Lovecraft et ses mondes fantastiques en Pléiade…

Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), natif de Providence, maître du fantastique et de l’horreur, vient de faire son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard, dans des traductions nouvelles... L’article Lovecraft et ses mondes fantastiques en Pléiade… est apparu en premier sur Causeur.

Mar 23, 2025 - 06:31
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Lovecraft et ses mondes fantastiques en Pléiade…

Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), natif de Providence, maître du fantastique et de l’horreur, vient de faire son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard, dans des traductions nouvelles.


Ce sont vingt-neuf histoires (ou tales en anglais) qui ont été sélectionnées, et sont proposées dans l’ordre chronologique de leur rédaction, de 1917 à 1935. Le choix s’est porté sur les meilleures ou les plus fameuses, comme « L’Appel de Cthulhu » ou « Les Rats dans les murs ». Les textes de Lovecraft, qui n’a jamais écrit de roman, s’inscrivent dans le genre de la nouvelle, ou, en anglais, novelette, parfois novella pour les plus longs. Ils ont tous paru dans des pulp magazines bon marché etpopulaires comme Weird Tales, le mot « weird » signifiant étrange ou bizarre (« supernatural »,indique pour synonyme mon dictionnaire d’Oxford, autrement dit en français : surnaturel). Néanmoins, l’œuvre weird de Lovecraft, élitiste convaincu, conserve une valeur avant-gardiste indiscutable.

Un univers morbide et décadent

Je me souviens avoir essayé de le lire lorsque j’étais adolescent. Mais je n’étais pas pleinement entré dans cet univers morbide et décadent, bien que les personnages extravagants peints par Lovecraft eussent dû s’accorder avec mes fantasmes d’alors. Je découvris ces quelques histoires dans un ou deux volumes en poche, trouvés dans la bibliothèque familiale, mais ils ne me laissèrent pas un souvenir impérissable, comme « Le Cas de Charles Dexter Ward ». Cette nouvelle édition vient donc fort à propos pour réévaluer un auteur maudit, dans tous les sens du terme. L’appareil critique propre à la collection de la Pléiade nous y aiderait peut-être. Il y a une introduction assez intéressante, que l’on doit à Laurent Folliot. On sent qu’il connaît par cœur l’œuvre de Lovecraft, mais il a une curieuse tendance à en énumérer les défauts. Ainsi, à propos du style lovecraftien, il écrit : « Un style dont il est vrai qu’avec sa débauche d’adjectifs, ses intensifieurs omniprésents, ses tics lexicaux, il se prête notoirement à la parodie, et auquel les jugements sévères n’ont pas manqué dès les premiers temps de sa réception auprès du grand public (Edmund Wilson, Borges entre autres). » Je ne savais pas qu’Emund Wilson et Borges, « entre autres », faisaient spécialement partie du « grand public ». Néanmoins, et à part ses redites, c’est une introduction très fournie, même si, bien sûr, il faudra au lecteur, grand public ou non, revenir en priorité au texte même de Lovecraft.

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La qualité littéraire de Lovecraft

C’est donc ce que j’ai fait et, je dois dire, avec un grand plaisir. Je ne suis plus l’adolescent inexpérimenté de 1979, et j’ai été frappé désormais par la qualité littéraire de Lovecraft. Il m’a suffi de relire un ou deux contes, pour être d’accord avec la fascination qu’il inspire par exemple à Michel Houellebecq. Dans son livre sur Lovecraft, intitulé Contre le monde, contre la vie, Houellebecq admet : « Nous sommes là à un moment où l’extrême acuité de la perception sensorielle est tout près de provoquer un basculement dans la perception philosophique du monde ; autrement dit, nous sommes là dans la poésie. » (Préface de 1998). Il ne faut pas oublier que Lovecraft est un contemporain des surréalistes. L’air du temps a agi sur lui comme sur eux, d’une manière, à suivre Houellebecq, pas si différente que ça dans l’un ou l’autre cas. Je laisse le lecteur en juger.

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Des ruminations fin de siècle

Lors de mes premières lectures, dans les années 70, je ne sais plus si j’avais lu « La Clef d’argent », ce conte de Lovecraft nourri de l’influence de Poe et des écrivains décadents. C’est dans ces ruminations fin de siècle que Lovecraft a toujours excellé, il me semble. Lovecraft s’y inspire aussi de sa propre vie et de ses névroses d’écrivain solitaire. En même temps, il y exprime sa nostalgie de l’enfance. Le personnage principal en est un certain Randolph Carter. Voici comment nous le présente Laurent Folliot : « Au culte du réel, Carter tente enfin de substituer, dans une veine décadentiste, celui du bizarre et de l’ésotérisme. » Se révèlent à lui, notamment par l’entremise de ses rêves, toute une série d’autres mondes qu’il finit par faire siens au détriment de la vraie vie. Tout l’art de Lovecraft est dans la manière de nous raconter ce voyage dans les limbes, mais comme s’il s’agissait d’une histoire réaliste, c’est-à-dire avec le moins possible d’effets artificiels.

Lovecraft est un écrivain nécessaire. Ses textes, malgré leurs défauts sur lesquels on aura avantage à passer, possèdent un véritable élan qui transporte le lecteur hors de sa zone de confort habituel. Ses admirateurs s’y délectent d’un imaginaire grandiose, à base de mythologies perdues comme celle de Cthulhu, monstre abject définitivement associé au nom de Lovecraft. Aujourd’hui, grâce à cette formidable Pléiade, je refais connaissance avec Cthulhu et autres « Great Old Ones » (les « Grands Anciens »), et mon verdict est sans appel : « Lisez Lovecraft ! »

H. P. Lovecraft, Récits. Introduction par Laurent Folliot. Édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski. Éd. Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1408 pages.

Récits

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Michel Houellebecq, H.P. Lovecraft, Contre le monde, contre la vie. Avec une introduction de Stephen King. Éd. du Rocher, 2005.

H.P. Lovecraft

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