Connaissez-vous Stephen Miran?
Stephen Miran est l’un des grands économistes qui entourent Donald Trump. L’augmentation des droits de douane, c’est son idée, et ce n’est qu’une première étape pour déprécier le dollar afin de réindustrialiser les États-Unis et renforcer leur puissance militaire... L’article Connaissez-vous Stephen Miran? est apparu en premier sur Causeur.

Stephen Miran est l’un des grands économistes qui entourent Donald Trump. L’augmentation des droits de douane, c’est son idée, et ce n’est qu’une première étape pour déprécier le dollar afin de réindustrialiser les États-Unis et renforcer leur puissance militaire.
À lire les journaux, Trump serait une grosse bête, un fou au sommet de l’État le plus puissant du monde. Il voudrait le beurre et l’argent du beurre. Son augmentation des tarifs douaniers reposerait sur une vision court-termiste de l’économie ; elle entraînera bientôt, c’est sûr, un emballement inflationniste. L’Amérique va sombrer : on n’ose s’en réjouir, même si l’on prie pour la déroute du tyran. Sauf que si Trump n’est pas économiste, il est entouré par de brillants économistes : parmi eux, Stephen Miran, diplômé de Harvard. Président du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, Stephen Miran a publié en novembre 2024, au lendemain de la réélection du milliardaire, un document de cinquante pages intitulé A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System : tout un programme qui explique notamment la vraie raison de l’augmentation des tarifs douaniers, et démontre qu’aux échecs de l’économie, Trump a trois coups d’avance.
Dollar surpuissant : pas que des avantages, selon M. Miran
Miran part d’un paradoxe cruel : les États-Unis, contrairement à ce que l’on pourrait croire, bénéficient autant qu’ils souffrent de la valeur du dollar. Son statut de monnaie de réserve mondiale en fait une devise forte, ce qui pèse sur l’industrie américaine ; or, la désindustrialisation inquiétante des Etats-Unis présente un danger pour la sécurité nationale — car un État est puissant quand sa production industrielle est supérieure à l’activité de ses services. En d’autres termes, la surévaluation du dollar, qui entraîne la désindustrialisation du pays et l’affaissement de l’économie locale, affaiblit la défense nationale. « En l’absence de rivaux géopolitiques majeurs, écrit Miran, les dirigeants américains pensaient pouvoir minimiser l’importance du déclin des installations industrielles. Mais la Chine et la Russie étant des menaces non seulement commerciales mais aussi sécuritaires, il est de nouveau nécessaire de disposer d’un secteur manufacturier robuste et bien diversifié. »
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Le dilemme est le suivant : si le dollar est trop fort et que les États-Unis n’exportent plus, le dollar se retourne contre les États-Unis ; en même temps, le fait qu’il soit la principale monnaie de réserve du monde est essentiel pour garantir la puissance militaire de l’Amérique. « Le statut de monnaie de réserve de l’Amérique, écrit Stephen Miran, fait peser le fardeau d’une monnaie surévaluée érodant la compétitivité de notre secteur exportateur, ce qui est contrebalancé par les avantages géopolitiques qu’apporte l’extraterritorialité financière en matière de réalisation des objectifs fondamentaux de sécurité nationale, à un coût minimal. » Pour l’économiste, il est nécessaire de trouver un équilibre dans la valeur du dollar : or, le fait qu’il soit trop fort aujourd’hui freine l’industrialisation des États-Unis, et met par conséquent sa sécurité en jeu. Ce qu’il propose, c’est donc que les États-Unis négocient… pour déprécier le dollar. Hélas ! Les États-Unis n’ont plus l’aura ni la puissance qu’ils avaient au lendemain de la guerre. Leur marge de négociation s’en trouve considérablement réduite. Comment dès lors contraindre les pays à 1° déprécier leur monnaie de réserve, 2° ajuster la valeur de leurs propres monnaies au profit des Etats-Unis d’Amérique, 3° participer à la réindustrialisation de l’Amérique ?… d’abord et avant tout, en leur imposant des tarifs douaniers exorbitants.
La négo de Mar-a-Lago
Pour Stephen Miran, l’augmentation des tarifs douaniers, solution déjà utilisée avec succès en 2018-2019 (c’est-à-dire sans inflation significative), présente tous les avantages. Outre le fait qu’elle entraîne in fine— après un premier temps d’appréciation — une dépréciation du dollar, elle n’affecte en rien le pouvoir d’achat des consommateurs américains (car les dépréciations des devises étrangères compensent les droits de douane : en d’autres termes, les citoyens des pays exportateurs s’appauvrissent… au profit du Trésor américain, qui « collecte les recettes » !), mais elle permet encore de générer des investissements et des emplois, et de financer le maintien de faibles taux d’impositions pour les Américains. Stephen Miran, disons-le franchement, n’est pas notre ami : sa doctrine aura pour effet de nous appauvrir pour enrichir les États-Unis : the winner takes all.
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On se demandera comment les pays étrangers accepteront sans représailles une augmentation punitive et intéressée des tarifs douaniers ? D’abord, les États-Unis demeurent une source importante de demande de consommation mondiale : ils ont les moyens d’imposer leur volonté (en fermant leurs marchés, en limitant leurs exportations…). Ensuite, ils disposent d’une puissance de protection militaire qu’ils se réservent le droit d’ôter aux pays réticents. L’Europe se passera-t-elle des Etats-Unis en se constituant une défense commune ? Tant mieux, répond Miran, cynique : les États-Unis pourront se concentrer sur la Chine !
En conclusion, ce que veut Stephen Miran, c’est un nouvel ordre économique mondial : augmenter les droits de douane pour négocier un nouvel accord du Plaza (Miran propose des « accords de Mar-a-Lago »), déprécier le dollar, réindustrialiser l’Amérique et renforcer sa puissance militaire : « Une baisse de la valeur du dollar contribue à créer des emplois dans le secteur manufacturier américain et à réaffecter la demande globale du reste du monde vers les États-Unis. » L’augmentation des tarifs douaniers doit être le premier des bâtons pour obtenir ces accords ; la fermeture aux marchés américains, le retrait de la défense militaire aux pays récalcitrants, seront les prochaines menaces à être mises en œuvre. De quoi expliquer une grande partie des déclarations apparemment erratiques du président Trump…
L’essai de Stephen Miran :
Une traduction en français :
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