J’ai choisi « le Cavaleur » aux défilés !
Dans un pays fracturé qui a préféré hier majoritairement le festival du barbecue au Parc floral aux manifestations antagonistes parisiennes, Arte prône la voie de l’apaisement et de la concorde nationale en débutant au mois d’avril un cycle « Philippe de Broca » qui se poursuivra tout au long de l’année. Monsieur Nostalgie nous explique pourquoi « Le Cavaleur » de 1979 est à la fois une source d’émerveillement et d’espoir dans une France à bout de souffle... L’article J’ai choisi « le Cavaleur » aux défilés ! est apparu en premier sur Causeur.

Dans un pays fracturé qui a préféré hier majoritairement le festival du barbecue au Parc floral aux manifestations antagonistes parisiennes, Arte prône la voie de l’apaisement et de la concorde nationale en débutant au mois d’avril un cycle « Philippe de Broca » qui se poursuivra tout au long de l’année. Monsieur Nostalgie nous explique pourquoi « Le Cavaleur » de 1979 est à la fois une source d’émerveillement et d’espoir dans une France à bout de souffle…

Nous sommes incapables collectivement de parler de la France car nous n’avons plus les mêmes références, les mêmes marottes, les mêmes mélancolies, les mêmes grisailles, les mêmes mots doux. Un langage commun, au-delà des classes sociales et des identités tapageuses, nous fait aujourd’hui défaut. Chaque camp y va de son dépliant idéologique, tente grossièrement d’alpaguer l’électeur, crie des infamies dans le désert, se fait plus gros médiatiquement qu’il n’est. Les partis sont désertés et déconsidérés, les communautés se cristallisent en dehors de la République, l’abstention s’enkyste et le personnel politique est devenu la variable de divertissement des chaînes en continu. Alors, nous regardons ce spectacle, à la fois effarés et à distance sanitaire. Un peu gênés et coupables par ce délitement. Car ils sont le produit de nos années d’abandon et de déni. Nous leur avons laissé les clés du camion, ils étaient à peine aptes à conduire un vélomoteur. Un jour, nous nous sommes réveillés orphelins de nos vieilles armatures, de nos marivaudages savants, de nos bourgeoisies enfantines et d’une génération d’hommes sans certitudes. Les honnêtes hommes que furent nos parents et nos grands-parents étaient moins dogmatiques avec les aléas du quotidien, tout en croyant aux vertus du travail, de l’école publique et de l’amour. Dans un monde empli de procédures et d’injonctions, les errements ou plutôt les arabesques de Jean Rochefort, pianiste désaccordé, papillonneur en diable, sont des écarts de conduite vaudevillesques. On pourrait en rire, et on rit beaucoup, les formules pétillent dans ce long-métrage de 1979, l’esprit français de Guitry à Audiard se glisse dans les intérieurs cossus de la Place Vivienne. Mais, l’essentiel n’est pas là. Les moralistes actuels trouveront ces gesticulations pathétiques dignes d’un patriarcat à abattre. Des accommodements de privilégiés pendant que la misère gronde et la Terre tremble. Les arrangements ménagers et les foucades de ce concertiste, individualiste forcené, solitaire en déshérence sont d’un autre temps ; une époque révolue où l’on pouvait rouler dans Paris dans un break Volvo grignoté par la rouille et commander un quart champagne au bistrot du coin.
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« Le Cavaleur » se regarde comme un livre d’images, un conte des jours heureux, un peu triste, un peu drôle ; il est ce baume réconfortant qu’on applique sur les déchirures modernes. Il est « temps qui passe », enchevêtrement du masculin et du féminin, refuge dans la musique classique, cette tapisserie sans fin de Mozart à Ravel, transmission avec un jeune disciple sorti de nulle part, d’une quincaillerie bretonne et filouteries de garnisons. Il est, c’est bien simple, tout le contraire de nos vociférations et de nos aigreurs, il n’a pas vocation à faire de nous des humains plus respectueux, plus citoyens ou plus disciplinés. Il est ce voile pudique sur les sentiments, il est secret des alcôves et embardées cheminotes. C’est parce qu’en apparence, il ne professe rien de sérieux, de tangible, de rémunérateur ou de bénéficiaire qu’il est une promenade dans notre jardin d’hier. Après l’avoir (re)vu, on ne regarde plus de la même façon l’horloge de la gare de Lyon, le Moulin Rouge, les Grands Magasins, l’île aux moines aux vacances de la Toussaint ou la forêt de Rambouillet au clair-obscur. Ce soir, on n’ira pas skier à Chamonix avec Catherine Alric mais s’embourber sur le chemin d’un château qui semble sorti d’un songe d’Alain Fournier. On perdra la mémoire entre Danielle Darrieux et Catherine Leprince ; entre la grand-mère et la petite-fille, la Libération de Paris fera kaléidoscope. On apprendra que pour bien jouer du piano, il faut mécaniser, jouer avec les doigts et non avec son âme. Qu’avant de se gargariser d’un hypothétique univers musical et d’une singularité esthétique, on devra charbonner sur les touches à se faire saigner les mains. On aura la preuve, une fois de plus, qu’Annie Girardot est une immense actrice, en un mouvement de menton, elle passe de la primesautière à l’élégiaque. En France, il nous manque ce feu sacré, cet appel du pays profond, l’envie que nos cœurs battent à nouveau à l’unisson. Cet élan, Arte nous l’offre gratuitement en diffusant durant les prochains mois l’œuvre de Philippe de Broca. « Le Cavaleur » (disponible en streaming sur Arte.tv) ouvre le bal des souvenirs. Il possède cette patine d’émotion, ce soyeux d’antiquaire qu’ont les meubles lustrés, brillants, un peu trop beaux et tellement fragiles. Et puis, il y a Nicole Garcia, la voix de Nicole, sa blondeur infernale, sa retenue explosive. Qu’elle était belle la France de Philippe de Broca.
1h40
Le cavaleur – Regarder le film complet | ARTE
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