Agentes secrètes britanniques en mission dans la résistance française : une histoire méconnue
80 ans après la Libération, l'action des femmes résistantes du SOE reste méconnue ou trop glamourisée. Quelle fut la véritable nature de leur expérience ?


80 ans après la capitulation de l’Allemagne nazie, la présence de femmes parmi les agents britanniques déployés dans les réseaux de résistance suscite toujours une certaine fascination. Leur action, encore trop rarement évoquée, n’échappe pas à des formes de romantisation et de glamourisation. N’est-il pas temps de rendre compte de la véritable nature de leurs expériences ?
Après la capitulation française en juin 1940, le Royaume-Uni s’impose comme le dernier rempart contre le Reich. Churchill n’entend pas s’enfermer dans une posture défensive. Il met sur pied une organisation clandestine chargée de « mettre le feu à l’Europe » en agissant dans les pays tombés sous le joug nazi. La mission du Special Operations Executive (SOE) est de soutenir les foyers d’opposition naissants, en leur fournissant armes et munitions et en coordonnant leurs actions.
Le SOE doit ainsi poursuivre le combat là où les troupes régulières ont capitulé et pour ce faire, s’appuie sur la guerre de subversion et d’usure. Mais derrière ces méthodes non conventionnelles, un autre aspect suscite toujours une certaine fascination plus de 80 ans plus tard : le recrutement délibéré d’officiers féminins.
Qui étaient ces agents féminins ?
Sur les 470 agents de la section F déployés sur le territoire français, 39 étaient des femmes, âgées de 19 à 51 ans, certaines mères de jeunes enfants. Recrutées pour la plupart dans la société civile, elles formaient un panel très varié, tant par leurs nationalités que par leurs origines sociales.
S’il est difficile de dresser un profil type, certaines motivations et caractéristiques communes peuvent être dégagées. Citons en premier lieu leur volonté patriotique de contribuer activement à la lutte contre la tyrannie nazie. La maîtrise parfaite du français et une solide connaissance des codes socioculturels français constituaient une condition absolue pour se fondre dans leur environnement. Elles devaient également faire preuve de sang-froid, d’endurance, de discrétion et d’une grande résistance nerveuse.
C’est ainsi que des femmes comme Pearl Witherington purent endosser des responsabilités traditionnellement assignées aux hommes en assurant la direction d’un réseau dans un milieu a priori hostile au commandement féminin.
Pourquoi ce recrutement ?
Compte tenu des attentes de l’époque, l’idée même d’envoyer des femmes en mission derrière les lignes ennemies peut surprendre. Ce type de recrutement était contraire aux statuts militaires. Par ailleurs, la société française des années 1940 entretenait une vision de la femme dans laquelle les rôles de mère et de ménagère étaient exaltés.
Cet aspect fut paradoxalement décisif. Du fait des rôles qui leur étaient socialement assignés, les femmes avaient la possibilité de circuler plus librement sans éveiller les soupçons. Les hommes représentaient au contraire des suspects naturels aux yeux des Allemands, surtout à partir de 1943 et l’instauration du STO.
Entraînement et missions
À un moment où les rôles féminins au sein de l’armée étaient restreints à ceux d’auxiliaires des hommes, les agentes du SOE suivirent le même entraînement paramilitaire que les hommes, servirent à leurs côtés et furent parfois amenées à combattre. Ces trente-neuf recrues furent ainsi formées aux techniques de sabotage et de combat rapproché. Avant d’être parachutées en France, elles furent également initiées au maniement des armes, au chiffrement et aux techniques de survie.
Les missions qui les attendaient étaient extrêmement dangereuses. Beaucoup avaient été formées en tant qu’opératrices radio, chargées de maintenir le lien vital entre le terrain et Londres. Aux heures les plus sombres de la répression nazie, un opérateur radio pouvait, en moyenne, espérer rester 6 mois en activité.
Venaient ensuite les agents de liaison qui servaient d’intermédiaires entre les différents membres de réseaux. Elles participaient généralement à la réception des parachutages d’armes mais se chargeaient également de déplacer le poste des opérateurs radio, amenés à changer de lieu d’émission régulièrement. Il s’agissait de sécuriser le réseau en évitant la prise conjointe du poste et de son opérateur en cas d’arrestation.
Toutes étaient affiliées à la Women’s Auxiliary Air Force (WAAF) ou à la First Aid Nursing Yeomanry (FANY). Malgré ce statut censé les protéger, elles étaient exposées aux mêmes risques que leurs frères d’armes, à savoir les interrogatoires violents, la torture et la déportation. Treize d’entre elles payèrent de leur vie leur engagement et trois seulement revinrent des camps.
Une postérité inégale et romancée
L’élément qui frappe le plus lorsqu’il s’agit d’évaluer la trace mémorielle de ces femmes est le déséquilibre dans le degré de reconnaissance publique qui leur a été accordé individuellement. Outre-Manche, quelques-unes comme Violette Szabo et Odette Sansom sont devenues de véritables héroïnes de guerre ancrées dans la mémoire collective. Ces deux agentes de liaison avaient été appréhendées en service actif puis déportées à Ravensbrück après plusieurs semaines d’interrogatoire et de torture. Aucune n’avait cédé. Violette fut exécutée, Odette survécut. Mais au-delà de ces icônes, la plupart de leurs consœurs sont tombées dans l’oubli, le cas d’Eileen Nearne étant le plus criant. Si certaines cherchèrent dans l’anonymat un retour à la vie normale, en braquant les projecteurs sur les figures emblématiques de Sansom (Odette, Agent S 23, Wilcox, 1950) et de Szabo (Carve her Name with Pride, Gilbert, 1958), il semblerait que l’industrie cinématographique britannique d’après-guerre ait indirectement éclipsé les autres, tout en contribuant à la construction d’une certaine mythologie du SOE.
Des productions plus récentes comme Charlotte Gray (Armstrong, 2001) et Les Femmes de l’Ombre (Salomé, 2008) leur ont permis de gagner en visibilité auprès du public français. Celles-ci manquent toutefois de crédibilité et de cohérence, les films ne pouvant rendre justice aux expériences vécues dans toute leur complexité. Au final, ils ne renvoient qu’une représentation déformée par une approche romancée et glamourisée, où l’intrigue amoureuse prend le pas sur les actions. Selon Clare Mulley, biographe de Christine Granville, les agentes sont souvent davantage honorées pour leurs intentions ou leur charme que pour leurs accomplissements, « leur beauté et leurs sacrifices ayant été soulignés et leurs aspérités ayant été gommées. Afin d’être célébrées, elles ont souvent été présentées comme des victimes, plutôt que comme des héroïnes ».
Une reconnaissance officielle insuffisante
Bien que leur contribution soit incontestée, l’hommage national fut très mesuré en France. Aux yeux du gouvernement gaulliste d’après-guerre, les agents du SOE avaient travaillé pour les Britanniques et la contribution alliée mettait à mal le mythe résistancialiste en construction d’une libération franco-française (ainsi, il fallut attendre 40 ans pour une traduction française de l’ouvrage monumental de Michael Foot, Des Anglais dans la Résistance, paru en 1966).
Côté britannique, la plupart ne reçurent que des distinctions civiles. Pearl Witherington n’obtint la version militaire de l’ordre de l’Empire britannique qu’après avoir décliné sa version civile. Seules Violette Szabo, Noor Inayat Khan (la première opératrice envoyée en France) et Odette Sansom, les seules érigées au rang d’héroïnes, reçurent la George Cross, à titre posthume pour Szabo et Khan.
Le fait que les résistantes, de manière générale, aient été occultées de la mémoire collective tient aussi au fait qu’au sein des maquis, leurs contributions furent souvent perçues, par les femmes elles-mêmes, comme le prolongement de leurs rôles traditionnels. Après-guerre, beaucoup déclarèrent avoir fait leur devoir. Là où la plupart des hommes recherchaient une reconnaissance officielle, elles tendaient à s’effacer ou à minorer leur rôle. Significativement, seules 6 des 1 036 Compagnons récipiendaires de l’ordre de la Libération furent des femmes.
Aussi, il est important de rendre hommage à l’engagement des résistantes en analysant la véritable nature de leurs expériences et en s’écartant de la perception romancée et/ou hagiographique qui s’est construite au fil du temps, quand toutefois leur action a été évoquée.
Sylvie Pomiès-Maréchal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.