Licenciements, restructurations d’entreprises : comment manager les salariés « survivants » ?
Les salariés toujours en poste après une crise peuvent ressentir le syndrome du survivant, un mélange de sentiments de culpabilité et de démotivation. Alors, que faire ?


Les salariés toujours en poste après une crise dans leur entreprise peuvent ressentir le syndrome du survivant, un mélange de sentiments de culpabilité et de démotivation. Il est indispensable de ne pas le négliger et d’adopter une approche proactive.
Restructuration, fusion-acquisition, licenciements massifs, de nombreux dirigeants ne savent pas comment gérer la réaction des salariés toujours en poste après ces crises organisationnelles. Ces derniers peuvent ressentir le « syndrome du survivant », un mélange de sentiments de culpabilité, d’anxiété, de démotivation et d’insécurité. Bien que le syndrome du survivant ait été introduit dans la littérature en sciences de gestion, il est d’abord issu du domaine psychiatrique. Il a été utilisé pour décrire les effets sur les collaborateurs confrontés à des restructurations et réductions d’effectifs.
Nous avons mené deux études de cas qualitatives exploratoires avec une approche de recherche-intervention. Dans un contexte de conduite du changement, il est crucial de comprendre ce phénomène afin de garantir la pérennité des organisations. Nous proposons des recommandations managériales à l’usage des organisations autour de trois types de crises emblématiques : la crise sanitaire, les licenciements massifs lors de périodes économiques difficiles, et les restructurations liées aux fusions acquisitions. Avec quelles solutions concrètes pour atténuer les effets du syndrome du survivant ?
Culpabilité et honte
Le syndrome du survivant est un état psychologique complexe. Il est souvent vécu par ceux qui survivent à un événement traumatisant, alors que d’autres n’y ont pas survécu. Les survivants peuvent éprouver de l’anxiété, se sentir isolés, coupables, et éprouver des difficultés à exprimer ou comprendre les traumatismes vécus. Les réactions émotionnelles des individus peuvent suivre une évolution similaire à la « courbe du deuil » de Kübler-Ross : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation. Un temps d’adaptation est nécessaire entre l’annonce d’un changement et l’engagement des collaborateurs.
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Noer a par exemple souligné que les employés ayant survécu à une réduction d’effectifs expérimentent des sentiments négatifs : démotivation, insécurité de l’emploi, manque d’engagement, dépression et sentiments d’injustice. Une conséquence notable est la rupture du contrat psychologique entre l’organisation et ses employés. Elle engendre une perte de confiance, aussi bien chez ceux qui partent que chez ceux qui restent. Cette rupture peut augmenter le taux d’absentéisme, voire conduire à des comportements de sabotage ou de représailles.
De plus, comme le soulignent Fisher et White, les réductions d’effectifs compromettent la capacité d’apprentissage des organisations en raison de la perte de savoir-faire et de capital humain.
Covid-19 : inégalité des risques
Une crise est une situation qui déstabilise un individu, un groupe ou une organisation, nécessitant une gestion spéciale face à un stress causé par un changement soudain. Elle représente souvent un tournant, une phase critique marquant un changement majeur dans une situation.
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Durant la crise de Covid-19, les employés du secteur de la santé en particulier, ont été confrontés à un stress intense, avec des sentiments de culpabilité en raison de la maladie ou de la perte de collègues. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prévalence mondiale de l’anxiété et de la dépression a augmenté de 25 % au cours de la première année de la pandémie. Les employés des secteurs non essentiels, souvent en télétravail, ont ressenti un isolement et une inégalité par rapport aux risques encourus par d’autres.
Ces disparités ont conduit les organisations à s’adapter, en mettant en place des mesures spécifiques : programmes d’aide psychologique, plus de flexibilité et une communication plus régulière.
Effets dévastateurs des licenciements massifs
Les crises économiques, telles que celle de 2008, sont souvent marquées par des licenciements massifs. Les employés conservant leur emploi sont soumis à un stress élevé, redoutant d’être les prochaines victimes des réductions d’effectifs.
Le spectre du plan de sauvegarde des emplois (PSE) plane alors au-dessus des équipes. Les réactions postcrise et la démotivation des « survivants » peuvent représenter une part importante de la masse salariale en coûts cachés.
Ce coût correspond au turn-over créé par la démotivation (coût des départs et des remplacements), de l’absentéisme ainsi que de la baisse de performance.
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Pour atténuer ces effets, des stratégies claires sont essentielles : renforcer la communication, maintenir un dialogue ouvert et investir dans des initiatives valorisant les employés restants. Envisager l’avenir en termes d’employabilité avec des cellules de reclassement, formations et incitations à la création d’entreprise pourra également être salvateur.
Perte de repères lors de fusions-acquisitions
Les fusions-acquisitions sont un terreau fertile pour le syndrome du survivant. Les employés, bien que restant dans leur poste, subissent une perte de repères culturels et organisationnels. On peut dans ce domaine identifier plusieurs conséquences :
Une perte d’identité : l’incertitude domine jusqu’à l’émergence d’une nouvelle culture organisationnelle.
Un détachement émotionnel : la dissolution de l’ancienne organisation génère un sentiment de deuil.
Une surcharge d’informations : paradoxalement, les survivants sont souvent confrontés à des messages contradictoires ou excessifs, amplifiant leur stress.
Ces éléments nécessitent des ajustements profonds. L’organisation peut, par exemple, promouvoir des projets transversaux entre les équipes des différentes entités fusionnées pour favoriser une meilleure intégration.
Atténuer l’impact du syndrome du survivant
Pour réduire les effets du syndrome du survivant, les organisations doivent adopter une approche proactive. Voici quelques recommandations :
Clarifier les décisions et les raisons des changements : il est essentiel d’expliquer les choix difficiles faits par la direction et de renforcer la perception de contrôle. Cela contribue à réduire l’anxiété et à instaurer un climat de confiance.
Restaurer la confiance et l’équité organisationnelle : il est important de traiter les perceptions d’injustice et de reconnaître publiquement les efforts des « survivants ». Les collaborateurs doivent sentir que leur contribution est valorisée et qu’ils font partie d’une vision organisationnelle cohérente.
Optimiser la communication au sein de l’entreprise : organiser des points de communication réguliers, avec des messages clairs, pour répondre aux préoccupations des collaborateurs et partager les perspectives à moyen et long terme.
Accompagner chaque individu dans son parcours : offrir des ressources et un soutien personnalisé, comme des formations en gestion du stress et des services d’écoute psychologique, afin de favoriser la résilience individuelle.
Reconnaître et valoriser les employés restant : célébrer les contributions des « survivants », leur accorder une reconnaissance tangible et les inclure dans les processus décisionnels pour renforcer leur engagement et motivation.
Fédérer autour d’une nouvelle culture organisationnelle : mettre en place des initiatives favorisant la cohésion, telles que des projets transversaux, pour renforcer la culture partagée et permettre une meilleure intégration des collaborateurs dans un environnement en transformation.
Pour conclure, une gestion proactive peut permettre de renforcer la résilience organisationnelle. Le syndrome du survivant est une réalité inévitable dans toutes les crises organisationnelles majeures, et il représente un défi majeur pour les managers. En agissant rapidement et de manière structurée, il est possible de transformer un risque psychosocial en une opportunité de renforcement collectif.
Comprendre ces dynamiques invisibles, mais essentielles, est une responsabilité clé pour les dirigeants souhaitant bâtir des organisations résilientes et apprenantes.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.