Pierre Michon en immersion dans la Grèce antique

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Mai 18, 2025 - 08:16
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Pierre Michon en immersion dans la Grèce antique

Avec J’écris l’Iliade, véritable tour de force littéraire, Pierre Michon revient sur ses convictions profondes en matière de religion et de littérature.


Dans la littérature française actuelle, Pierre Michon (né en 1945) jouit incontestablement d’une certaine notoriété. Très lue par les universitaires, son œuvre est appréciée aussi du public cultivé. Des livres distillés autrefois au compte-gouttes, une exigence littéraire appuyée, mais de bon aloi, des apparitions rarissimes dans les médias, Pierre Michon porte l’étendard du grand style des époques révolues. Ses références vont, entre autres, de Flaubert à Faulkner, en passant par Rimbaud ou Artaud jusqu’à Joyce. Avec de tels noms mis en avant, il est difficile de se tromper. D’autant que Pierre Michon a l’intelligence de traiter, dans ses romans, de ce qu’il appelle « les vies minuscules ». Il faut entendre par là le destin souvent obscur, mais authentique, des petites gens, dont lui-même assure faire partie. Pierre Michon, grâce à son lyrisme naturel, redonne une vraie place à ceux qui étaient cantonnés dans les marges de la société.

Souvenirs personnels et mythologie

Avec J’écris l’Iliade, récit paru il y a peu, Michon tente de se focaliser plus particulièrement sur lui-même. Il met ici en avant sa fascination pour la Grèce antique et son paganisme virevoltant auquel il adhère en partie. Le livre est composé de souvenirs personnels de Michon, entrecoupés de textes « à la manière de », qui décrivent des scènes de mythologie grecque. Ainsi, Michon se réinvente sous le signe d’Homère, ou peut-être d’Hésiode, le poète des Travaux et les Jours. Disons que cette « ambiance » grecque est parfaitement réussie, même si la prose de Michon y perd en précision, par excès d’abstraction.

Un homme grec

Le tour de force de Michon est d’avoir, dans les chapitres autobiographiques, réussi à développer un univers conforme à cet homme grec qu’il voudrait incarner. D’abord, dans la manière dont il se décrit lui-même, comme une sorte de satyre pris de boisson et obsédé par le sexe. Sous la lumière du Sud, Michon peine à exorciser ses mauvais démons. En ce sens, J’écris l’Iliade est un document précieux pour mieux cerner la personnalité complexe de l’écrivain. Je parlais de satyre, il n’emploie pas le mot, mais le revendiquerait certainement ; on pourrait évoquer aussi les compagnons de Dionysos, les fameux silènes, ces petits bonshommes très laids, affairés aux voluptés. Dans Le Banquet de Platon, n’est-ce pas Socrate qui est comparé, par Alcibiade, d’abord à un silène, puis ensuite à un satyre ? Nous lisons, dans la traduction de Philippe Jaccottet : « je déclare, dit Alcibiade parlant de Socrate, qu’il ressemble comme un frère à ces silènes exposés dans les ateliers des sculpteurs… » ; il ressemble aussi, ajoute Alcibiade, au « satyre Marsyas ». Faisant ensuite allusion au talent de Socrate pour captiver son auditoire, Alcibiade précise : « si c’est toi qui parles […] nous voilà tous […] étonnés et ensorcelés ». Bref, il me semble que tous ces termes employés par Alcibiade pourraient caractériser à son tour Pierre Michon, satyre et silène qui séduit, comme Socrate, par son art de la parole.

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La littérature comme passion

L’un des grands mérites de ce livre de Michon est qu’il nous permet de comprendre les effets de la littérature sur l’être humain, lorsqu’elle devient une passion. Grâce à quoi, la vie en est transformée au plus profond, et pour le meilleur. C’est en tout cas le bilan qu’en dresse avec fougue Michon.

Dans le texte intitulé « J’invente un dieu », Michon se livre ainsi : « Depuis des années le goût de noircir du papier m’avait abandonné. Fini, le temps où je faisais des surenchères d’arabesques autour d’un mot. Je n’écrivais pas et je n’écrirais plus. J’avais plus de soixante ans, il était grand temps que je fasse quelque chose de ma vie : la rencontre d’un dieu me parut un bon plan. » On appréciera l’humour de ce passage, qui en gomme l’amertume. Avec la conclusion suivante, plus sereine : « L’art d’écrire, de faire de chaque mot un nom propre ou un totem, voilà la route où s’avançait le dieu. » Ce qui donne, pour résumer : « J’étais de nouveau littérateur. »

Un écrivain pour écrivains

Il ne faut donc pas s’étonner si Pierre Michon est d’abord un écrivain pour écrivains, comme on dit. Si la forme de J’écris l’Iliade peut étonner, comme je l’ai remarqué, en revanche les questions de fond qui se posent à sa lecture sont essentielles. Celles-ci, par exemple : faut-il encore écrire comme Flaubert ? Qu’est-ce que la littérature aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’écrire ? Ou encore : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Michon constate, à un moment : « Je n’avais plus personne à qui faire croire que la littérature peut servir à quoi que ce soit. » Et pourtant, malgré tout, il continue cette lutte absurde, ou plutôt qui paraît absurde.

Dans J’écris l’Iliade, il y a donc une dimension morale. À plusieurs reprises, Michon précise, oubliant son polythéisme, qu’il est chrétien. Il raconte en détail ses visites, en Grèce, dans quelques-uns des hauts lieux de l’orthodoxie, et sa déception à la suite d’un mauvais accueil. J’écris l’Iliade est aussi, bien sûr, un dialogue avec Dieu, à base d’incommunicabilité et d’errements, mais avec une sorte de foi sincère. Et le moment vient, finalement, où l’on sent que l’enjeu littéraire rejoint pleinement l’enjeu spirituel.


Pierre Michon, J’écris l’Iliade. Éd. Gallimard, 271 pages.

Platon, Le Banquet. Traduction de Philippe Jaccottet. Éd. « Le Livre de Poche », 114 pages.

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