvent aussi des systèmes organisationnels toxiques encourageant les comportements déviants, quelles que soient les vertus individuelles des salariés individuellement. Loin d’être une solution miracle, cette quête de « l’éthique prédictive » pourrait bien masquer une discrimination systémique, sous couvert de science et d’évidences.


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Une vision simpliste

Pour détecter les candidats « intègres », « honnêtes », « transparents », les recruteurs s’appuient sur des modèles psychométriques comme les Big Five ou le modèle Hexaco, dont le facteur « honnêteté-humilité » se prétend prédictif des comportements éthiques. Selon ses promoteurs, un individu à un haut niveau d’honnêteté-humilité serait moins enclin aux comportements opportunistes, comme le mensonge ou la fraude.

Deux postulats, qui sont remis en question, permettent d’orienter cette logique. L’éthique serait une prédisposition acquise, stable et mesurable, alors que des recherches montrent que les comportements des individus dépendent largement du contexte dans lequel ils évoluent et interagissent.

En outre, l’intégrité individuelle serait un facteur suffisant afin de prévenir les dérives organisationnelles. Pourtant, les entreprises qui affichent des valeurs éthiques comme l’intégrité ou la transparence, peuvent aussi connaître des scandales, les principes étant sacrifiés sur l’autel de la performance.

L’importance du contexte

Selon une analyse des cas Wells Fargo et Volkswagen, ces organisations affichaient des chartes éthiques exemplaires, mais des incitations internes ont été mises en place qui favorisaient, in fine, la fraude et les comportements opportunistes. Ce décalage entre discours et pratiques révèle une vérité gênante : les valeurs individuelles ne peuvent compenser voire faire face à des défaillances systémiques.

Ainsi, on constate que les comportements éthiques sont largement façonnés par des facteurs contextuels, comme les pressions organisationnelles ou les dynamiques de groupe. Même un candidat doté d’un profil « éthiquement exemplaire » peut adopter des comportements déviants s’il évolue dans un environnement toxique. Peut-on réellement anticiper les comportements futurs d’un individu avec un simple score ? Cette prétendue neutralité scientifique ignore les nuances de l’éthique en entreprise, qui ne se résume ni à une somme de traits de personnalité ni à un résultat figé.


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Des tests biaisés

Les tests psychométriques, même s’ils sont scientifiquement valides, reposent sur des normes culturelles. L’honnêteté ou l’humilité comme on les mesure ne tiennent pas compte des différences culturelles de perception :

  • dans certaines cultures, la loyauté vis-à-vis du groupe prime sur la franchise envers les individus ;

  • l’expression des « comportements coopératifs » ou de la « modestie » varie selon les normes sociales et de genre. Pour autant, ces outils risquent de sanctionner des candidats compétents uniquement parce qu’ils ne correspondent pas à un idéal moral défini par des biais invisibles.

Une question de genre

Une étude très récente a montré que les femmes se classaient mieux sur des items comme la modestie ou la coopération, les hommes sur l’assertivité. En valorisant certains critères au détriment d’autres, les tests psychométriques renforceraient ainsi les inégalités structurelles sous couvert de critères « objectifs ». Par exemple, dans un contexte de recrutement pour des postes de direction, une forte assertivité est souvent perçue comme un atout, tandis que la coopération est davantage valorisée dans des rôles de soutien. Ce biais implicite peut ainsi conduire à une sous-représentation des femmes dans les fonctions de leadership, non pas en raison d’un manque de compétences, mais parce que les critères de sélection favorisent des traits historiquement associés aux hommes.

Les personnes issues de milieux socio-économiques défavorisés et n’ayant pas été baignées dans les normes comportementales appréciées par les tests y seront forcément moins performantes. Résultat : ce type de profil se retrouverait davantage exclu avant même d’avoir eu l’opportunité de faire ses preuves. En prétendant prédire l’éthique, ne risque-t-on pas d’exclure les gens qu’on prétend évaluer ?

Un détournement de débat

L’éthique est avant tout systémique. Les récentes dérives médiatisées (Wells Fargo, Volkswagen…) mettent en scène un paradoxe : la personne n’est pas toujours le principal responsable des dérives. Prenons l’exemple de Wells Fargo : des milliers d’employés y ont ouvert des comptes inexistants poussés par des objectifs commerciaux délirants. Le problème ne venait pas de la « toxicité » des individus, mais d’une culture managériale qui valorisait seulement la performance.

Chez Volkswagen, la fraude aux émissions polluantes n’a pas été commise par quelques « moutons noirs » mais par une direction qui a piloté la fraude pour contourner la réglementation. Là encore, ce n’est pas l’échec des employés, mais d’un système qui a délibérément sacrifié l’éthique au profit de la rentabilité. Si l’éthique ne peut se résumer à des traits de caractère, elle est façonnée par les environnements organisés, les leaders et les politiques internes. Croire qu’il suffira de filtrer les candidats « vertueux » relève au mieux de la naïveté.

France 24 2022.

Une vraie éthique se construit

Les tests psychométriques vendent une illusion : l’idée d’une éthique mesurable, prévisible et maîtrisable. Mais cette vision simpliste cache de nombreux dangers : biais cachés, exclusions injustifiées et détournement des vraies responsabilités. Plutôt que de chercher à détecter les candidats « parfaits », les entreprises devraient :

  • faire évoluer leur culture, pour valoriser la transparence, la responsabilité et la vertueuse exemplarité de leurs dirigeants ;

  • modifier leurs pratiques de management, pour que la pression de performance ne relègue pas la morale au second rang ;

  • former leurs employés aux dilemmes moraux, pour reconnaître que l’éthique se forge dans l’action et le contexte, pas dans un questionnaire.

L’éthique ne se décrète pas, elle se fait. Les entreprises ne doivent pas se tromper de cible : il ne s’agit pas de changer les candidats, mais les systèmes qui les accueillent.The Conversation

Billel Ferhani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.