Instagram, TikTok : l’offre de pâtisserie évolue à l’heure des influenceurs
Avec Cédric Grolet ou la tendance « chocolat de Dubaï », les passions sucrées se réinventent sur les plateformes. Sur TikTok, générateur de tendances. Sur Instagram, miroir d’une réalité sublimée.


Avec les stars de la pâtisserie Cédric Grolet ou Linda Lomelino et les tendances du moment (« franuis », « chocolat de Dubaï »), les passions sucrées se réinventent dans le monde numérique. Sur TikTok, elles sont génératrices de tendances. Sur Instagram, elles se font le miroir d’une réalité sublimée.
S’appuyant sur un savoir-faire ancestral et un patrimoine culturel du repas gastronomique reconnu par l’Unesco, la France continue de rayonner à travers ses arts sucrés. Elle exporte ses enseignes et affiche un nombre de médailles d’or inégalé depuis la création de la Coupe du Monde de pâtisserie en 1989. Historiquement ancrée dans l’artisanat français, la pratique de la pâtisserie dépasse aujourd’hui le cadre professionnel, dans un contexte de Do It Yourself – (DIY) ; ce mouvement consistant à réaliser soi-même ce que l’industrie et l’artisanat produisent habituellement.
Selon un récent sondage d’OpinionWay, la cuisine et la pâtisserie figurent parmi les loisirs préférés de 61 % des Français. En 2018, les sites Internet et applications spécialisés dépassaient déjà les livres de pâtisserie comme source d’inspiration. Les créateurs de contenu se sont saisis de cette opportunité, donnant naissance à un univers numérique particulièrement hétérogène, bien plus foisonnant que celui, plus normé, des livres de pâtisserie. Parmi les personnalités en ligne les plus suivies sur Instagram figurent des profils très variés comme Linda Lomelino, photographe et vidéaste, Roxane, ancienne puéricultrice et candidate du Meilleur Pâtissier, ou Amaury Guichon, pâtissier connu pour ses créations spectaculaires.
Aujourd’hui, professionnels reconnus et amateurs passionnés se partagent la scène numérique. Les premiers, à l’image d’Amaury Guichon, de Cédric Grolet ou de Pierre Hermé, utilisent les plates-formes pour renforcer leur image de marque, entre excellence technique et esthétique innovante. Les seconds, en revanche, valorisent la convivialité et l’accessibilité, proposant tutoriels et recettes inspirantes. Deux logiques cohabitent : branding d’un côté, partage communautaire de l’autre.
Dès lors, comment la dynamique numérique participe-t-elle à redéfinir les contours de la pâtisserie française ?
Instagram : miroir d’une réalité sublimée
Pour répondre, nous avons d’abord identifié les tendances dominantes du marché à travers des catalogues professionnels, avant de confronter nos observations aux publications d’influenceurs sur Instagram. Notre analyse du réel révèle quatre grand monde structurant aujourd’hui l’offre :
Les pâtissiers renommés dont la signature est au centre des créations, y compris pour les grands classiques qu’ils revisitent. Ces chefs rythment leurs créations selon le calendrier des grandes célébrations comme la Saint-Valentin. Ils créent des pâtisseries hybrides, à l’image du Saint Cookie (croisement entre un saint-honoré et un cookie), héritier du célèbre cronut (croissant-donut) créé en 2013 par Dominique Ansel ;
Les restaurants, qui selon leur positionnement développent des approches différenciées : la haute gastronomie privilégie la scénarisation autour d’un ingrédient majeur comme « Ananas G. Adam/Condiment ananas/Sorbet ananas » » d’Arnaud Lallement ; la restauration intermédiaire modernise les classiques, tandis que le snacking s’inspire directement des modèles sucrés américains ;
Les boulangeries-pâtisseries, qui oscillent entre propositions rustiques et sophistication créative ;
La grande distribution, qui adapte l’artisanat à des contraintes de volumes et de prix.
Malgré leurs différences, ces univers partagent un socle commun : une prédominance d’ingrédients intemporels (chocolat, pistache, vanille, citron, pomme, poire) et une généralisation des desserts d’inspiration anglo-saxonne (cookies, donuts, cupcakes). L’analyse du dernier sondage réalisé par OpinionWay en 2023 confirme cette évolution : les cookies, donuts et cupcakes figurent désormais parmi les pâtisseries préférées des Français.
Notre étude des publications Instagram révèle une profonde continuité avec cette réalité du marché. Les tendances identifiées dans les vitrines et catalogues se retrouvent mises en scène sur la plate-forme, où l’esthétisme joue un rôle central : coupes nettes, textures sublimées et lumières soignées renforcent l’attrait visuel de produits déjà plébiscités. Instagram prolonge ainsi les dynamiques existantes, sans créer une pâtisserie parallèle : il sublime les styles réels et les amplifie auprès d’un public élargi.
TikTok : générateur de tendances
Instagram prolonge les logiques traditionnelles, TikTok, lui, ouvre la voie à de nouvelles formes d’innovation sucrée
TikTok a profondément renouvelé l’imaginaire pâtissier en favorisant l’émergence de tendances collectives, souvent issues d’espaces marginaux ou inattendus. Là où Instagram valorise des contenus esthétiques calibrés, généralement portés par des influenceurs installés, TikTok mise sur l’appropriation, la spontanéité, l’authenticité, et surtout l’effet de surprise. Son algorithme propulse des vidéos courtes en fonction des interactions, favorisant ainsi la viralité de contenus sensoriels, percutants, parfois filmés avec un simple téléphone.
C’est dans ce contexte que deux produits ont connu un succès fulgurant : les « franuis », demi-fruits enrobés de chocolat initialement commercialisés en Amérique du Sud, et le « chocolat de Dubaï », une barre garnie de kadaïf et de pistache, née dans une boutique du Moyen-Orient.
TikTok a élargi leur notoriété au-delà de leurs marchés d’origine, en s’appuyant sur la rareté perçue et l’esthétique de la découverte. Aujourd’hui repris, déclinés, revendiqués comme incontournables, ces produits illustrent une nouvelle forme de bouche-à-oreille numérique. Les marques s’adaptent : Lindt a lancé une tablette « Dubaï » à près de 10 euros, tandis que Lidl a répliqué avec une version à moins de 5 euros, promue sur TikTok dès mars 2025. Une réponse directe, qui montre à quel point la plateforme peut désormais influencer non seulement les goûts, mais aussi les formats, les prix et la cartographie concurrentielle.
La tournure décontractée qui domine de nombreuses vidéos, y compris chez les chefs les plus médiatisés, montre un artisanat en quête de proximité, s’adressant à sa communauté de façon plus directe. Ce ton, absent des catalogues professionnels, permet aux réseaux sociaux de traduire autrement les ambitions de différenciation : affirmer son style, créer un lien, faire sa signature.
Conforter l’existant ou créer la tendance
L’influence des images sur les pratiques s’inscrit dans une dynamique de longue date. Par exemple l’amour courtois des troubadours imposant les codes de la séduction au Moyen Âge, le romantisme motivant les actions individuelles et sociales, ou encore le cinéma hollywoodien des années 1950 instaurant des modèles esthétiques et comportementaux. Plus récemment, la définition du repas gastronomique des Français, inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, s’est vue fondée à partir de la création d’un nouvel objet culturel qui n’existait pas comme tel auparavant.
L’univers des arts sucrés suit cette logique d’imbrication de l’image dans la réalité :
Sur Instagram, cette dernière est sublimée, diffusant et modifiant des références esthétiques et gustatives ;
Sur TikTok, l’image crée de nouvelles réalités qui s’affirment ensuite comme des tendances.
Les acteurs de la pâtisserie ont intérêt à bien choisir les réseaux sociaux sur lesquels intervenir, selon qu’ils situent leurs actions dans un marché à maturité ou dans une logique d’anticipation stratégique. En pâtisserie comme ailleurs, choisir son réseau, c’est choisir sa stratégie de positionnement : conforter l’existant ou créer la tendance.
Emilie Hoëllard a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche - Projet ALIMNUM - ANR-21-CE36-0009
Maxime David a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche - Projet ALIMNUM - ANR-21-CE36-0009
Bruno Cardinale ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.