Le narcissisme vertueux et l’antisionisme

"Concernant Israël, certaines personnalités, auréolées d’une judéité talismanique, se permettent des jugements moraux sans rapport avec les réalités existentielles et militaires du terrain. Pire, elles font de cette arrogance morale le fondement d’une proposition politique qui contribue à construire l’opinion, et plus particulièrement à renforcer l’antisionisme de principe du camp islamo-gauchiste..." L’article Le narcissisme vertueux et l’antisionisme est apparu en premier sur Causeur.

Mai 13, 2025 - 20:28
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Le narcissisme vertueux et l’antisionisme

Concernant Israël, certaines personnalités, auréolées d’une judéité talismanique, se permettent des jugements moraux sans rapport avec les réalités existentielles et militaires du terrain. Pire, elles font de cette arrogance morale le fondement d’une proposition politique qui contribue à construire l’opinion, et plus particulièrement à renforcer l’antisionisme de principe du camp islamo-gauchiste. C’est ainsi que derrière une proclamation humaniste relevant de la niaiserie larmoyante, on lit des accusations qu’ont déjà reprises en cœur les adversaires d’Israël. Tel est le cas d’un texte pervers publié dans Tenoua, « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », où Delphine Horvilleur se livre à une exhibition de moralité qui est un pur exercice rhétorique.

Mise en scène de la vertu

La déclaration d’amour domine le début de son texte : « C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. » Cette captatio benevolentiae sert de paravent : on peut ensuite dire les pires choses, on se sera protégé par l’affichage d’une bonne intention dont la sincérité est pourtant démentie par le reste du texte. Elle prolonge ensuite cette phrase par une vigoureuse proclamation : « Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région. »

L’épanaphore (« par amour […] par la force […] par la douleur […] par la tragédie »…) sert à accentuer la gravité des propos tout en valorisant le courage de celle qui ose prendre la parole à la suite d’un dilemme moral (« Moi‐même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole »). La répétition du « je » qui traverse son texte est d’ailleurs manifeste : cette mise en scène de l’émotion personnelle est un argument affectif sans aucune valeur de démonstration factuelle. Elle pose ainsi une supposée « faillite morale » par allusion, sans en établir la réalité. De même, le mot « tragédie » relève du pathos et non de la description. Par le consensus moral qu’il invoque — puisque personne, évidemment, ne serait favorable à une tragédie — il cache la réalité politique : ayant déclenché une guerre d’agression, Gaza en subi les conséquences, comme pour toute attaque ratée.

S’il est bien vrai que toute la région est concernée, ce n’est pas par un « traumatisme » qu’elle endurerait mais du fait de l’agression à laquelle elle participe : les Houthis du Yémen, l’Iran, le Hezbollah au Liban. Mais peut-être faut-il en effet parler de « traumatisme » quand on ne parvient pas à tuer autant de Juifs que prévu. Cette victimisation des agresseurs est tout de même un retournement bien étonnant de la part d’un esprit se voulant aussi fin que Delphine Horvilleur dont la morale semble singulièrement en porte-à-faux avec le réel. Il faudrait sans doute épargner celui qui vient vous tuer et lui laisser la possibilité de recommencer.

Victimisation et réalité politique

Cette volonté de tendre la joue gauche ressemble plutôt à la martyrologie chrétienne qu’au sionisme. Dans le Talmud (Traité Sanhédrin, 72a et b), il est dit : « Si quelqu’un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ! » Mais il faut compléter cela par le devoir d’altruisme qui l’inspire : « Ne reste pas immobile sur le sang de ton frère en le regardant mourir, alors que tu peux le sauver », commente Rashi pour expliciter « ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Vayikra 19,16) : c’est précisément sauver son prochain que d’empêcher une agression. Plutôt qu’une incantation « pacifiste » comme celle de Delphine Horvilleur, l’interprétation des situations spécifiques qui occupe les talmudistes fonde une réflexion éthique autant que politique de la matérialité des situations, loin de toute abstraction. La survie et la protection de son peuple face à l’ennemi venu l’annihiler est bel et bien un cas exigeant la violence.

On ne saurait en trouver d’illustration plus évidente que l’agression qui s’abat sur Israël depuis toujours, et notamment en 1948, 1967, 1973 et depuis toutes les attaques provenant de Gaza (2008, 2012, 2014, et, bien sûr, le 7 octobre 2023…). Israël ne déclenche pas de guerre. Et Israël ne peut pas perdre de guerre. Et jusqu’à présent, Israël n’était pas autorisé non plus par ses « alliés » américains et européens à gagner de guerre. Delphine Horvilleur ne veut pas qu’Israël gagne une guerre de manière définitive — veut-elle que ses ennemis puissent se ressaisir ? Après tout, telle était la doctrine habituelle : gérer les agressions et, sous la pression des États-Unis et de l’Europe, ne pas éliminer complètement les agresseurs.

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Après avoir changé ses chiffres, le Hamas a finalement dû reconnaitre que 72% des pertes étaient des hommes en âge de combattre et non des femmes et des enfants. Voilà qui ressemble davantage au ratio de victimes civiles le plus faible de l’histoire de la guerre et non à une « faillite morale ». On est plus proche de l’exemplarité que de la honte. Alors même qu’Israël prévient les civils de ses attaques, cible ses frappes et exfiltre les Gazaouis qui le désirent, Delphine Horvilleur choisit d’adopter le narratif victimaire propagé par le Hamas.

L’accumulation de reproches de son texte donne une impression d’évidence incontestable mais cette conglobation repose sur l’abstraction et non sur la factualité : cet empilement d’évitements et de demi-vérités allusives joue un rôle argumentatif insidieux mais dénué de valeur de vérité. L’accusation d’Israël est, en soi, un renversement de culpabilité : si Gaza veut que la guerre s’arrête, il suffit de rendre les otages et de déposer les armes. L’acharnement est bien celui du Hamas. Et en étrillant Israël sans évoquer ces crimes du Hamas, Delphine Horvilleur réalise un retournement moral d’une gravité capitale. Que son texte soit repris sur les réseaux par de nombreux antisionistes et de militants islamo-gauchistes est bien la marque d’un positionnement qui satisfait les ennemis d’Israël.

En formulant l’injonction que « cet État doit […] tendre la main » à tous les pays voisins et à leurs peuples », elle fait comme si cela n’était pas le cas depuis même avant 1947 (Accords Fayçal-Weizmann, 1919). Comme si Camp David (1978 et 2000), Oslo (1993), Taba (2001), le plan Olmert (2008) n’avaient pas existé. Toutes les propositions faites aux Arabes de Palestine se sont soldées par un rejet (même en leur offrant jusqu’à 94% de la Judée-Samarie…). Bill Clinton lui-même a rappelé le refus d’Arafat d’avoir un État, comme tous les dirigeants palestiniens depuis, car ils réclament non pas un État pour eux-mêmes mais la destruction d’Israël. C’est un point de doctrine qu’a toujours soutenu l’OLP lui-même (le plan en 10 points de 1974 n’envisageait la solution à deux États que comme une étape avant la conquête totale). Soit Delphine Horvilleur est ignorante de cette réalité politique, soit elle fait comme si elle n’existait pas, pour sauvegarder sa belle âme si télégénique.

Pathos et abstraction

Outre la complaisance qui caractérise son style, plus proche des ouvrages de développement personnel que de l’analyse talmudique, le fait de s’exhausser par un lexique abstrait qui donne l’impression de la hauteur philosophique (« amour », « conscience », « âme »…) et de l’émotion (« douleur », « cœur ») permet d’éviter les réalités, politiques, diplomatiques, stratégiques et, tout simplement, guerrières. Concrètement, comment « sauver son âme » face à un milicien gazaoui armée d’une kalachnikov ? Dans cette situation, c’est rendre Israël moralement responsable des turpitudes qu’il subit. Peut-être n’a-t-elle pas vu les vidéos où les mères palestiniennes hurlent de joie quand meurent leurs enfants élevés dans le culte du martyre jihadiste, ni celles où les braves Gazaouis prennent la pose devant des décombres et refont plusieurs prises pour être sûrs que l’émotion passe bien. Elle n’a dû voir que le montage final, à destination de l’Occident et des esprits fragiles.

Penser « au peuple palestinien » semble une obligation déclarative, mais peut-être s’agit-il d’un véritable objectif politique. Auquel cas, il faut rappeler le soutien des civils au Hamas qu’ils ont élu, leur participation au 7-Octobre, leur joie, leur rôle dans la détention des otages. Ces civils qui endossent tantôt une tenue militaire, tantôt un gilet marqué « presse » ou une blouse blanche de médecin pour aller stocker des armes dans des hôpitaux. Leur révolte apparente contre le Hamas n’intervient que dans la défaite, alors que la population, pour sa plus grande majorité, a célébré le 7-Octobre.

Depuis Stéphane Hessel et le pathos de son évocation anti-israélienne[1], « les enfants de Gaza » est devenu un topos antisémite dont les racines sont celles de l’accusation de meurtre rituel. La répétition lancinante du mot « enfant » dans le texte de Delphine Horvilleur est un procédé pathétique qui nie la réalité sociale et politique de Gaza. Peut-être pourrait-elle accuser le Hamas, pointer le conditionnement mortifère qu’il inflige à sa population, plutôt que de se tourner vers Israël ? Ou s’étonner de ces mères qui ne cessent de proclamer leur désir de voir leurs enfants devenir des shaheed, des martyres capables de tuer des Juifs. Mosab Hassan Youssef, fils d’un fondateur du Hamas, ne cesse de décrire ce culte de la mort, cette haine du Juif, théologique autant que culturelle, qui a été inculquée à tous les enfants de Gaza qui apprennent dès leur plus jeune âge à égorger des Juifs et à manipuler des armes. Même l’Union européenne, qui fermait les yeux avec tellement d’intensité sur l’utilisation des financements qu’elle octroyait à l’UNRWA, vient de voter pour un gel des financements des écoles de l’UNRWA pour mettre fin à l’éducation à la haine qui a cours à Gaza[2]

Mais Delphine Horvilleur préfère accuser Israël au nom de l’amour qu’elle lui porte : « [mon amour de ce pays] est un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger et il est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser. » Habilement, elle reprend l’accusation de génocide sans prononcer le mot, accusation indirecte, informulée et donc d’autant plus perfide. La formulation nominale (« l’annihilation ») et l’article indéfini (« un » peuple) permettent aussi une abstraction commode qui évite de poser des faits.

Le nouveau recours à l’épanaphore conclut sa harangue :

« Cet amour d’Israël consiste aujourd’hui à l’appeler à un sursaut de conscience…Il consiste à soutenir ceux qui savent que la Démocratie est la seule fidélité au projet sioniste.

Soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire.

Soutenir ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza.

Soutenir ceux qui savent que seul le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation.

Soutenir ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien.

Soutenir ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants. »

Cette litanie anaphorique est une figure d’emphase qui verse dans la grandiloquence. L’épanaphore est une figure tellement visible qu’elle crée un effet hypnotique faisant passer au second plan les contenus propositionnels, ici douteux, qui suivent au bénéfice de la force de conviction qu’elle permet d’afficher. Elle indique, par son ampleur même, la gravité des propos que l’on désire assumer. C’est une figure de tribun, de procureur, d’accusateur public. Mais son réquisitoire exalte simultanément « ceux qui savent », au rang desquels elle se compte, bien entendu. Or, cette emphase n’est pas juste un ornement stylistique. Ici, les procédures d’amplification sont de l’ordre de l’intimidation morale. En systématisant cette hyperbole, ce texte rend impossible la contradiction argumentative : quiconque oserait contredire cette figure d’innocence dont la vertu est si emphatiquement proclamée serait forcément une personne ignoble… Un tel miroir narcissique — « pensez comme moi si vous êtes une bonne personne » — relève d’une démagogie de l’enrôlement.

Le grand retournement

Elle utilise le même pathos manipulateur que naguère Stéphane Hessel (« les enfants »), reprend le vocabulaire antisioniste (« suprémaciste et raciste »), le lexique pacifiste (elle dit « fin des combats » et non « victoire ») et creux (« avenir », « sauver son âme »), voire fallacieux (« affamer des innocents ») dans un propos qui vise à désarmer Israël et à confisquer la démocratie au profit de son camp politique présenté comme incarnant la vertu. C’est une rhétorique ampoulée, pleine de morgue jusque dans sa prétention à l’humilité.

En reprenant les poncifs antisionistes les plus caricaturaux et les plus radicaux, elle semble avoir choisi le créneau discursif du « Juif anti-israélien par amour d’Israël ». Car elle saurait, elle, ce qu’est le vrai Israël. Cela rappelle malheureusement un topos anti-judaïque, celui du supersessionisme comme doctrine du christianisme se pensant comme Verus Israel et condamnant le judaïsme comme une erreur destinale. Les Juifs qui ne pensent pas comme elle seraient alors des imposteurs, des malfaisants, des mauvais Juifs.

Par facilité, on parle souvent de « haine de soi », mais c’est bien l’inverse qui anime certaines personnes, désireuses au contraire de se valoriser au détriment des autres, en exhibant leur vertu, leur supériorité morale et en faisant l’argument de leur gloire. Depuis les descriptions qu’en a fait Vladimir Jankélévitch dans L’aventure, l’ennui, le sérieux, on connait bien ces professionnels de la vertu, mais il reste à comprendre les ressorts des petits boutiquiers du judaïsme officiel, ces élites carriéristes qui se complaisent dans le mépris et décident que la démocratie doit leur ressembler, en toute exclusivité, y compris s’il faut pour cela vendre le renom de leurs frères et apporter des arguments à ses ennemis. Cet orgueil démesuré, hybris narcissique de la vertu se voulant loi, finit alors par trouver sa place dans une typologie des traitres.


[1] « Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre.[…] c’est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. Nous avons été impressionnés par leur ingénieuse manière de faire face à toutes les pénuries qui leur sont imposées. Nous les avons vus confectionner des briques faute de ciment pour reconstruire les milliers de maisons détruites par les chars. » (Indignez-vous !, p.17)

[2] « Les contribuables européens ne veulent pas que leur argent soutienne une éducation qui célèbre le terrorisme et prône la haine d’Israël » a conclu le parlement européen en votant massivement sa résolution le 7 mai 2025.

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