Gaza : le dilemme des voix juives

Dans une tribune très commentée, Delphine Horvilleur a révélé qu’elle s’était jusqu’alors sentie obligée de se taire pour ne pas nuire à Israël. En plus du Hamas, l’État juif mène aussi une guerre mondiale de la communication. Et les partisans d’Israël ne minimisent pas la tragédie qui frappe les Gazaouis... L’article Gaza : le dilemme des voix juives est apparu en premier sur Causeur.

Mai 16, 2025 - 11:22
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Gaza : le dilemme des voix juives

Dans une tribune très commentée, Delphine Horvilleur a révélé qu’elle s’était jusqu’alors sentie obligée de se taire pour ne pas nuire à Israël. En plus du Hamas, l’État juif mène aussi une guerre mondiale de la communication. Et les partisans d’Israël ne minimisent pas la tragédie qui frappe les Gazaouis.


Le texte de Delphine Horvilleur, « Ne pas se taire »1 provient d’une personne dont j’admire la plume: je pense à la façon dont elle a récemment envoyé dans les cordes l’humoriste Blanche Gardin empêtrée dans un antisémitisme qui ne voulait pas dire son nom.

Obligée de se taire

Pour elle, comme pour plusieurs de ceux et de celles qui ont approuvé ce texte, j’ai respect et amitié. Je partage plusieurs des exaspérations qu’elle exprime mais je lui reproche de les avoir publiées. Non pas que je pense que les Juifs doivent corseter leur opinion quand il s’agit d’Israël, mais je crois qu’aujourd’hui quand ils l’exposent, et plus encore quand leur voix porte loin, comme la sienne, ils doivent penser à l’usage qui sera fait de leurs paroles.

Delphine Horvilleur s’était sentie obligée de se taire pour ne pas nuire à Israël, et je pense qu’elle aurait dû continuer à garder pour elle ses états d’âme. Elle est un soldat dans la double guerre que mène Israël et qui est menée contre ce pays. Pour la guerre des armes, je n’ai, et probablement n’a-t-elle pas non plus, les moindres compétences techniques. Je n’ai pas la légitimité politique, car je ne suis pas citoyen israélien. Mais elle et moi, nous tous pour qui le terme de sionisme est une valeur, nous sommes des soldats de cette guerre mondiale de la communication contre Israël. Nous en sommes les spectateurs, parfois les victimes et nous ne devons en aucun cas en être les faire-valoir, même si cela offusque cette liberté d’expression que nous avons à notre disposition parce que nous vivons dans une démocratie et que cette démocratie est en paix.

Israël, au contraire, est une démocratie dans une guerre qu’elle n’a pas voulue, que le Hamas seul a provoquée et qu’il pourrait arrêter en rendant les otages.

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Émile Fackenheim, un rabbin réformé, a écrit que depuis la Shoah nous devons considérer qu’il existe une 614e obligation : ne pas donner à Hitler une victoire posthume. Pour moi, le Hamas, c’est Hitler, car je n’oublie pas le hadith des rochers et des arbres, article 7 de sa charte. Je ne traite pas de nazis tous les ennemis d’Israël, encore moins, évidemment, ceux qui soutiennent son existence mais fustigent telle ou telle facette de sa politique, mais je constate que la plupart des commentateurs négligent ce que le programme du Hamas a de génocidaire, ce terme si honteusement galvaudé contre Israël et qui garde ici son sens authentique.

La terrible réalité de la guerre

Il ne peut pas y avoir de paix avec le Hamas, comme il ne pouvait pas y avoir de paix avec les nazis. Je suis sûr que Delphine Horvilleur pense comme moi. Le problème, c’est que son texte donne du poids à ceux qui comme Ardisson comparent aujourd’hui Gaza à Auschwitz.

La guerre, c’est terrible. La gloire du Débarquement a remisé loin de la mémoire les milliers de civils tués dans les bombardements sur la Normandie qui l’ont précédé et que le collabo Philippe Henriot vitupérait à la radio comme exemple de la barbarie des Alliés. Plus près de nous presque personne ne s’est récrié contre les pertes humaines à Mossoul et à Raqqa. On savait ce qu’aurait signifié la victoire de Daech. On essaie de ne pas voir ce que signifierait la victoire du Hamas.

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Les organisations internationales, qui sont aussi engagées dans des combats idéologiques, ne voient que la responsabilité israélienne dans le drame de Gaza. Les chiffres des morts sont présentés comme s’ils provenaient d’autorités sanitaires indépendantes du Hamas, ce qui est absurde ; les manipulations sur ces chiffres ont été démontrées sans que cela soit pris en considération.

Les partisans d’Israël ne doivent pas minimiser la tragédie qui frappe les Gazaouis. En particulier, alors que depuis plus d’un an le Secrétaire Général de l’ONU agitait le spectre d’une famine imminente et non survenue, alors que le Hamas détournait une grande part des cargaisons des centaines de camions qu’Israël laissait passer, la situation alimentaire à Gaza semble être devenue dramatique depuis que les Israéliens ont changé d’attitude devant le refus du Hamas d’accepter leurs propositions sur le retour des otages. Ils ont arrêté les distributions mais ils ont aussi proposé des plans d’approvisionnement que les organisations onusiennes ont sèchement rejetés.

Être alarmé par la gravité de la situation alimentaire à Gaza est une exigence morale. En faire d’Israël le seul responsable est profondément injuste.

Faire des reproches

Il a fallu du panache à Delphine Horvilleur pour s’exposer à la vindicte de ceux qui, choqués par ses critiques, ne lui ont pas ménagé attaques et menaces parfois ignobles. Mais je ne doute pas qu’elle ait été encore plus blessée par les antisionistes invétérés qui, ravis de ce qu’ils considèrent comme une belle prise de guerre, ont clamé qu’Israël pourrissait de l’intérieur. Or, la population israélienne a su jusqu’à maintenant ne pas mélanger ses conflits internes avec les défis existentiels venant de l’extérieur.

Pour beaucoup de Juifs, dont je suis, la question angoissante de l’histoire de la Shoah, avec ses criminels, ses passifs et ses Justes, est celle qu’a posée Amos Oz: « Qu’aurais-je fait si j’avais été à la place des autres ? » Ce doute les a souvent conduits aux premiers rangs de la défense des Droits de l’Homme, dont le sionisme avait d’ailleurs été un bourgeon au siècle dernier.

Mais le sionisme est désormais caricaturé comme le prototype de l’oppression coloniale, une image que certains extrémistes israéliens aident malheureusement à conforter. Comme chacun sait, leur poids politique est aujourd’hui accru, mais la démocratie israélienne, qu’elle soit de gauche ou de droite, a des ressources puissamment ancrées dans la population.

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L’assignation coloniale pousse par réaction certains sionistes à un examen de conscience exacerbé, même si, aux yeux de leurs ennemis, ils ne seront jamais lavés de leurs tares originelles. Ce que risquent ces militants scrupuleux, c’est de perdre de vue qu’il y a, contre des ennemis existentiels, des combats indispensables, ceux par exemple que les pacifistes n’ont pas voulu mener à Munich contre Hitler avec les conséquences que l’on sait.

Dans sa dénonciation des dérives d’Israël, Delphine Horvilleur analyse le verset du Lévitique 19/18 qui contient les termes de «Tu aimeras ton prochain comme toi-même » et propose une traduction originale du verbe qui précède cette célèbre injonction. Pour le futur négatif «al titar », qu’on traduit habituellement par « tu ne garderas pas rancune », elle propose de comprendre «si tu sais adresser des reproches», ce qui sous-entend, je suppose, que faire des reproches appropriés est la véritable marque de l’amitié.

C’est le sens de ma chronique d’aujourd’hui.


  1. https://tenoua.org/2025/05/07/gaza-israel-aimer-vraiment-son-prochain-ne-plus-se-taire/ ↩

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