Comment avoir une bonne note en dissertation de Français — du Bac à l’Agrégation
Le prof de Lettres qui sommeillait dans l’inconscient de notre chroniqueur s’est brutalement réveillé, en cette période d’examens et de concours. Mais n’est-il pas un peu trop exigeant — en cette ère d’ignorance satisfaite ? L’article Comment avoir une bonne note en dissertation de Français — du Bac à l’Agrégation est apparu en premier sur Causeur.

Le prof de Lettres qui sommeillait dans l’inconscient de notre chroniqueur s’est brutalement réveillé, en cette période d’examens et de concours. Mais n’est-il pas un peu trop exigeant — en cette ère d’ignorance satisfaite ?
Il y a peu, Le Figaro, sentant venir le Bac, s’est fendu d’un article dressant la liste (les journaux adorent les listes, meilleurs collèges, meilleurs lycées, meilleurs hôpitaux, meilleurs sextoys et autres données indispensables) des « 20 classiques de la littérature à avoir lu avant 18 ans selon les professeurs des meilleurs lycées » — et l’on voit qu’un classement renvoie à un autre classement, selon un processus sans fin. Rien que de très attendu dans cette mini-bibliothèque idéale — mais rien non plus qui permette d’avoir une très bonne note. L’illustre journal s’aligne au fond sur les données de l’Intelligence Artificielle, dont on sait ici ce que j’en pense, et qui certainement, si on lui posait la question, dresserait le même palmarès.
Parfait. C’est tout à fait suffisant pour avoir la moyenne, cet idéal des machines.
Mais si la moyenne suffit au Bac ou en Licence, elle est notoirement insuffisante dès que l’on passe à l’échelon au-dessus. La « moyenne » des candidats admissibles à l’ENS ? par exemple, n’est pas 10 — elle est légèrement au-dessus de 14. C’est-à-dire que si vous avez 10 ou 12, vous êtes recalé dès l’écrit. Et si vous avez tout juste 14, vos chances de réussir après l’oral sont faibles, étant entendu que vous n’avez aucun capital pour compenser un faux-pas, toujours possible.
L’élitisme républicain, dont je défends ardemment le principe, ne s’est jamais contenté d’une moyenne médiocre (cette formule est techniquement un isolexisme, mais si vous êtes feignant, vous pouvez la ranger, bien sûr, dans la grande famille des polyptotes…). Jean Jaurès fut lauréat du Concours général en latin — Jean Zay, lui, fut lauréat en Littérature française — avant de réussir 1er à l’Ecole Normale Supérieure, Léon Blum a suivi le même cursus, et écrivit un essai remarquable sur Stendhal et le beylisme — entre autres travaux littéraires. C’était cela, la gauche. Voilà qui nous éloigne assez de Sébastien Delogu et autres figures majeures de la Gauche d’aujourd’hui. Mais comme ne cessent de le proclamer les sociologues, le niveau monte…
La liste du Figaro est une base. Imaginez que visant une performance olympique, on fasse remarquer que vous avez appris à marcher. Ces vingt « classiques » sont certainement indispensables (et je n’imagine pas que de futurs enseignants de Lettres, par exemple, n’aient pas lu les classiques répertoriés par le journal). Mais en aucun cas ils vous permettront de passer à l’étape suivante : avoir une très bonne note qui vous qualifiera pour la marche du dessus.
Le Père Goriot ou La Peau de chagrin, sans doute. Mais Le Cousin Pons, du même Balzac, vous procurera des plaisirs tout aussi délicats, et c’est une référence moins attendue que le début des aventures de Rastignac et de Vautrin. Les Misérables, soit — mais Notre-Dame de Paris vous fournira des exemples autrement saisissants de romantisme troubadour, et cela vous évitera de croire qu’à la fin, Esmeralda se marie avec Phoebus pendant que Quasimodo fait des cabrioles de joie : il y a peu, des hypokhâgneux, qui a priori visaient l’ENS, m’ont affirmé que telle était la fin du roman — étant entendu qu’ils confondaient un chef d’œuvre de Hugo avec un dessin animé de Walt Disney. L’Etranger ne m’a jamais convaincu (où avez-vous vu que dans les années 1930 un Blanc abattant un Algérien armé et menaçant finirait sur l’échafaud ? On l’aurait décoré…), et lisez plutôt La Chute, roman éblouissant du vrai Camus, séducteur, ambigu, monstrueux.
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Et ainsi de suite. Lire les Liaisons, c’est certainement indispensable — après tout, c’est le plus grand roman jamais écrit en français, et sans doute le brûlot féministe le plus ardent jamais écrit — par un homme… Mais connaître le Discours sur l’Education des femmes de Laclos permet de relativiser les déclarations filandreuses et un peu niaises d’Olympe de Gouges, référence fréquente chez les enseignants formés par les IUFM / ESPE / INSPE et autres hauts lieux du pédagogisme et de l’ignorance considérée comme l’un des beaux-arts.
Un prof de Lettres compétent devrait utiliser cette liste (d’où est absent Manon Lescaut, chef d’œuvre de l’abbé Prévost) pour dresser le socle des connaissances indispensables — puis édifier posément le monument des œuvres moins visibles mais dont la référence impressionnera le jury. Il devrait la compléter avec quelques titres majeurs de littérature étrangère (quelle bien-pensance a limité au seul Primo Levi les références non françaises ?), mais surtout fouiller dans le second rayon pour fournir des exemples percutants. Les Liaisons pour évoquer le libertinage, soit ; mais quid du Sopha, de Crébillon, ou du Canapé couleur de feu de Fougeret de Monbron ?
Ce que je dis ici du roman doit s’entendre aussi en poésie ou au théâtre. Un bon élève connaît les classiques, un excellent élève connaît les marges. Au lieu de se contenter des titres-phares, il fait un pas de côté dans la bibliothèque, et se lance à la découverte des œuvres moins voyantes mais dont la connaissance témoigne d’une vraie culture.
Evidemment, seuls des maîtres bien formés peuvent aiguiller leurs classes dans le labyrinthe de la « bibliothèque de Babel », comme disait Borgès. On ne peut jamais tout lire, mais il est essentiel de varier ses lectures. Si les grands phares sont indispensables, les petits lumignons sont souvent jouissifs et plus révélateurs d’une vraie culture que les références de base que tout le monde utilisera, étant entendu que l’on vous demande certes de connaître les fondamentaux, mais aussi de vous démarquer subtilement en allant chercher des exemples moins évidents — tout en évitant de citer des œuvres que le correcteur ignore, ce qui ne manquerait pas de le vexer. Ce ne sont pas vingt grands textes qu’il faut maîtriser, mais cent ou deux cents — et alors l’avenir vous appartiendra.
Bien sûr, ce que je dis de la littérature est à adapter à la philosophie, à l’Histoire, et à toutes les disciplines qui requièrent un certain niveau de culture. Parce que c’est en frottant les bons esprits les uns contre les autres, et en vous colletant vous-même avec eux, que vous élaborerez un écrit susceptible d’accrocher les correcteurs les plus blasés, qui vous seront reconnaissants de trouver enfin une copie qui se distingue — et l’élitisme républicain, c’est la distinction fondée sur le mérite.
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