Sound of Falling : la mort comme héritage, premier choc de Cannes 2025

Film hypnotique et sensoriel présenté en compétition à Cannes 2025, "Sound of Falling" sonde la fragilité de l’existence à travers un siècle de douleurs féminines et de présences fantomatiques.

Mai 15, 2025 - 17:34
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Sound of Falling : la mort comme héritage, premier choc de Cannes 2025

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Une fresque funèbre et formellement radicale

On ne savait pas grand-chose de Sound of Falling avant sa projection en compétition officielle, si ce n’est deux images intrigantes dévoilées en amont du Festival. Et c’est peu dire qu’elles étaient fidèles à l’expérience : le film de l’Allemande Mascha Schilinski s’impose comme l’un des objets les plus déroutants et les plus fascinants de cette édition 2025.

Construit en quatre mouvements, chacun centré sur une femme ou fillette vivant à une époque différente dans la même ferme isolée, Sound of Falling tisse un fil invisible entre ses héroïnes. Si les décennies passent, les murs, eux, gardent les traces. La violence masculine, les silences imposés, les tragédies indicibles : tout semble s’être sédimenté là, dans ce huis clos rural et spectral.

Mais plus qu’un récit à clés ou un drame familial étendu, le film frappe surtout par sa forme. La mise en scène de Schilinski est d’une rigueur presque chirurgicale, sculptant l’espace avec des travellings lents, des cadrages habités et des jeux de miroirs qui troublent les repères temporels. Le travail sur le son, tout en respiration et en tensions sourdes, participe à cette sensation d’envoûtement permanent. À l’écran, les personnages évoluent comme des âmes piégées entre deux mondes.

Portée par une distribution au diapason, et une direction artistique à la fois gothique et épurée, Sound of Falling ne cherche jamais à plaire ou à expliquer. Il happe, il trouble, il demande de se laisser porter, au risque de se perdre.

Entre les morts et les vivants, le fil invisible

Il y a dans Sound of Falling une noirceur immédiate, palpable, presque clinique. Mais c’est une autre émotion qui surgit en premier lieu : celle du flottement. Plus qu'un film sur les traumas, aussi nombreux et puissants soient-ils, c’est un film sur la frontière. Celle qui sépare les vivants des morts, les corps solides des corps fragiles, les âmes ancrées de celles qui vacillent.

À plusieurs reprises, des personnages semblent attirés vers le vide. Vers ce qu’on ne voit pas, mais qu’on ressent. Cette sensation de chute — littérale ou métaphorique ("falling") — hante le récit. Et elle n’est pas qu’une métaphore : elle s’incarne aussi dans les images les plus glaçantes du film, ces photographies post mortem que les familles prenaient avec leurs morts, figées dans une immobilité d’un autre temps. Comme un dernier lien, une preuve de passage, une tentative désespérée de maintenir en vie ce qui ne l’est plus.

Le son, lui aussi, joue un rôle central. Sound of Falling n’est pas un simple titre poétique : c’est une promesse de vertige. Des grésillements, des grondements sourds, des bruits de chutes — pour de faux ou pour de bon — traversent les époques et les scènes. Ils relient les personnages comme des fils invisibles, ancrent la mémoire dans le corps du spectateur. C’est une bande-son organique, presque prémonitoire, qui semble annoncer les basculements avant même qu’ils ne surviennent.

Certaines figures, ancrées dans le réel, avancent avec la volonté de vivre. D’autres, au contraire, semblent déjà un peu absentes, comme si quelque chose les tirait vers les ténèbres. Ce sont elles qui marquent le plus. Celles pour qui la question n’est plus comment vivre, mais faut-il sauter pour comprendre ce que ça fait de mourir ?

Et dans ce fil tendu entre générations, ce sont bien les femmes qui tiennent ou tombent. Les corps sont hérités autant que les douleurs. Il ne s’agit pas seulement de transmission génétique ou familiale, mais de mémoire émotionnelle, de cicatrices invisibles qui traversent le temps. Les récits semblent se dérouler en simultané, dans un espace-temps poreux où les fantômes d’hier répondent aux vivantes d’aujourd’hui. C’est un héritage immatériel, longtemps ignoré, que Mascha Schilinski matérialise ici avec une puissance troublante.