Recycler les déchets plastiques et le CO₂ en nouveaux matériaux : une piste sérieuse pour le climat ?
Un projet de recherche ambitionne de transformer les déchets plastiques en nouveaux matériaux pour la construction, tout en retirant du CO₂ de l’atmosphère.

Un projet de recherche ambitionne de transformer les déchets plastiques en nouveaux matériaux innovants à l’aide de réactions chimiques permettant de retirer du CO2 de l’atmosphère. État des lieux d’une piste encore jeune, mais déjà prometteuse.
Le plastique suscite de fréquents débats : pollution marine, recyclage… Omniprésents dans l’économie mondiale, leur production, leur utilisation et leur élimination représentent environ 4,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), sans parler de leurs impacts sur la biodiversité marine.
Les appels à réduire leur usage se multiplient, mais une question persiste : les alternatives aux plastiques permettent-elles de réduire les émissions de GES au niveau global ? Un sac en papier, par exemple, bien qu’il semble plus écologique qu’un sac en plastique, peut engendrer jusqu’à trois fois plus d’émissions de GES sur l’ensemble de son cycle de vie. En parallèle du problème de plastique, les émissions de CO₂ continuent de croître au niveau mondial.
Et s’il était possible de faire d’une pierre deux coups, en valorisant à la fois les déchets plastiques et le CO2 pour les transformer en produits utiles, par exemple des matériaux de construction ? C’est l’objectif du programme de recherche Pluco (pour Plastic Waste Upcycling by CO₂ Valorization).
L’enjeu : concevoir de nouveaux matériaux piégeant du CO2 à partir de déchets plastiques, tout en s’assurant que ce CO2 soit très peu relâché à l’échelle humaine. On estime à 100 000 ans le temps pour que le CO2 incorporé à des matériaux de construction soit réémis dans l’atmosphère. Lorsqu’il est réutilisé pour l’industrie chimie ou pharmaceutique, ce délai est d’environ 10 ans, et même de seulement un an pour la production de carburant à partir de CO2, selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie.
Le recyclage des plastiques reste insuffisant
Le recyclage des plastiques repose aujourd’hui majoritairement sur des procédés mécaniques (tri, broyage, lavage). Ces derniers présentent plusieurs limites majeures :
Qualité dégradée : les plastiques recyclés perdent souvent jusqu’à 50 % de leurs propriétés mécaniques (souplesse, rigidité, propriétés barrières notamment au gaz…), ce qui limite leur réutilisation. Une bouteille d’eau gazeuse recyclée ne permettant pas de retenir le gaz carbonique ne présenterait que peu d’intérêt.
Coûts élevés : ces procédés sont énergivores, avec un coût moyen de recyclage avoisinant 400 à 500 euros par tonne.
Émissions de CO2 : environ deux kilogrammes de CO2 sont émis pour chaque kilogramme de plastique recyclé mécaniquement, du fait de l’énergie utilisée pour le tri mécanique.
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Bien que ces techniques permettent une réduction partielle des émissions, elles restent loin d’être idéales. À l’inverse, le recyclage chimique, notamment par solvolyse – c’est-à-dire, par dissolution à l’aide d’un solvant –, ouvre la voie à des économies substantielles pouvant atteindre 65 à 75 % de réduction des émissions de CO₂.
Des solvants verts pour transformer les plastiques ?
La solvolyse est une technique de traitement qui permet de décomposer les plastiques inertes comme les polyoléfines (un des types de polymères plastiques les plus courants) pour les transformer en matériaux fonctionnels. Par exemple, le PET, utilisé dans des produits courants comme les bouteilles plastiques et les fibres textiles, peut être recyclé par solvolyse pour produire de l’éthylène glycol. Bien connu pour son rôle d’antigel dans les radiateurs de voiture, il peut également être réutilisé dans la production de nouveaux produits en PET, contribuant ainsi à la réduction des déchets plastiques et à la réutilisation de matériaux.
Selon ce procédé, une tonne de plastique traité peut produire jusqu’à 800 kg de matières premières réutilisables, tout en économisant trois à six tonnes de CO₂ par rapport aux procédés traditionnels.
Autre axe d’amélioration en dehors des procédés eux-mêmes : le remplacement des catalyseurs métalliques par des catalyseurs organiques afin de les rendre plus respectueux de l’environnement sans recourir aux métaux lourds utilisés dans les catalyseurs traditionnels.
La toxicité potentielle des catalyseurs métalliques pose en effet problème, notamment en ce qui concerne l’utilisation de métaux lourds comme le palladium, le platine ou le nickel. Ces métaux peuvent entraîner des risques pour la santé et l’environnement, notamment en cas de contamination des sols ou des eaux. Des études montrent que leur accumulation dans les écosystèmes peut avoir des effets délétères sur la biodiversité et les chaînes alimentaires.
C’est justement cette voie que nous explorons dans nos recherches, en valorisant le CO2 comme une véritable brique de construction chimique.
Le CO₂, une ressource chimique sous-exploitée
L’une des voies que nous explorons est la transformation du CO2 en produits carbonatés. Ces derniers trouvent des applications industrielles variées comme les batteries, les plastiques biodégradables ou encore les revêtements. Cette approche représente une alternative durable aux produits dérivés du pétrole, et permet de convertir pas moins de 500 kg de CO2 par tonne de dérivés carbonatés produits.
Notre approche consiste à tirer parti des catalyseurs organiques pour permettre à ces réactions de survenir dans des conditions plus simples et à des températures plus modérées. Nous travaillons également sur l’ajout de CO2 dans des plastiques recyclés pour produire de nouveaux matériaux utiles, par exemple dans le domaine de la construction.
Ces deux approches combinées – revalorisation du CO2 et des plastiques – ouvrent ainsi la voie à des applications industrielles variées dans les secteurs de l’emballage, de la construction et même de la santé. L’objectif de Pluco est de démontrer la faisabilité de ces procédés à l’échelle industrielle et leur intérêt tant économique qu’en matière de durabilité.
Vers un recyclage plus décentralisé
Aujourd’hui, le recyclage des plastiques repose sur un nombre limité d’usines centralisées, comme en Belgique où seules quelques infrastructures traitent l’ensemble des déchets plastiques du pays. Pourtant, les déchets plastiques et les émissions de CO2 sont un problème global, présent dans toutes les régions du globe.
Grâce à sa flexibilité et à son efficacité, la technologie que nous développons avec Pluco pourrait favoriser un recyclage plus décentralisé. Plutôt que de concentrer le traitement des déchets sur quelques sites industriels, il deviendrait envisageable de mettre en place des unités de transformation locales, installées directement là où les déchets sont produits.
Par exemple, des lignes d’extrusion réactive – système qui permet de transformer des plastiques à des températures plus basses que celles utilisées dans les procédés de recyclage classique – pourraient être déployées dans divers contextes industriels et géographiques, réduisant ainsi le besoin de transport des déchets et maximisant l’impact environnemental positif du procédé.
Ce procédé est une technologie bien connue, facile à mettre en œuvre et localisable partout dans le monde. En travaillant à des températures où les plastiques deviennent suffisamment souples pour être transformés sans fondre complètement, il permet de modifier les propriétés du plastique tout en préservant sa structure. Cela permet notamment d’intégrer dans leur structure des molécules ayant été préparées par catalyse organique directement à partir de CO2. De quoi créer de nouveaux matériaux tout en facilitant le recyclage de manière plus économe en énergie.
Au-delà de l’aspect écologique, cette approche pourrait aussi générer de nouvelles opportunités économiques en termes d’économie circulaire, en permettant à des acteurs locaux d’exploiter ces technologies et de créer de la valeur à partir de ressources considérées jusqu’ici comme des polluants.
Le programme Pluco ouvre donc la voie vers un recyclage à empreinte carbone nulle, voire négative. Cette approche unique, qui transforme deux menaces environnementales en ressources précieuses, démontre que la chimie verte peut jouer un rôle central dans la transition écologique. Il ne s’agit pas seulement de recycler mieux, mais de redéfinir les bases mêmes du recyclage pour un impact positif et durable sur la planète.
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.
Olivier Coulembier a reçu des financements du Fonds National de la Recherche Scientifique (F.R.S.-FNRS), notamment à travers des projets PDR, MIS et EOS. Il a également bénéficié de financements européens via H2020 et M-ERA.NET, ainsi que du soutien de la Chaire de Recherche AXA.