« La Belle au bois dormant », une fastueuse pièce-montée
L’Opéra Bastille présente "La Belle au bois dormant" de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants... L’article « La Belle au bois dormant », une fastueuse pièce-montée est apparu en premier sur Causeur.

L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants.

L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.
Un ouvrage d’apparat
La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.
Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.
La seule grâce d’un baiser
Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.
Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.
Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.
Comme une curiosité d’un autre âge
En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.
Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.
Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.
Un Versailles à la russe
Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI. On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.
Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.
Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.
La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.
Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.
À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.
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