« Emmanuel Macron est désormais impuissant, mais il croit encore à la force de son verbe »
Mardi 13 mai, le président Macron a participé à un débat sur les « défis de la France ». Il a défendu son bilan, sans faire de propositions politiques, mais n’écarte pas une nouvelle candidature en 2032.

Mardi 13 mai, le président de la République Emmanuel Macron a répondu, pendant plus de trois heures sur TF1, aux interpellations de Français, de journalistes et de personnalités. Il a, pour l’essentiel, défendu son bilan sans faire de réelles propositions politiques, mais n'écarte pas une nouvelle candidature à la présidentielle de 2032. Quel sens donner à cette prestation ? Que dit-elle de l’état de nos institutions ? Entretien avec le juriste et politiste Benjamin Morel.
The Conversation : Comment jugez vous la prestation télévisée d’Emmanuel Macron sur TF1 ?
Benjamin Morel : De façon assez surprenante, en trois heures, il n’a à peu près rien dit. Il n’a fait aucune annonce, aucun plan…
Qu’est-ce que cela dit de la situation politique française ? On parle beaucoup d’impuissance d’Emmanuel Macron, d’immobilisme de François Bayrou… Emmanuel Macron a encore deux ans de présidence et il a surtout défendu son bilan.
B. M. : D’un point de vue constitutionnel, le président a des marges de manœuvre très limitées. Hier, il a surtout défendu le bilan de son premier quinquennat. Ce bilan-là n’est pas lié à des pouvoirs inscrits dans la Constitution, il est lié au fait que le président disposait d’une majorité qui lui donnait un vrai pouvoir. Il n’a plus cette majorité ni ce pouvoir. Il est désormais impotent et incapable de se projeter vers l’avenir.
Dans l’esprit de ses interlocuteurs et de beaucoup de Français, et d’une certaine façon dans son esprit, il y a cette idée que le chef de l’État est tout-puissant. Mais cette idée n’est pas une réalité juridique. La puissance du président de la République ne vient que d’une chose, c’est qu’il détient une majorité à l’Assemblée nationale.
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Que nous signalent les registres de discours employés par Emmanuel Macron hier soir ?
B. M. : Le premier registre était celui de l’impotence, avec des réponses sous forme de « Je peux pas » ou « C’est le domaine du gouvernement », « Ce n’est pas moi », « Vous me demandez de faire des choses… », etc.
Le second registre était celui de l’échappement vers une forme d’irréalité. Le président a validé des projets dont il sait très bien qu’ils sont impossibles à réaliser. Par exemple, il a accepté la proposition d’Agnès Verdier-Molinié consistant à supprimer le statut de la fonction publique hospitalière et territoriale sur le modèle des agents de la SNCF. Faire ça, c’est déclencher une révolution à la Chambre et bloquer le pays. C’est politiquement impossible. Son « Pourquoi pas ! », ne l’engage à rien. Autre réponse très improvisée à une proposition de Robert Ménard : l’envoi de prisonniers dans des prisons à l’étranger.
Ces questions lui ont été posées comme dans un talk-show et il répond sur le mode « Chiche ! ». Ces idées n’ont pas été étudiées, elles ne sont même pas sur la table du gouvernement. Ces réponses peu réfléchies visent à montrer une capacité d’action, mais elles révèlent surtout une impuissance, car la parole du président est sans conséquence.
Le président a suscité beaucoup d’attentes à propos d’un référendum et finalement ne s’est engagé à rien. Pourquoi une telle timidité ?
B. M. : Notons que le président a déjà fait ce type d’annonce de référendum de très nombreuses fois sans aller au bout. Nous verrons d’ici quelques mois ce qu’il décide. Mais on se demande pourquoi communiquer sur cette idée de référendum avant le débat et, finalement, ne rien dire. Cela laisse dubitatif.
Est-ce qu’Emmanuel Macron a finalement pensé qu’un questionnaire à choix multiples qui n’a de valeur consultative et qui coûte 200 millions d’euros à organiser pourrait apparaître comme un onéreux « gadget » ? A-t-il fait faire des études juridiques et financières par le ministère de l’intérieur pour savoir ce qui était vraiment possible sans loi avant de temporiser ?
Juridiquement, l’idée d’une consultation à choix multiples n’est pas impossible, mais elle est bancale. Il n’existe aucune disposition législative pour l’encadrer. Le président de la République peut annoncer « Je vais organiser une consultation », mais sans loi, les maires n’auront pas obligation de l’organiser. Est-ce que le scrutin pourrait se tenir dans de bonnes conditions ? La réponse est probablement non.
Concernant l’idée d’organiser un « vrai » référendum défini par l’article 11 de la Constitution, d’autres problèmes se posent. Le référendum est limité à la ratification de traités internationaux, à l’organisation des pouvoirs publics, à la politique économique et sociale de la nation et aux services publics. Tout ce qui relève du domaine pénal ou civil en est exclu et, par conséquent, de nombreuses questions.
La fin de vie, juridiquement, va impliquer de dépénaliser certains actes consistant à donner une substance létale – donc c’est aussi du pénal : cela ne peut entrer dans le cadre de l’article 11 que dans une vision très extensive.
L’immigration n’est pas un domaine du droit français, c’est simplement un « sujet ». L’aspect économique de l’immigration pourrait être l’objet d’un référendum – par exemple le droit à l’aide médicale d’État, mais c’est très restreint. Si vous parlez de pénalisation de l’entrée illégale sur le territoire, c’est du pénal. Si vous parlez du droit du sol, ou de regroupement familial, c’est du civil. Donc pas de référendum possible.
La loi de finances ne peut pas vraiment être soumise à référendum, car la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2022 exclut la question de la fiscalité du champ référendaire.
La question des retraites pourrait être un sujet de référendum, mais Emmanuel Macron n’en veut pas.
Supprimer un échelon territorial comme le département ? Impossible, parce que les départements et les régions sont dans la Constitution : on ne peut les supprimer sans changer la Constitution.
Limiter le temps d’écran pour les jeunes ? Ce serait possible. Mais les Français vont-ils aller voter pour cela ?
Les sujets qui restent ne sont pas vraiment mobilisateurs ou suffisamment structurants dans l’opinion.
Le domaine international a été largement abordé par Emmanuel Macron. Il a rappelé son engagement diplomatique et militaire pour soutenir l’Ukraine, promettant de nouvelles sanctions, confirmé le projet d’une dissuasion nucléaire française étendue à l’Europe. Il a également dénoncé avec force la politique du premier ministre Benyamin Nétanyahou à Gaza. L’international est-il le seul domaine où Emmanuel Macron a le pouvoir d’agir ?
B. M. : Emmanuel Macron a beaucoup commenté son action diplomatique et militaire, domaine où il est très mobilisé. En matière diplomatique, parler c’est déjà faire, on peut donc dire, d’une certaine manière, qu’il agit.
Pour autant, le domaine réservé du président de la République, cela n’existe pas. François Bayrou laisse la main au président sur ces sujets, mais ce n’est en aucun cas un pouvoir défini par la Constitution. Quand le président de la République s’exprime dans le cadre d’un Conseil européen, il ne peut s’engager pour le pays si cela implique une modification de traité ou une directive.
Aujourd’hui, le gouvernement lui laisse le champ libre et les dossiers à traiter sont des dossiers purement diplomatiques et militaires qui n’impliquent pas de ratification du Parlement – ainsi le déploiement de l’arme atomique en Europe évoqué par Emmanuel Macron.
Finalement, on se demande pourquoi Emmanuel Macron a choisi cette mise en scène sur TF1 ? S’apprêterait-il à « débrancher » François Bayrou empêtré dans l’affaire Bétharram et à convoquer des législatives ? Quels sont les scénarios pour les deux ans de présidence à venir ?
B. M. : Je doute que l’objectif soit de « débrancher » François Bayrou. Si Emmanuel Macron décidait de dissoudre l’Assemblée demain, il aurait probablement un socle commun encore plus réduit. Même si une majorité absolue émergeait, elle ne sera pas macroniste, mais à la main d’Édouard Philippe ou de Gabriel Attal. Eux peuvent se présenter en 2027 alors qu’Emmanuel Macron ne le peut pas – ce qui l’empêche définitivement de reprendre la main. La seule chose qui reste aujourd’hui à Emmanuel Macron, c’est l’espoir de sauver son image et son bilan, de maintenir un lien avec les Français.
Mais tous les commentateurs soulignent l’échec de cet exercice – difficilement compréhensible en termes de stratégie…
B. M. : Lors du « grand débat national », contre toute attente, Macron a réussi, par la seule force de son verbe, à calmer la crise et à stabiliser son mandat. Il faut lui reconnaître ce talent. Depuis, il tente de rééditer l’exercice mais échoue. Je crois qu’il est persuadé qu’il peut convaincre parce qu’au fond, il est certain d’avoir raison, qu’il pense avoir bien fait, qu’il connaît sa force de conviction.
La différence, c’est qu’à l’époque du grand débat, Emmanuel Macron pouvait se projeter dans l’avenir, faire des promesses, il n’était pas aussi impuissant. Désormais, convaincre devient très compliqué, voire impossible.
La conclusion de son intervention était particulièrement inattendue. À la question : « Serez-vous candidat à l’élection présidentielle de 2032 ? » Emmanuel Macron répond : « Quand j’aurai fini, je réfléchirai à la suite. À ce moment-là, je pourrai vous répondre. Mais aujourd’hui, je n’ai pas réfléchi. »
B. M. : Effectivement, dans une séquence assez surprenante, il n’a pas fermé la porte à un troisième mandat. Il n’a pas le droit de faire plus de deux mandats successifs, et devra donc s’effacer en 2027, mais 2032 est bien une possibilité.
Propos recueillis par David Bornstein.
Benjamin Morel est membre du Laboratoire de la République, de la Fondation Res Publica, de l'Institut Rousseau, l'Observatoire de l'Ethique Publique.