Quand diversité et inclusion s’invitent dans les hôtels de luxe

Au-delà des questions de conformité, les politiques de diversité et d’inclusion (D&I) dans l’hôtellerie de luxe représentent-elles une opportunité stratégique ?

Mai 12, 2025 - 13:13
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Quand diversité et inclusion s’invitent dans les hôtels de luxe
Souvent, les hôtels traitent ce sujet sous peine de se voir infliger une amende. DmitryKalinovsky/Shutterstock

Une étude explore les pratiques mises en place pour favoriser la diversité et l’inclusion (D&I) dans l’hôtellerie de luxe. Entre gestes ponctuels, accompagnements sur mesure et diversity washing. Au-delà des questions de conformité, la mise en œuvre de ces politiques représente-t-elle une opportunité stratégique ?


En 2025, le groupe français hôtelier Accor a le vent en poupe. Son segment luxe connaît une hausse de ses revenus de 17,9 % sur le trimestre. Dans cette dynamique économique florissante, les acteurs du secteur développent leur politique en responsabilité environnementale et sociale (RSE), avec notamment un chantier : la diversité et l’inclusion. Ces deux termes englobent l’appartenance ethnique, le sexe, l’âge, la nationalité, l’orientation sexuelle, le handicap, l’éducation, la religion, mais aussi les points de vue, les expériences professionnelles, les styles de vie et les cultures.

Alors que la théorie évoque volontiers la richesse que représente une équipe variée, la pratique semble davantage guidée par la contrainte – pénurie de personnel, pression de l’image de marque – que par une volonté claire de transformation. Et si la diversité est bien acceptée sur le papier, l’inclusion, elle, reste un chantier inabouti. Ce décalage n’étonne pas. L’hôtellerie de luxe repose sur des codes très marqués, un souci du détail poussé à l’extrême, et une clientèle dont les exigences ne laissent que peu de marge à l’expérimentation sociale.

Cette tension traverse l’ensemble des témoignages que nous avons recueillis auprès de dix établissements haut de gamme, tels qu’un palace parisien ou un hôtel saisonnier de montagne. Dans notre étude, nous explorons les pratiques mises en place pour favoriser la diversité et l’inclusion dans l’hôtellerie de luxe, les bénéfices attendus, leurs limites et les leviers pour ancrer ces enjeux dans une stratégie durable. Au-delà des questions de conformité, la mise en œuvre de politiques Diversité et Inclusion (D&I) représentent-elles une opportunité stratégique pour l’hôtellerie de luxe ?

Diversité de la clientèle

Il n’existe pas d’obligations spécifiques pour les hôtels de luxe concernant la diversité et l’inclusion. Comme toute entreprise, ils sont soumis à la loi nationale contre la discrimination et l’obligation d’employer un pourcentage de travailleurs handicapés pour les entreprises de plus de 20 salariés. Certains professionnels, faute de politique formelle, s’appuient sur des valeurs générales : respect, équité, ouverture. Les plus petites structures misent sur l’instinct, tandis que les grandes chaînes s’adossent à la législation. Un directeur des ressources humaines (DRH) nous avoue sans détour : « traiter ce sujet sous peine de se voir infliger une amende ! » Cela traduit les peurs au détriment des convictions.

« Face à la diversité de la clientèle, il est utile de disposer d’une main-d’œuvre diversifiée et polyvalente qui comprend les besoins variés d’une clientèle internationale. » (Directeur opérationnel, hôtel saisonnier.)


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Les responsables interrogés identifient quelques effets positifs. D’abord, une adaptation fine aux clients internationaux. Un réceptionniste marocain peut rassurer un couple venu de Casablanca. Une gouvernante polonaise comprend d’instinct les attentes d’une clientèle russe. Le cosmopolitisme n’est donc pas qu’une façade ; il devient parfois un levier d’efficacité. Dans un marché de l’emploi exigeant, certains hôteliers misent sur la diversité pour renforcer leur attractivité.

Accompagnement sur mesure

Quand les malentendus culturels s’accumulent – sur la ponctualité, la hiérarchie, la communication non verbale –, la dynamique collective se bloque. D’où l’importance des formations, souvent insuffisantes ou trop générales. La formation est un terrain contrasté. Dans certains hôtels, les ateliers sur la diversité se limitent à des modules en ligne aux contenus standardisés. Ailleurs, on investit davantage. Une directrice d’hébergement d’un hôtel raconte comment un jeune majordome bangladais, sans diplôme hôtelier, a été formé sur mesure. Aujourd’hui, il connaît le protocole de service aussi bien qu’un majordome français. Ce type d’initiative, fondée sur la personne, semble plus prometteur que les grands plans d’action.

« Nous avons engagé l’un de nos majordomes, Khaled, qui vient du Bangladesh et n’avait jamais travaillé dans un hôtel de luxe auparavant. Cependant, Khaled est une personne volontaire, respectueuse, organisée et souriante. Nous avons décidé de l’embaucher et de le former. Comme le français n’est pas sa langue maternelle et qu’il n’a pas fait d’école hôtelière, nous lui avons appris les codes du luxe et aujourd’hui Khaled est un élément indispensable de notre équipe. » (Responsable de l’hébergement, hôtel boutique indépendante 5 étoiles.)

Mais tout ne va pas de soi. Une directrice des ressources humaines (DRH) mentionne l’échec d’une tentative d’intégration d’une jeune femme trisomique, faute de préparation adéquate. Loin de remettre en cause sa légitimité, cet exemple illustre l’écart entre bonne volonté et faisabilité. Le recrutement obéit encore souvent à une logique opportuniste. Certains établissements se targuent d’embauches symboliques – un réfugié ukrainien ici pour s’adapter à la situation géopolitique, une personne non voyante là –, mais peinent à aller au-delà du geste ponctuel.

Sans cadre clair, sans suivi, l’inclusion ressemble parfois à un geste charitable. Or, elle exige une pensée de long terme, un accompagnement réel, des moyens. La progression de carrière reste le maillon faible et les personnes issues de la diversité restent souvent cantonnées à des fonctions subalternes.

« Diversity washing »

L’absence de budget consacré à la D&I confirme ce flottement. La plupart des initiatives relèvent ce que certains appellent la Soft Law : des intentions non contraignantes, portées par des personnes de bonne volonté. Cela entraîne des limites car sans structure ni coordination, les effets restent marginaux. Le logiciel Payfit, seul outil utilisé pour analyser les écarts de rémunération entre hommes et femmes, illustre cette logique minimaliste.

Quant à la gouvernance, elle repose sur une approche dispersée. Chacun fait un peu sa part – un manager motive son équipe, un responsable ressource humaine impulse un projet – mais personne ne porte l’ensemble. Cette fragmentation nuit à la lisibilité des actions et empêche l’émergence d’une stratégie cohérente. Ce manque de structure donne lieu à une question de fond : la diversité et l’inclusion sont-elles devenues des slogans vides ? Le « diversity washing », si souvent dénoncé ailleurs, n’épargne pas l’hôtellerie de luxe. Derrière les brochures soignées et les campagnes aux visages métissés, les pratiques peinent à suivre.

Des solutions existent, mais elles demandent du temps, des moyens, de la préparation et un regard lucide sur les contradictions du secteur. Une politique sectorielle, adaptée au type d’établissement, pourrait offrir un cadre utile. Elle permettrait aussi de mieux articuler la D&I avec d’autres enjeux : qualité de service, fidélisation des salariés, réputation. Pour l’heure, les professionnels naviguent à vue. Ils improvisent, adaptent, bricolent. La bonne volonté isolée ne suffit pas à produire un changement durable. L’inclusion ne se décrète pas. Elle se construit progressivement en acceptant aussi les échecs comme autant d’occasions d’apprendre.

Objectifs concrets

Le contexte international actuel marque un tournant dans la manière dont les politiques de diversité et d’inclusion sont envisagées. Une partie du discours public met désormais l’accent sur la compétence individuelle, l’efficacité opérationnelle et le rejet des approches jugées idéologiques. Ce recentrage a des répercussions concrètes dans les secteurs exposés à la concurrence internationale et à la pression réputationnelle, comme l’hôtellerie de luxe.

Dans ce cadre, les politiques de D&I ne peuvent plus reposer uniquement sur des intentions générales. Elles sont invitées à démontrer leur utilité, à s’ancrer dans des objectifs concrets, à éviter les postures symboliques. Cela suppose de mieux articuler inclusion et performance, en examinant de façon mesurée les effets réels de la diversité sur la cohésion des équipes, la qualité de service ou la capacité d’innovation. Cette voie, plus sobre, pourrait réinstaller la diversité comme un levier sérieux de transformation, et non comme un mot d’ordre qui peine à trouver les adhésions authentiques.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.