Apocalypse Now
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(Donald Trump à la BnF)
Fin de partie. « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas ». Rideau noir sur fond noir, en 1957 Beckett enterrait les conventions théâtrales dans l’angoisse, l’aliénation et l’absurde. Le temps est proche… Nous y voilà. Donald Trump digresse, délire, dénonce, se pavane, s’agite : une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Black Friday, tout doit disparaitre : le libre-échange, le multilatéralisme, les parapluies. Le bazar fait bien les choses : « Apocalypse. Hier et demain », c’est aussi une exposition éblouissante, à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, jusqu’au 8 juin.
Game over
Cent jours de pétrin et le meilleur pour la fin. Un tiers Macbeth, un tiers Idi Amin Dada, un tiers Jean-Ferdinand Choublanc (La Foire aux immortels, Bilal), un quatrième tiers Abdallah (Tintin), le Léviathan de Mar-a-Lago massacre nos dernières illusions. L’idéal nihiliste-libéral-libertaire triomphe. Le pitch du metteur en Cène est simple : reféodalisation du monde, guerre de tous contre tous, Vae victis. Tout le monde rit jaune, serre les fesses, s’indigne, condamne le slam hardcore de Donald Arturo Ui.
L’Europe des marchands de choux-fleurs bio et rosières vegans réfléchit à une possible riposte, graduée : une directive « yakafautqu’on résiste », un Grenelle du missile solaire, des États-généraux du char électrique, une ligne Maginot végétalisée pour abriter le harle huppé, la marouette poussin et arrêter les Russes, sans oublier le « Coran européen » – alternatif – avec voile inclusif et Djihad bienveillante. La Nef des flous et le clan des saints. Sylvain Macron, Sylvette von der Leyen, les Européens, depuis trois générations, s’illusionnent sur les « Compères » : l’ours Russe, le loup Chinois, le renard islamique et Trump qui joue au sanglier. Si les MP Yankees mettent les bouts, qui fera la police sur la ligne Curzon, qui nous protégera contre les Cosaques, prédateurs, racailles, à l’Est, au Sud, qui menacent une Marianne en cessation des paiements ? L’Occident est rattrapé par l’histoire, fracassé par le réel et les questions maudites : l’alpha et l’oméga, le pourquoi, les raisons de vivre et de mourir.
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A Aubagne, Emmanuel Macron joue au Morfalou, se suce la langue sur la patrie, l’héroïsme de la Légion, Camerone. « La France, patrie de volonté et de bravoure, qui ne se définit ni par le sang, ni par une race, ni par une religion, ni par une identité figée, mais une volonté, chaque jour recommencée, d’accomplir de grandes choses avec une poignée de notre terre dans la main, un rêve universel, un idéal, cette solidarité, cette fidélité à la patrie ». Les bavasseries politicardes, discours avariés de bravitude toutlemondiste pondus par des Télétubbies de cabinet, minent la nation… Stabat m’atterre d’un pays qui sombre.
« La demi-journée défense et citoyenneté (JDC) obligatoire pour les jeunes de 16 à 25 ans permet de rappeler à chacun que la liberté a un prix. C’est aussi une occasion unique de contact direct avec la communauté militaire » (site du ministère des Armées). Les cœurs vaillants s’instruisent pour vaincre. Trois vidéos sur notre ZEE, les TAAF, la féminisation des SNLE, avant le morceau de bravoure, des QCM pour tester les QI : « Le mot frapiole existe-t-il ? Vice et vise se prononcent-ils de la même façon ? Épeler lapin. Quel est l’ordre correct des couleurs du drapeau français ? ».La quille à midi avec un certificat de participation et une dernière recommandation : « Ne le pliez pas, roulez-le, il va vous servir » !
Les bourses, les droits de douane, les alliances tanguent, mais l’essentiel est ailleurs. Le Gilgamesh de Wall Street, la lune rousse trumpiste, ébranlent la planète des songes, une épistémè à bout de souffle, les tartufferies hors-sols du post-progressisme lacrymal-victimaire. Le ventre fait l’con d’où a surgi la bête immonde… Comme le chant du cygne du XVIIIe siècle et une machine à remonter le temps qui se met en marche. Tout le monde ment et se ment. Le retour du XVIIe siècle, de la fausseté des vertus humaines. Make Jacques Esprit, La Rochefoucauld et la marquise de Sablé Great Again ! Le retour du XVIe siècle, des guerres de Religion, du XVe siècle, de la guerre de cent ans… Cap au Cœur des ténèbres : dans une marmite d’IA, un bouillon d’anthropocène, ajouter une louche de vérités crypto-alternatives, un soupçon de complotisme, une pincée de transhumanisme, un zeste de Musk. A table ! Un ange passe et s’enfuit, épouvanté.
La BnF met en scène l’Apocalypse
Etymologiquement, l’Apocalypse c’est un dévoilement, une révélation et beaucoup d’interprétations : une manière de récapitulation (littéralement, redonner une tête), aussi. La fin d’un monde, du monde, avant quel retour, quelle Renaissance ? L’actualité, tragique, se décline au subjonctif et futur antérieur : guerres froides, chaudes, néo-ante décoloniales, post-apo, à toutes les sauces. Mad Max, Simon du Fleuve, Valérian agent spatio-temporel, Yoko Tsuno, sont revenus. Les élus, damnés, dystopies, le Septième Sceau, La Mort d’Orion (Manset), HAL 9000, de retour, pour de vrai, pour de bon ? C’est creux jusqu’à l’infini et … oh mon Dieu, c’est plein d’étoiles…
« Apocalypse. Hier et demain ». L’exposition de la BnF embrase avec bonheur l’histoire et l’esthétique des millénarismes, de l’attente, de la fin. Nous admirons de prestigieux manuscrits de l’Apocalypse de Jean, le Beatus de Saint-Sever, des fragments de la célèbre tenture de tapisseries d’Angers, la suite de gravures de Dürer, moult chefs-d’œuvre, tableaux, sculptures, installations, extraits de films de Bergman, Marker, Resnais.
« Le Livre de la Révélation » qui ouvre l’exposition plonge le spectateur dans l’Apocalypse de Jean, suggère des clés d’interprétation sur les sept coupes de la colère de Dieu, l’étoile Absinthe et l’aigle de malheur, le dragon enchainé pour mille ans : une méditation sur le temps absolu, herméneutique savante et didactique de liturgie céleste. La seconde partie, « Le temps des catastrophes », est consacrée à la fortune de l’Apocalypse dans les arts : Dürer côtoie Callot, Goya, Blake, Redon, l’apocalyptique anglais, l’expressionnisme allemand. « Le jour d’après », troisième temps de l’exposition, imagine les mondes à venir, l’Apocalypse par les gouffres. Dans le remarquable catalogue, Charlotte Denoël, Frédéric Boyer, Georges Didi-Huberman, François Angelier, digressent sur l’Apocalypse au Moyen-âge, sa fortune populaire, les visions d’éclairs, de nuées, la lumière d’Ixo, les naufragés du temps, Brooklyn station terminus cosmos.
In fieri, le temps du rétablissement, l’apocatastase, c’est long, surtout vers la fin… Jeanne Brun, la Commissaire de l’exposition, met les pieds dans le plat : « A la question de savoir comment l’humanité devait continuer à exister s’est substituée aujourd’hui celle de savoir si elle devait ou non continuer. Cette question est écrasante… ». La situation est trop désespérée pour être vraiment sérieuse. « Puisque ça se joue comme ça, jouons ça comme ça et n’en parlons plus … » (Beckett).
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