Lyrique: « Il trittico » à l’Opéra-Bastille
La soprano Asmik Grigorian au sommet, dans les trois rôles principaux du célèbre triptyque de Puccini, transfiguré par la mise en scène de Christof Loy. Inoubliable, selon notre chroniqueur... L’article Lyrique: « Il trittico » à l’Opéra-Bastille est apparu en premier sur Causeur.

La soprano Asmik Grigorian au sommet, dans les trois rôles principaux du célèbre triptyque de Puccini, transfiguré par la mise en scène de Christof Loy. Inoubliable, selon notre chroniqueur.
Une immense clameur monte du parterre ; la salle entière de l’Opéra-Bastille se dresse comme un seul homme, debout, égosillant ses « bravooooo ! » jusqu’à l’extinction de voix – on ne compte plus les rappels. Au tomber de rideau du fameux triptyque puccinien, dans cette production du Festival de Salzbourg millésimée 2022, que signait le metteur en scène allemand Christof Loy et qu’accueille l’Opéra de Paris pour cette fin de saison, c’est peu dire que triomphent Gianni Schicchi, Il Tabarro et Suor Angelica, ces trois chefs d’œuvre tardifs de Giacomo Puccini (1858-1924) ici montrés dans cet ordre, qui n’était pas celui prévu par le compositeur transalpin lors de la création de Il Trittico au Metropolitan Opera de New-York en 1918.
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Ce parti pris « fait sens », comme on dit : aux trois pièces composites (qui n’en formaient pas moins un ensemble cohérent dans l’esprit du compositeur), cette permutation imprime une claire et intelligible gradation dramaturgique, inaugurée par la farce burlesque (Gianni Schicchi) pour s’achever dans la tragédie mystique (Suor Angelica), en passant par le mélodrame passionnel (Il Tabarro). Assumant l’unité organique de la partition, Christof Loy enserre les trois décors successifs dans un espace parallélépipédique dont les hauts murs, d’une sobre couleur unique, se transforment, s’ajourent, se rétrécissent : « tableaux » où tour à tour s’insèrent les éléments propres à chacun des opéras – chambre mortuaire du défunt dont la famille s’arrache l’héritage ; péniche parisienne en bord de Seine ; couvent expiatoire de la fille-mère révoltée. Raccordés à un entre-deux guerres insituable exactement, les costumes habillent d’abord la tribu pathétique (et désopilante) des cupides petits-bourgeois florentins, puis la bohème parisienne, enfin la féroce aridité du cloître siennois où Angelica jardine ses plantes en pot avant de se suicider…
Mais c’est, au premier chef, par la stupéfiante présence dramatique d’Asmik Grigorian que le triptyque trouve son unité intérieure : la soprano lituanienne native de Vilnius incarnant d’abord la fraîche Lauretta, puis l’éplorée Giorgetta prise en étau entre sa passion amoureuse et la jalousie de son mari marinier, et enfin la morbidité tragique d’ Angelica : soit, tour à tour brune, blonde, voilée de noir, écorchée vive, les trois héroïnes – figures réunies sous le chromatisme contrasté de Il Trittico. Eblouissante, incomparable de bout en bout, le feu intérieur d’Asmik Grigorian embrase la fin sublime de Suor Angelica – « cuando potro morire ? Dillo alla mamma, creatura bella, con un leggero scintillar di stella… Parlami, amore… », portant le chant lyrique au sommet.
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L’ensemble de la distribution participe de la même impeccable réussite. A commencer par le baryton Misha Kiria, qu’on découvre sur la scène parisienne dans le rôle de l’escroc Gianni Schicchi, jusqu’à Roman Burdenko, également baryton, campant Michele, le marinier jaloux dans Il Tabarro, jusqu’à Luigi, l’amant de Giorgetta, sous les traits du ténor Joshua Guerrero… Autre ténor fabuleux dans le costume de Rinuccio, le neveu du clan Buoso Donati, Alexey Neklyudov ! Mentionnons aussi le séduisant baryton Iurii Samoilov, qui campe Marco, le cadet de la famille, dans Gianni Schicchi… La qualité des seconds rôles n’a rien à leur envier : la mezzo originaire de Tirana, Enkelejda Shkoza pour ne citer qu’elle, endosse avec le même brio les rôles de Zita, de la Frugola et de la Suora Zelatrice…
Coiffant ce casting hors pair dominé par l’immense talent d’Asmik Grigorian, l’orchestre maison, sous la baguette de Carlo Rizzi, rutile de toutes les nuances, de toutes les suavités, de toutes les ardeurs de l’écriture puccinienne. Spectacle inoubliable.
Il Tittrico (Gianni Schicchi, Il Tabarro, Suor Angelica), triptyque de Giacomo Puccini. Direction : Carlo Rizzi. Mise en scène : Christof Loy. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h40 Opéra-Bastille, les 6, 9, 13, 16, 19, 22, 28 mai à 19h. Le 25 mai à 14h.
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