Regards croisés 2/4 “Comment le numérique outille l’andragogie”

Michel Diaz est éditorialiste sur le site E-Learning Letter, site de veille sur les actualités et les stratégies e-learning en entreprises Isabelle Dremeau est responsable éditoriale chargée de veille pour l’Atelier du Formateur …

Mar 24, 2025 - 09:03
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Regards croisés 2/4  “Comment le numérique outille l’andragogie”
  • Michel Diaz est éditorialiste sur le site E-Learning Letter, site de veille sur les actualités et les stratégies e-learning en entreprises
  • Isabelle Dremeau est responsable éditoriale chargée de veille pour l’Atelier du Formateur

Le thème de ce second volet est une réflexion sur le rôle du numérique dans l’apprentissage des adultes : Comment les outils numériques peuvent-ils être utilisés pour favoriser l’engagement des apprenants adultes ? Quelles sont les limites actuelles et comment les surmonter pour favoriser l’expérience apprenant ?

Quels sont les obstacles à la mise en place de l’andragogie dans le monde de l’entreprise ?

Michel Diaz : Je vois deux obstacles principaux au plein effet de l’andragogie, pourtant si potentiellement puissante, dans le monde de l’entreprise. D’abord, une pratique culturelle, largement ancrée dans nos systèmes d’éducation, qui donne la priorité au sachant (l’enseignant, le formateur) sur l’apprenant (l’élève, le stagiaire). Si cette distribution des rôles a beaucoup évolué (formation orientée apprenant), on reste loin de l’apprenant “co-stratège” de sa formation (consulté avant, pendant et après, sur les contenus, l’architecture, les modalités d’évaluation, etc.). Autre obstacle : la difficile continuité et mise en cohérence entre les données en amont de la formation (besoins et attentes du salarié-apprenant, styles d’apprentissage, disponibilité, existence ou non des ressources de formation), les données recueillies pendant la formation, utiles pour des régulations éventuelles, les données post formation à chaud, ou à froid plusieurs semaines post formation.

L’avènement du numérique a-t-il changé la donne ?

Michel Diaz : Oui, parce que les technologies numériques permettent d’assurer le continuum et la cohérence que je viens de mentionner, grâce au recueil continu des données et aux corrélations mises en évidence. Déjà, les plateformes LMS (Learning Management Systems) permettaient de corréler, par exemple, la durée d’un module e-learning et son taux de complétude pour une population d’apprenants, pour s’assurer in fine que le contenu de formation répond bien aux attentes des apprenants. Les plateformes de formation permettent de plus en plus souvent aux apprenants de déclarer leurs attentes et leurs savoirs initiaux ; des recommandations de formation peuvent alors être délivrées… Les principes de l’andragogie ne demandent qu’à être appliqués ! D’autant plus que le lien entre, d’une part, le travail ou le souhait du salarié de développer son aisance, sinon sa mobilité et, d’autre part, les contenus de formation micro ou macro (parcours) est aujourd’hui assuré dans les écosystèmes numériques de formation qui intègre LMS, LXP (Learning eXperience Platform) ainsi que la gestion des talents (recrutement, onboarding, gestion de la performance, de la mobilité…).

L’andragogie, c’est pour maintenant !

Michel Diaz : Je veux modérer mon enthousiasme, parce que l’outillage numérique reste toutefois d’une grande complexité à mettre en place. Penser, structurer, développer, maintenir un écosystème numérique de formation permettant de donner corps aux principes de l’andragogie, cela suppose beaucoup de maturité des diverses parties prenantes. À commencer par les départements formation souvent encore formatés par la distribution traditionnelle des rôles que j’évoquais plus haut. Maturité nécessaire, également, des métiers de l’entreprise et de la relation entre les équipes formation et les équipes métier, car les données à analyser sont, pour partie, chez les formateurs et, pour une partie nettement plus large, dans les métiers. Si les deux communiquent mal ou peu, le travail et la formation ne pourront se rendre les services mutuels que promet l’andragogie. Enfin, parlons de la maturité des fournisseurs de technologie : ont-ils l’épaisseur, la compréhension suffisante de ce qu’est la formation des adultes, ses enjeux, ses problématiques pour être de véritables partenaires ?

Dans le premier volet de cette série, vous avez insisté sur le rôle central de l’engagement apprenant dans l’andragogie… Quelle serait la valeur ajoutée des technologies numériques pour l’apprenant  ?

Isabelle Dremeau : Se poser cette question, c’est de nouveau mettre l’apprenant au cœur de la formation et observer comment certaines pratiques numériques vont progressivement l’amener à s’impliquer activement dans la formation proposée. En complément de ce que Michel vient d’aborder, notamment sur les plateformes de formation et leurs fonctionnalités de personnalisation, en complément aussi de l’aide numérique dont disposent les formateurs dans la conception de leurs supports et dans les modalités de réalisation de leurs formations, qu’en est-il de l‘expérience de l’apprenant ? Celle qui se manifeste tout particulièrement lors de l’utilisation de certains outils numériques renforçant l’estime de soi et la confiance en ses capacités ?

Se pose alors la question du choix des outils pour accéder à l’expérience apprenant… 

Isabelle Dremeau : Il faut cibler pour cela des outils en particulier, ceux qui permettent par leur facilité d’accès d’être utiles à la construction des savoirs, à l’expérience apprenant. Car utiliser les outils numériques en formation côté apprenant, ce ne doit pas être seulement répondre à des quiz, s’entraîner avec des exercices interactifs ou encore lire des supports enrichis avec le multimédia. C’est aussi avoir l’opportunité de se servir du numérique pour s’investir dans la formation en créant et en partageant par exemple des ressources réalisées individuellement lors des échanges.. Si les tableaux blancs numériques collaboratifs rencontrent un tel succès, c’est, bien sûr, parce qu’ils sont intuitifs et pratiques, mais aussi parce qu’ils permettent la traçabilité de ce qui a été réalisé en groupe. Aussi minime qu’elle soit, une contribution participe à la réalisation d’un même ensemble de réflexions. Le simple fait de publier en ligne est extrêmement valorisant pour les apprenants. Ce qui se joue ici c’est autant la participation à la compétence visée par la formation que la compétence numérique à utiliser un nouvel outil. De plus, avec la pratique de l’entraide et la dynamique du groupe aidant, on observe que les compétences numériques initiales cessent rapidement d’être un frein. S’ajoute à cela l’accessibilité de ces traces, le fait de pouvoir les consulter hors du temps de formation et peut-être simplement de les avoir comme preuves à partager.

Est-il possible de mesurer la valorisation apportée par le numérique à la formation ?

Isabelle Dremeau : Trouver un indicateur pour mesurer l’effet de cette valorisation sur la formation est complexe, comme définir celui qui pourra faire ressortir le rôle du numérique dans le développement de la créativité des apprenants et de son impact sur l’apprentissage. Les fonctionnalités riches et intuitives des outils actuels, sans parler de l’intelligence artificielle, conduisent l’apprenant à se concentrer sur les nouvelles possibilités de création qui lui sont offertes avec ou sans modèles. Quoi de plus gratifiant que de réaliser une tâche avec un outil dédié à la réalisation de vidéo ou de travailler à la création d’un podcast ? Quoi de plus marquant que la prise de notes sous forme structurée ou en s’aidant des techniques de représentation visuelle ? Créer soi-même des quiz ou des escape games est ludique et réactive les connaissances. De plus, ces ressources créées individuellement pourront continuer d’être valorisées au-delà de la formation, car elles auront plus de chance d’être consultées une fois la formation terminée. Lorsque l’outil numérique se positionne comme objet pédagogique à part entière, entre les mains des apprenants, il devient, lors de la formation, un véritable gage d’expérience d’apprentissage réussie, véhiculant motivation et implication.

A suivre …

voir aussi Regards croisés : L'engagement apprenant & andragogie volet 1/4

Publication parallèle sur le site e-learning Letter