Pourquoi le Rassemblement national peut rafler la mise avec ou sans Marine Le Pen

Selon les derniers sondages, le Rassemblement national représenté par Jordan Bardella en l'absence obligée de Marine Le Pen, serait en mesure malgré tout de remporter la prochaine élection présidentielle. C'est donc bien le Rassemblement national tel qu'il se présente, avec ses élus tels qu'ils sont, qui séduit une grande partie de l'opinion publique. Il reste à comprendre ce qui fait le succès de cette droite dite "extrême" par ses adversaires et qui a son équivalent désormais dans plusieurs pays occidentaux. Analyse... L’article Pourquoi le Rassemblement national peut rafler la mise avec ou sans Marine Le Pen est apparu en premier sur Causeur.

Avr 7, 2025 - 12:39
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Pourquoi le Rassemblement national peut rafler la mise avec ou sans Marine Le Pen

Selon les derniers sondages, le Rassemblement national représenté par Jordan Bardella en l’absence obligée de Marine Le Pen, serait en mesure malgré tout de remporter la prochaine élection présidentielle. C’est donc bien le Rassemblement national tel qu’il se présente, avec ses élus tels qu’ils sont, qui séduit une grande partie de l’opinion publique. Il reste à comprendre ce qui fait le succès de cette droite dite « extrême » par ses adversaires et qui a son équivalent désormais dans plusieurs pays occidentaux. Analyse.


Un profond malaise traverse les couches populaires françaises, celles que l’on appelait autrefois le « peuple laborieux ». L’exaspération est à son comble face à une classe dirigeante perçue comme hors-sol, aveugle aux réalités concrètes, soumise à des logiques technocratiques européennes et mondialisées. Une fracture béante s’est installée entre ceux d’en bas, qui subissent au quotidien les effets de la désindustrialisation, de l’insécurité et de la précarité, et ceux d’en haut, qui vivent à l’abri des conséquences de leurs décisions dans des cercles fermés, souvent parisiens et européanisés.

Dépossession

La construction européenne, telle qu’elle est vécue par une grande partie de la population, incarne cette dépossession politique. Les grandes orientations économiques et sociales sont dictées par des commissions non élues, des traités intangibles et des règles budgétaires strictes, imposées sans véritable débat démocratique. L’idéal d’une Europe sociale a cédé la place à une gouvernance d’experts, indifférente aux souffrances concrètes. Le sentiment d’abandon, nourri par cette distance entre les institutions et les citoyens, alimente un désir de rupture plus que de réforme.

Historiquement, c’était la gauche — celle de Jaurès, de Blum, des luttes ouvrières — qui portait les espoirs de justice sociale, de solidarité et d’émancipation. Mais aujourd’hui, elle semble s’être égarée. Incapable de se renouveler, prisonnière de récits identitaires ou communautaristes, elle a déserté le terrain du réel pour celui du symbolique. Le Parti communiste est moribond, le Parti socialiste réduit à une force d’appoint, et les nouvelles formations « de gauche radicale » apparaissent coupées des préoccupations populaires.

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La gauche se tourne vers de nouveaux électorats : les quartiers dits sensibles, certaines minorités, les classes moyennes diplômées en quête de causes à défendre. Mais dans cette recomposition idéologique, elle a oublié les ouvriers, les employés, les retraités modestes, les habitants des zones rurales et périurbaines. Ces Français invisibles, relégués aux marges du récit national, ne se reconnaissent plus dans un discours qui les ignore ou les méprise.

La droite de gouvernement effacée

Face à cette débandade de la gauche, la droite républicaine aurait pu redevenir un refuge. Mais elle a elle aussi trahi son électorat populaire au nom d’un libéralisme économique qui a fragilisé le tissu social. Aujourd’hui, elle tente de survivre en singeant à la hâte les thèmes portés par le Rassemblement national — immigration, sécurité, autorité — mais sans la cohérence ni la radicalité attendue. Coincée entre La République en Marche, qui l’a vampirisée, et le RN, qui l’absorbe, elle semble condamnée à l’effacement.

Ce que certains appellent « droitisation » du pays est en réalité un réalignement des représentations collectives sur une réalité de plus en plus anxiogène. Le rêve d’un monde réconcilié, de fraternité universelle et de lendemains qui chantent a cédé le pas à la dureté du quotidien. L’insécurité, la pression migratoire, l’islamisation, la perte de repères culturels, la crise du pouvoir d’achat et le sentiment de déclassement massif ont ancré la demande populaire dans des valeurs de protection, d’identité, d’autorité.

Le progressisme, tel qu’il est aujourd’hui défendu, apparaît comme une utopie hors-sol, sans prise sur le réel. Il rêve encore d’une humanité en marche vers l’égalité et l’émancipation, alors que les peuples, eux, réclament désormais des frontières, de la sécurité, de l’ordre. La fracture est là, entre une gauche tournée vers l’horizon du grand soir et un peuple en quête de stabilité immédiate.

La réalité internationale accentue encore cette désillusion. Les grands récits émancipateurs de la gauche ont sombré : la révolution bolivarienne s’est transformée en régime autoritaire et miséreux ; les dirigeants palestiniens sont décriés pour leur corruption pendant que le conflit s’enlise ; la Chine incarne une synthèse cynique entre capitalisme brutal et autoritarisme étatique ; l’Afrique, que l’on voulait indépendante et souveraine, reste prisonnière de systèmes corrompus et d’une nouvelle dépendance vis-à-vis de Pékin. Les masques tombent. Le réel s’impose.

Ma cité va craquer

En France même, les émeutes dans certaines banlieues ont révélé non pas une colère sociale constructive, mais un divorce culturel et sécuritaire. Le trafic, la violence, la montée d’un islam identitaire et conquérant sont vécus comme une menace directe par une majorité silencieuse qui ne croit plus aux discours compassionnels. Ce que le peuple exige aujourd’hui, ce ne sont plus des promesses de jours heureux, mais des actes concrets pour garantir la paix, l’ordre, la justice.

Ce qui se joue aujourd’hui en France, à travers le basculement électoral des classes populaires vers le Rassemblement national, n’est pas un simple glissement partisan. C’est l’expression d’un bouleversement plus profond, à l’image de ce que vivent de nombreuses démocraties occidentales : une révolte silencieuse, parfois brutale, de ceux qui ont été relégués, oubliés, méprisés par des élites politiques, médiatiques, économiques, qui se parlent entre elles et gouvernent sans les entendre.

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La France périphérique — celle des petites villes, des zones rurales, des franges périurbaines — ne croit plus aux promesses des progressismes abstraits. Elle n’aspire plus à l’utopie d’un monde sans frontières, d’une humanité pacifiée, d’un avenir radieux construit sur le seul pouvoir des mots et des discours. Elle regarde désormais le réel en face : un monde durci, instable, où les rapports de force l’emportent sur les grandes idées, où les nations, les civilisations et les blocs d’intérêts s’affrontent sans fard.

Dans ce contexte, les plus modestes ne demandent plus des rêves, mais des boucliers. Ils réclament non plus la fraternité abstraite mais la solidarité concrète. Ils veulent que l’État les protège, qu’il régule, qu’il punisse ceux qui détruisent le tissu social, qu’il affirme une autorité républicaine ferme et équitable. Ils attendent des réponses à la hauteur des angoisses qu’ils vivent : celle du déclassement, de l’insécurité, de l’invisibilisation. Leur demande n’est pas de haine, mais de protection. Pas d’exclusion, mais de priorité.

Ce retournement est révélateur d’un monde en transition. Les idéaux de la gauche historique, forgés dans une époque industrielle, dans un monde encore structuré autour du travail, de la lutte des classes et de la solidarité ouvrière, peinent à s’adapter à un monde fragmenté, dérégulé, violent. Pendant que la gauche continue de s’adresser à des catégories minoritaires ou symboliques, le cœur populaire se détourne. Il observe que les indépendances d’hier ont souvent débouché sur la dépendance d’aujourd’hui ; que les promesses de justice internationale ont masqué des jeux de pouvoir cyniques ; que l’universalisme proclamé cache parfois le désintérêt pour les souffrances françaises.

Ce monde nouveau est un monde d’insécurité globale : économique, culturelle, géopolitique, climatique, numérique. Et face à cela, le peuple n’en appelle plus à la révolution, mais à la réassurance. Il demande que l’on reconstruise des murs symboliques et concrets, que l’on définisse à nouveau qui fait partie du « nous », que l’on protège ce qui peut encore l’être : l’emploi, l’école, la langue, la nation, la culture.

Le vote pour le Rassemblement national, dans ce contexte, ne peut plus être interprété comme un simple vote protestataire. Il est devenu pour beaucoup un vote de nécessité, de dernier recours. Il ne traduit pas une adhésion à une idéologie extrême, mais un espoir pragmatique : celui que quelqu’un, enfin, prendra en compte leur existence.

Ce n’est pas la France populaire qui a changé fondamentalement : c’est le monde qui, en se durcissant, a rendu inopérantes les vieilles promesses. Et face à cette brutalité du réel, elle cherche désormais non pas des idées généreuses, mais des garanties tangibles. Elle ne réclame plus un horizon lumineux, mais une ancre solide. Elle ne veut plus de discours lointains, mais de la protection ici, maintenant. Et c’est précisément cela que les élites ne veulent pas, ou ne peuvent plus, entendre.

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