La renaissance de la forêt de Chantilly après une situation de crise

La forêt de Chantilly, entre l’Oise et le Val d’Oise, est une figure emblématique de l’Île-de-France. Elle a été l’enjeu de multiples défis forestiers, au cours de son histoire, y compris récente.

Mar 20, 2025 - 19:19
 0
La renaissance de la forêt de Chantilly après une situation de crise

La forêt de Chantilly, entre l’Oise et le Val d’Oise, est une figure emblématique de l’Île-de-France. Elle a été l’enjeu de multiples défis forestiers, au cours de son histoire, y compris récente. Au tournant des années 2000, la forêt a connu une crise majeure.


À trente minutes de Paris, à cheval sur l’Oise et le Val-d’Oise, la forêt du Château de Chantilly figure sur le podium des grandes forêts d’Île-de-France avec Fontainebleau et Rambouillet. Il y a cent trente ans, son dernier propriétaire, le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe, en fit don à l’Institut de France, charge à celui-ci de la conserver « à la France ».

La forêt du château de Chantilly est une forêt ancienne, qui s’étend sur 6 300 hectares. Les archives conservées au château remontent à plus de cinq cents ans. L’archéologie nous apprend qu’elle a été défrichée à la période gallo-romaine pour se reconstituer pendant le haut Moyen Âge, il y a 1 500 ans. C’est une forêt mélangée de chênes, de hêtres, et de tilleuls.

Plusieurs sites de ce patrimoine historique et naturel, géré par l’Office national des forêts (ONF) et la Direction forestière du château, appartiennent au réseau Natura 2000. Elle a aussi été le lieu de multiples défis pour la gestion forestière au cours des époques, pour aboutir à une situation critique au tournant des années 2000.

Des usages multiples au cours de l’Histoire

La forêt qui entoure le château fut forêt princière, de prestige et de loisir de chasse, mais aussi outil économique majeur pour la production de bois.

Pendant au moins trois siècles jusqu’en 1950, elle a été conduite selon la méthode du taillis sous futaie : le méthode TSF. Elle aboutit à un peuplement forestier composé de plusieurs étages.

  • À l’étage inférieur, des feuillus étaient coupés tous les vingt à trente ans et donnaient du bois de chauffage.

  • Le tilleul, quant à lui, a été favorisé pour son intérêt pour le grand gibier.

  • Au-dessus, les réserves, une trentaine de grands arbres par hectare dans l’idéal, étaient conservées sur plus d’un siècle pour produire le bois d’œuvre.

Après 1960, le bois des taillis ne trouvait plus de marché. Non exploités, et de faible valeur marchande, ils concurrençaient, en hauteur, les grands arbres. La décision fut donc prise de transformer le TSF en une futaie de chênes et de hêtre, où chaque étage est composé d’arbres du même âge. Elle a donné les grandes futaies de Colbert.

Exemple de futaie régulière équienne monospécifique : les arbres sont tous de la même essence et ont tous le même âge. I Doronenko, CC BY-SA

Cette technique, connue depuis 1830, consiste à supprimer le taillis, faire produire des semis aux grands arbres, puis les couper en une seule fois, en coupe définitive une fois la régénération naturelle acquise afin de repartir sur une nouvelle génération d’arbres issus de graines et tous du même âge : c’est la futaie régulière équienne. Ce dont on parle ici est un mode de gestion séculaire, étranger au débat actuel sur les coupes rases de résineux exotiques ou celles pour produire du bois énergie.

Cette conversion prend toutefois du temps : un siècle pour Chantilly, car il ne faut pas convertir et couper toute la forêt en une fois, pour assurer des revenus financiers futurs régulier.

Mais à partir de 1975, il est apparu, au vu des conditions locales de sol et de climat, que le chêne pédonculé – l’espèce dominante du TSF – et le hêtre n’étaient plus adaptés pour créer la nouvelle futaie. La conversion s’est alors orientée vers la plantation de chênes sessiles, accompagnés en complément minoritaire d’autres essences feuillues locales : merisiers, charmes, érables, châtaigniers, frênes…


À lire aussi : Changement climatique : les forêts ont-elles besoin de nous pour s’adapter ?


Une forêt en crise

Jusqu’en 2000, la méthode a fonctionné. Par la suite, la réussite des plantations est devenue de plus en plus difficile avec des problèmes de pullulation de hannetons, dont les larves mangent les racines des plants, tandis que les grands arbres se mettaient de leur côté à dépérir de plus en plus. Seul un millier d’hectares avaient pu être converti avec succès. Il restait encore au moins 5 000 hectares sans avenir.

Sur ces 5 000 hectares, la forêt du château de Chantilly était entrée dans une grave crise de survie. Les cimes contiguës des arbres constituaient un dôme uniforme avec les tilleuls et les chênes, dont la résultante était un sol ombragé sur lequel la végétation poussait avec grande difficulté.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Face à cette situation dramatique qui s’aggravait année après année, le propriétaire a décidé en 2018 de prendre des mesures à la hauteur des enjeux, conscient de la nécessité absolue de faire évoluer ses techniques de gestion pour s’adapter au nouveau contexte. Ce faisant, il accompagnait un mouvement émergent dans tout le monde forestier, forêt publique comme forêt privée, confronté ailleurs en France aux mêmes problèmes, avec plus ou moins d’intensité et sur d’autres essences que le chêne pédonculé.

Sauver la forêt de Chantilly

C’est ainsi qu’est né le mouvement « Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly ». Il a rassemblé, autour du propriétaire, une communauté d’acteurs réunis pour faire en sorte qu’à l’horizon de 2050, la forêt du Château de Chantilly conserve l’essentiel de ses fonctions écologiques, économiques et sociales actuelles.

La forêt du château de Chantilly fait partie des forêts bénéficiant d’une gestion planifiée sur le long terme et documentée depuis plusieurs siècles. La description de son environnement et les inventaires statistiques de quantité et de qualité des arbres, effectués tous les quinze à vingt ans, permettaient jusqu’alors d’avoir une vision « tendancielle » de l’état de la forêt qui évoluait peu avec le temps et de manière assez prévisible.

L’inventaire ordinaire de 2017 a mis en évidence une évolution rapide de la dégradation des arbres, inattendue et inexplicable selon les modèles classiques de comportement et l’état des connaissances sur le sol. En 2017, le seul élément de connaissance solide concernait l’évolution du climat depuis trente ans, avec de plus en plus de conditions estivales chaudes et sèches, très rares localement auparavant, plaçant les arbres dans un contexte limite vis-à-vis de leur tolérance à la sécheresse.

Il n’était, cependant, pas possible d’expliquer un tel dépérissement par ces seules observations météorologiques.

Comprendre le dépérissement des arbres

La nécessité de mieux comprendre ce phénomène de dépérissement s’est imposée comme préalable indispensable à tout projet permettant d’assurer un avenir robuste à la forestier. La première démarche a ainsi consisté à poser un diagnostic solide et partagé sur l’état réel de dépérissement, sa dynamique et ses causes.

De 2018 à 2024, un programme scientifique a été mis en place à cet effet. Cette phase d’analyse, classique de situation de crise, a mobilisé de nombreuses ressources d’expertise technique et scientifique couvrant les diverses hypothèses des causes de dépérissement : physiologique, génétique, biogéochimique, microbienne…

Cette phase a aussi permis de construire des cartes à destination du gestionnaire et du propriétaire pour zoner les actions à réaliser. Une carte de description des sols à haute définition (résolution de 70 m, avec 13 000 points de prélèvement de sols sur l’ensemble de la forêt) a ainsi été construite, ainsi qu’une méthode robuste d’inventaire automatique, complétée de trois campagnes par LiDAR, permettant de recenser tous les arbres présents avec leur hauteur et leur diamètre.

Au final, il s’avère que les types de sol les plus pénalisants pour la production forestière sont ceux où le calcaire est très proche de la surface du sol, et où les faibles réserves en eau de ces sols se cumulent avec la toxicité chimique. Le calcaire actif est ainsi néfaste à certaines essences d’arbre, comme le pin sylvestre.

La méthode de conversion en futaie par coupe rase suivie d’une plantation sur sol mis à nu après broyage complet de la végétation sur plusieurs hectares a été abandonnée.

Ce choix est la conséquence de plusieurs analyses issues du diagnostic :

  • Les sols sableux sont sensibles à l’ensoleillement direct et placent les jeunes plants en situation de stress avec des températures au sol pouvant dépasser 50 °C.

  • Les dépérissements en cours sont disséminés sur toute la forêt. La collecte des arbres dépérissant couvre le total de ce qui peut être récoltable chaque année, sans déstabiliser le modèle économique de gestion.

  • Le recyclage de la matière organique provenant des arbres (feuilles, branches, racines) fonctionne très bien sur une grande majorité des sols de la forêt.


À lire aussi : Couper la forêt pour la sauver du changement climatique, est-ce vraiment une bonne idée ?


Les solutions déployées

La préservation de la bonne santé des sols et l’optimisation de la biodiversité guident désormais la sylviculture dans la forêt de Chantilly.

Sur plus de 4 000 hectares, le renouvellement va désormais se concentrer sur les clairières de quelques centaines à quelques milliers de mètres carrés. Ces dernières ont été ouvertes par les dépérissements et l’idée est de maintenir une ambiance forestière. Autrement dit, de faire en sorte que les jeunes plants bénéficient de l’ombrage de leurs aînés et éviter qu’ils ne soient en plein soleil.

Tous les arbres en bonne santé sont maintenus, assurant un rôle d’« écran » protégeant les régénérations naturelles vis-à-vis du soleil et des vents desséchants. Dans les vides qui subsistent, de nouvelles espèces adaptées sont installées, mais aussi des arbres d’espèces déjà implantées dont les graines viennent du sud, plus chaud et plus sec.

Forêt de Chantilly en automne. Elias Gayles/Flickr, CC BY

Pour éviter le tassement des sols, la forêt est peu à peu équipée en couloirs de circulation obligatoires de quatre mètres de large, installés tous les vingt-quatre mètres, appelés cloisonnements. La circulation des machines dans ces couloirs est évitée lorsque l’état des sols, trop humides, crée un risque de dégradation. Les nouvelles technologies assurent l’enregistrement des tracés de cloisonnement (données GPS embarquées dans les engins), permettant à la nature de reprendre ses droits entre deux interventions.

Les pullulations de hannetons sont combattues grâce au développement d’une végétation ligneuse arbustive abondante au sol, qui empêche les pontes et présente aussi l’avantage de tempérer, par leur ombrage, les températures autour des jeunes arbres. Le maintien volontaire, car historique et culturel, d’une population importante de grands animaux en forêt est assuré, en modifiant les techniques de chasse et en assurant un nourrissage par la végétation ligneuse au sol qui évite les engrillagements, tout en protégeant les jeunes arbres.

Une augmentation des températures de +4 °C d’ici la fin du siècle est désormais probable. Si elle s’était déroulée sur un à deux mille ans, elle aurait transformé la forêt Chantilly en une forêt mélangée de chênes et de pins, proche des forêts méditerranéennes, plus riche en biodiversité, moins productive de bois, moins haute du côté des arbres, mais tout aussi belle aux yeux des hommes.

Nous allons faire en moins d’un siècle ce que la nature aurait fait, car elle n’aura pas la capacité de le faire à la vitesse des changements actuels. L’idée est de passer de la gestion d’une crise à la mise en œuvre d’une renaissance.

L’essentiel est d’ouvrir la voie et de s’inscrire dans le temps long, sans s’épuiser à vouloir tout changer en quelques années.


Le colloque « Nos forêts demain. Comprendre, transmettre, agir » est organisé les 21 et 22 mars 2025 par l’Institut de France, l’Académie des sciences et le Château de Chantilly en partenariat avec The Conversation. Inscription gratuite en ligne.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.