Le Trump des Carpates favori

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Mai 16, 2025 - 20:22
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Le Trump des Carpates favori

Ils sont fous, ces Roumains ? Pour quiconque cherche à comprendre les grandes mutations du monde d’aujourd’hui, ce qui se joue en ce moment en Roumanie mérite toute notre attention, souligne notre chroniqueur. À Bucarest, le maire libéral Nicușor Dan fait face à George Simion, figure montante du national-populisme (à gauche sur notre photo), donné favori pour le second tour de la présidentielle ce dimanche.


J’ai eu la chance de faire avec l’Amitié judéo-chrétienne et sous la direction experte du Professeur Carol Iancu, un voyage consacré aux Juifs de Roumanie. On ignore souvent que la communauté juive de Roumanie, sept mille personnes aujourd’hui, la plupart âgées, était avec 800 000 personnes la troisième d’Europe avant la guerre. C’était alors la grande Roumanie avec des territoires variés au destin disparate pendant la guerre. Hormis l’extermination à Birkenau des Juifs de Transylvanie du Nord, qui était alors hongroise, la responsabilité des Roumains sous la direction du dirigeant suprême Ion Antonescu, est accablante pour les famines, épidémies et exécutions de masse des populations juives de Bukovine et de Bessarabie déportées en Transnistrie ainsi que pour l’atroce pogrome de Iasi, alors que les Juifs de Moldavie et de Valachie purent survivre car la machinerie d’extermination n’eut pas le temps de se refermer sur eux.

L’élection roumaine la plus importante depuis la chute du communisme

Dans notre voyage, nous avons vu la vie religieuse, culturelle et artistique dans les villes et les villages, les synagogues, les cimetières et les universités, de ces Juifs qui vécurent aussi l’antisémitisme nationaliste d’avant la guerre, l’antisémitisme marxiste d’après la guerre, les départs en Israël et l’amenuisement des communautés. Il y eut aussi les émotions devant le travail des gardiens de la mémoire juive et de ses cimetières, leur combat pour faire revivre une vieille synagogue, le journal d’une Anne Franck transylvaine, une fresque déchirante sur le destin juif ou la maison d’enfance d’Elie Wiesel. Et il faut ajouter tous ces lieux de culte chrétiens qui témoignent de la vivacité populaire du christianisme.

Mais, dimanche 4 mai, ce fut aussi le premier tour de l’élection présidentielle, la plus importante, au dire de nos amis Roumains, depuis la chute du communisme.

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Les résultats sont sans appel. On anticipait le succès du candidat d’extrême-droite George Simion, mais son score à plus de 40% des voix laisse peu de chance à son rival, Nicusor Dan, le maire de Bucarest. Ce qui se passe en Roumanie est riche d’enseignements, pour celui qui s’interroge sur l’évolution du monde actuel. George Simion, qui n’a pas 40 ans, a créé son parti, Alliance pour l’Unité des Roumains ou AUR, il y a moins de cinq ans et a obtenu 1% aux élections européennes. C’est le Covid qui le fait connaitre: il affiche des positions antivax et complotistes, et accuse l’Union européenne de forcer les Roumains à manger des insectes. Du coup il obtient 14% des voix à l’élection présidentielle de novembre 2024. Il arrive en 4e position. Ce n’est qu’un succès relatif car il est dépassé par un candidat venu de nulle part qui opère dans le même vivier électoral ultra-nationaliste, irrédentiste, complotiste, anti-élites et anti-européen, et qui arrive en tête avec 23% des votes.

Captation émotionnelle

Ce candidat s’appelle Calin Georgescu. Sa campagne reposait sur le réseau TikTok, très populaire en Roumanie. Il « hameçonnait » le futur électeur par des contenus en apparence anodins et consensuels, et créait ainsi une connexion affective sur la base d’émotions simples et morales, comme l’amour du pays et de la famille, le respect des traditions ou l’hommage au sacrifice des héros, avec de subtiles allusions le présentant comme l’homme qui parle vrai sans faire de politique. Cette captation émotionnelle était facilitée par la puissance des algorithmes de sollicitation de TikTok et amplifiée par des réseaux de comptes automatisés, des bots. 

M. Georgescu se distinguait par son admiration pour Poutine : après l’élection, l’action des services secrets russes dans sa campagne fut confirmée et la Cour Constitutionnelle invalida les élections pour infractions au code électoral et lui interdit de se présenter aux élections reportées à mai 2025. On a évidemment parlé, le vice-président américain notamment, d’un déni de la démocratie et de juges politisés, d’autant que la Cour avait déjà empêché une candidate ultranationaliste et antisémite de se présenter. 

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M. Simion a capitalisé sur cette mise à l’écart. Il s’est présenté au bureau de vote accompagné de M. Georgescu et a promis d’en faire son Premier ministre. Ce n’est pas que leurs préférences soient identiques car M. Simion se présente plutôt comme le Trump des Carpates. Il est vrai qu’aujourd’hui admirer les présidents américain et russe en même temps n’est plus incompatible. En tout cas, l’actuel Premier ministre, social-démocrate, vient de démissionner après le vote, qui témoigne d’un profond désaveu de la coalition au pouvoir. L’affaiblissement du socle politique structurant du centre-gauche au centre-droit, rapproche la situation politique de la France et de la Roumanie.

Ni les sociaux-démocrates, ni les libéraux ne sont qualifiés au second tour, alors qu’ils s’étaient coalisés sous la houlette de Crin Antonescu, un politicien expérimenté, peut-être trop expérimenté, et à qui on reproche, comme au président sortant, Klaus Iohannis, de n’avoir rien fait d’utile pendant leur mandat.

Les médiocres poussés vers la sortie

Il y a en Roumanie un mécontentement général devant les médiocres résultats économiques, les carences en matière de niveau de vie, de soins et de retraites associé à la perception d’une corruption dont les instituts spécialisés, comme Transparency International, confirment la réalité. Le candidat indépendant, Victor Ponta, qui a obtenu 13% des voix traine une réputation particulièrement sulfureuse, mais il n’est pas le seul.

Le dégagisme que cela génère est une porte ouverte au populisme. Nicusor Dan est l’antipopuliste type: brillant mathématicien, technicien rigoureux et réputé honnête, il n’est pas charismatique, et choque les électeurs en n’épousant pas sa compagne et en ne faisant pas baptiser ses enfants. Si ses adversaires trouvent son bilan de maire médiocre, ses partisans disent qu’il choisit le long terme plutôt que le spectaculaire: il est l’antithèse d’un George Simion qui vitupère les corrompus dans ses slogans et qui ravive tensions identitaires et lubies irrédentistes à l’égard de la république de Moldavie et de la Bucovine du Nord ukrainienne.

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La dénonciation d’un ennemi intérieur, outil favori de tout populisme ne peut pas s’appuyer en Roumanie d’une dénonciation d’un envahissement migratoire, puisque le pays souffre plutôt d’une pénurie de main d’œuvre et que la population musulmane y est insignifiante. Il y a des tensions chroniques entre Roumains et Magyars de la Transylvanie, mais on voit mal des gouvernements populistes des deux pays chercher à les exploiter… Enfin, l’absence d’extrême gauche ne surprend pas dans une Roumanie qui a trop longtemps goûté au paradis marxiste-léniniste.

Reste la question de l’antisémitisme, qui taraude ceux qui connaissent l’histoire roumaine du XXe siècle. Réhabiliter les figures de Codreanu, le fondateur de la Garde de Fer ou d’Antonescu, (rien à voir avec le politicien actuel) responsable de l’assassinat de plus de 300 000 Juifs, ce serait un crachat à la mémoire des victimes. Les politiciens souverainistes font volontiers de Antonescu le héros de la grande Roumanie, la victime glorieuse de la répression soviétique et prétendent souvent qu’il a protégé les Juifs de Moldavie et Valachie. C’est un révisionnisme que les Juifs français connaissent bien avec Pétain. Simion a rencontré des représentants israéliens. Il a reconnu la responsabilité des Roumains dans les massacres de Juifs. S’il s’est abstenu de condamner Antonescu, il s’est proclamé favorable à Israël…

Affaire à suivre, mais laisser à M. Simion le bénéfice du doute par rapport à l’antisémitisme ne signifie pas adhérer à l’ensemble de ses thèses.

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