Un chrétien à La Mecque
Est-ce possible ? Ça l’a été pour Michel Santi qui y fut invité en 1975 par le Prince Abdallah d’Arabie Saoudite, appelé à devenir le Roi Abdallah bien des années plus tard... L’article Un chrétien à La Mecque est apparu en premier sur Causeur.

Est-ce possible ? Ça l’a été pour Michel Santi qui y fut invité en 1975 par le Prince Abdallah d’Arabie Saoudite, appelé à devenir le Roi Abdallah bien des années plus tard.
Être exfiltré de Jérusalem par Shimon Peres en 1982 ? Encore possible pour Michel Santi, dont la vie était menacée par les Arabes de la ville qui le prenaient pour un espion.
Il ne s’agit pas là du dernier livre de John le Carré, mais d’Une jeunesse levantine (préface de Gilles Kepel, éd. Favre) qui vient de paraître, où Michel Santi relate une adolescence tout aussi chaotique que romanesque, jalonnée de rencontres exceptionnelles et de transgressions involontaires… ou pas ?
De sa description minutieuse à sa mise en état d’ihram consistant à se purifier avant de tourner autour de la Kaaba, au port de l’étoile de David à son cou quelques années plus tard par amour pour un juif français, Santi dévoile 7 ans de sa vie, entre 1975 et 1982.
Sa rencontre touchante avec celui qui n’était pas encore le «Commandant Massoud» afghan, à Beyrouth au tout début de la guerre civile libanaise alors qu’il s’est enrôlé au dispensaire de la plus radicale des milices chrétiennes, les Gardiens des Cèdres. Celle avec l’instigateur des attentats terroristes des J.O. de Munich, Abou Hassan, par ailleurs playboy et jet-setteur notoire – qui se trouve être le mari de sa cousine germaine Georgina, unique Libanaise à avoir jamais été élue Miss Univers. Le style de Michel Santi et sa maîtrise du français emmènent le lecteur – et le tiennent en haleine – tout au long de ce récit divisé en 51 chapitres d’une diversité à couper le souffle.
À lire aussi, Arnaud Benedetti : Sansal: le martyre doit cesser
Au Caire, il assiste à un concert de la légendaire Oum Kalsoum, amie des Santi qui se trouvent être des Français d’Égypte. Au Liban, il prend des risques fous en grimpant sur un camion crachant des orgues de Staline. C’est vers Jérusalem qu’il s’évade avec un déserteur de l’armée israélienne qui se trouve être à Beyrouth en 1982. À Neauphle-le-Château, il devient l’espace d’une après-midi le confident de Khomeiny. Pour en devenir l’otage en ce 31 janvier 1979 où ce dernier rentre en Iran avec ses comparses pour accomplir leur Révolution islamique.
« Je ne retourne pas pour baisser le prix du citron », lui avoue Khomeiny, qui lui livre ses projets pour faire triompher le chiisme à travers tout le Moyen-Orient. Témoignage extraordinairement précieux que nous livre Michel Santi, et d’une actualité brûlante, puisque c’est l’ensemble du projet qui lui est dévoilé par celui qui voue une haine inextinguible aux Saoud, et aux sunnites en général. Ces mots, « il y a des cadavres essentiels », du plus éminent membre du clergé chiite ayant jamais existé est significative, lourds de sens, éclairent les méfaits et atrocités commis en Iran et ailleurs, particulièrement à la lueur des événements récents. Ils évoquent la fameuse répartie de Saint-Just : « La Révolution est glacée. »
Entre les lignes, au gré des nombreuses notes explicatives et contextuelles de l’auteur, nous comprenons mieux les lignes de force qui burinent cette région. Le tour de vis hyperconservateur des Saoud suite aux attentats terroristes de La Mecque en 79, qui ont suscité l’émergence de Ben Laden. Les purges consécutives de Khomeiny qui ont conduit certains des compagnons de voyage de Santi, lors de ce fatidique voyage vers l’Iran, à être exécutés ou exilés par celui-là même qu’ils avaient porté au pouvoir. La haine réciproque des Arabes et des Juifs de Jérusalem, en 1982. Les massacres perpétrés par toutes les parties en présence durant la guerre civile libanaise, dont Santi fut témoin direct, pour certains d’entre eux comme le siège et la prise du camp palestinien de Tel el Zaatar ou le massacre du village chrétien de Damour.
Bref, j’ai été transporté, fasciné, éclairé, tétanisé, ému par la lecture de ce livre que j’ai du mal à qualifier, mais qui va compter. Pour les historiens, pour l’actualité, pour les amateurs de religion, pour un parcours humain d’une inouïe complexité.
250 pages
Une jeunesse levantine - Beyrouth, La Mecque, Khomeiny, Jérusalem
Price: 20,00 €
6 used & new available from 16,00 €
L’article Un chrétien à La Mecque est apparu en premier sur Causeur.