Ces souris laineuses sont très mignonnes, mais elles ne ramèneront pas les mammouths à la vie

Plutôt que de s’intéresser à la désextinction, il serait plus utile de travailler à conserver les espèces qui peuplent encore notre planète.

Mar 19, 2025 - 12:33
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Ces souris laineuses sont très mignonnes, mais elles ne ramèneront pas les mammouths à la vie
Les souris laineuses recréées en laboratoire. Colossal Biosciences

La société états-unienne Colossal Biosciences a annoncé la création d’une « souris laineuse » — une souris de laboratoire ayant subi une série de modifications génétiques qui lui ont donné un pelage laineux. L’entreprise affirme qu’il s’agit de la première étape vers la « désextinction » du mammouth laineux. Vraiment ?


La modification génétique réussie d’une souris de laboratoire témoigne des progrès réalisés par la science dans la compréhension de la fonction des gènes, de la biologie du développement et de l’édition du génome. Mais une souris laineuse nous apprend-elle vraiment quelque chose sur le mammouth laineux ?

Quelles modifications génétiques ont été réalisées ?

Les mammouths laineux faisaient partie de la famille des éléphants et ont disparu de Sibérie continentale à la fin de la dernière période glaciaire, il y a environ 10 000 ans. La dernière population survivante, sur l’île Wrangel dans l’océan Arctique, s’est éteinte il y a environ 4 000 ans.


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La souris domestique (Mus musculus) est une créature beaucoup plus familière, que la plupart considèrent comme un nuisible. C’est aussi l’un des organismes les plus étudiés en biologie et en recherche médicale. Nous en savons plus sur cette souris de laboratoire que sur n’importe quel autre mammifère en dehors de l’humain.

Colossal Biosciences détaille sa nouvelle recherche dans un article dit « preprint », c’est-à-dire un article publié mais qui n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Selon l’article, les chercheurs ont modifié l’expression de sept gènes différents chez des souris de laboratoire par le biais de la technique d’édition génétique.

Photos de souris avec différentes longueurs et couleurs de poils
En manipulant différents gènes, les chercheurs ont obtenu des souris dotées de différents types de fourrure. Colossal Biosciences

Six de ces gènes ont été ciblés parce qu’un grand nombre de recherches chez la souris avaient déjà démontré leur rôle dans les caractéristiques liées aux poils, telles que la couleur, la texture et l’épaisseur du pelage.

Les modifications apportées à un septième gène — FABP2 — étaient fondées sur des données provenant du génome du mammouth laineux. Ce gène est impliqué dans le transport des graisses dans l’organisme.

Les mammouths laineux possédaient une version légèrement plus courte de ce gène, ce qui, selon les chercheurs, pourrait avoir contribué à leur adaptation à la vie dans les climats froids. Toutefois, les « souris laineuses », dotées de la « version mammouth » du gène FABP2, ne présentaient pas de différences significatives en termes de masse corporelle par rapport aux souris de laboratoire ordinaires.

Quel impact sur la désextinction des espèces ?

Ces travaux montrent qu’il est possible d’éditer de manière ciblée des gènes dont la fonction est connue chez la souris. Après d’autres essais, cette technologie pourrait avoir sa place dans les efforts de conservation des espèces. Mais elle est loin d’être prometteuse pour la désextinction.

Colossal Biosciences affirme être en mesure de produire un éléphant génétiquement modifié « semblable à un mammouth » d’ici 2028, mais ce qui rend un mammouth unique ne se limite pas à la peau.

La lutte contre l’extinction devrait aller au-delà de la modification d’une espèce existante pour qu’elle présente des traits superficiels d’une espèce disparue. De nombreux aspects de la biologie d’une espèce disparue restent inconnus. Un manteau laineux est une chose. Recréer l’ensemble des adaptations, y compris les caractéristiques génétiques, épigénétiques et comportementales qui ont permis aux mammouths de prospérer dans les environnements de l’ère glaciaire, en est une autre.

Dessins préhistoriques d’un bouquetin et d’un mammouth
Dessins préhistoriques d’un bouquetin (à gauche) et d’un mammouth (à droite) découverts dans la grotte de Rouffignac, en France. Cave Painter/Wikimedia

Contrairement au thylacine (ou tigre de Tasmanie) — une autre espèce que Colossal souhaite ressusciter — le mammouth a un proche parent vivant, l’éléphant moderne d’Asie. Les liens plus étroits entre les génomes de ces deux espèces pourraient rendre la désextinction du mammouth techniquement plus réalisable que celle du thylacine.

Mais qu’une souris laineuse nous rapproche ou non de cette perspective, cette publication nous oblige à nous poser d’importantes questions éthiques.

Même si nous pouvions ramener le mammouth laineux, devrions-nous le faire ? La motivation de cet effort est-elle la conservation ou le divertissement ? Est-il éthique de ramener une espèce dans un environnement qui ne lui permet plus de survivre ?

Concentrons-nous sur la préservation

Rien qu’en Australie, au moins 100 espèces ont disparu depuis la colonisation européenne en 1788, en grande partie à cause de l’introduction de prédateurs sauvages et du défrichement.

L’idée d’inverser le processus d’extinction est naturellement séduisante. On aimerait croire que l’on peut défaire le passé.

Selon le site web de Colossal :

« L’extinction est un problème colossal auquel le monde est confronté. Et Colossal est l’entreprise qui va le résoudre. »

Il est difficile de contester la première partie de cette affirmation. Mais se concentrer sur la « résurrection » d’espèces disparues détourne l’attention d’une réalité plus urgente : des espèces disparaissent en ce moment même, et nous n’en faisons pas assez pour les sauver.

Nous devrions d’abord nous concentrer sur les promesses de sauver les espèces survivantes plutôt que sur celles de ramener les espèces mortes.

En investissant davantage dans la surveillance des espèces menacées, dans de nouvelles méthodes de lutte contre les parasites et dans la gestion génétique de la conservation, nous pouvons inverser la tendance à l’extinction et assurer l’avenir des espèces qui subsistent.

Il existe une longue liste d’espèces menacées. Avec le financement adéquat et l’attention portée à la conservation, nous pouvons faire quelque chose pour les sauver avant qu’il ne soit trop tard.The Conversation

Emily Roycroft est financée par le Conseil australien de la recherche, le programme L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science et l'Académie australienne des sciences.