Promesse tenue…

Encore un livre sur l’emprise et les pervers narcissiques ?! Pas tout à fait. Car l’ouvrage que Camille Laurens a publié en décembre 2024, Ta promesse, s’il met en scène effectivement ces deux notions, est un livre de littérature. Qu’est-ce à dire ? Que l’histoire qui nous est contée est une quête éperdue de vérité et d’élucidation qui ne saurait se réduire à des schémas. Livre sur l’amour donc, et sur la progression tenace d’une compréhension, dans une langue vivante aux registres multiples… L’article Promesse tenue… est apparu en premier sur Causeur.

Mar 1, 2025 - 15:03
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Promesse tenue…

Encore un livre sur l’emprise et les pervers narcissiques ?! Pas tout à fait. Car l’ouvrage que Camille Laurens a publié en décembre 2024, Ta promesse, s’il met en scène effectivement ces deux notions, est un livre de littérature. Qu’est-ce à dire ? Que l’histoire qui nous est contée est une quête éperdue de vérité et d’élucidation qui ne saurait se réduire à des schémas. Livre sur l’amour donc, et sur la progression tenace d’une compréhension, dans une langue vivante aux registres multiples…


Couverture du livre « Ta promesse »

La narratrice commence par la fin, mais une fin qui ne dit pas tout puisqu’il faudra le livre en entier pour savoir. Et l’on peut, d’ailleurs, relire à la fin ce prologue qui donne une clef essentielle mais dont on ne pouvait alors savoir à quoi elle servirait. Cependant, une chose est sûre, la quête de la vérité, aussi partielle soit-elle, est le moteur de l’histoire et l’unique possibilité pour la narratrice de refaire surface. « Car la vérité existe, n’en déplaise aux hérauts de la nuance, aux champions de l’ambivalence, aux tenants de la fiction universelle. À un moment, dans le champ de la vie, quelque chose est vrai ou faux, fait ou fable. Cela ne dure peut-être qu’un moment, mais c’est un moment de vérité. » Et la narratrice n’hésite pas à dire que la littérature a nécessairement rapport à cela.

Manque d’empathie contemporain

Donc Claire et Gilles, les deux personnages essentiels, s’embarquent pour Cythère à la cinquantaine. L’homme est doux, prévenant, et sait écouter. Marionnettiste de son métier, il tirera bientôt les ficelles d’une aventure où la femme, qui redécouvrait ce qui va dans le meilleur des cas avec l’amour, la confiance, va très progressivement perdre pied. Et ce qui va constituer l’élément déclencheur sera le langage ; ce qui est évident pour Claire qui est une autrice, de surcroît connue et reconnue, ce qui aura une importance certaine pour l’histoire. Car si Gilles est tout à fait capable de disserter sur Kleist, il se révèle « incapable d’exprimer non seulement des émotions personnelles mais même des pensées organisées sur la vie. L’étape où son raisonnement devenait filandreux, indigent, voire incohérent arrivait assez vite dans l’échange. C’était comme des phrases où manqueraient des conjonctions de coordination. Le fil était cassé, il n’y avait pas de logique. Ou alors il parlait par idées toutes faites, binaires – bon, mauvais, content, mécontent – qui oscillaient comme sur des roues crevées. Il cherchait tous ses mots à l’extérieur de lui-même. » Et c’est là, entre autres, que ce roman est passionnant, car il montre un phénomène d’époque par-delà le cas singulier ; la désincarnation d’individus privés de subjectivité, d’une langue émotionnelle et de la capacité logique qui tient compte d’autrui, ce qui les fait immanquablement manquer d’empathie. Pour autant, ce roman n’est en rien sociologique, il laisse à son personnage sa singularité et lui donnera même la parole dans un chapitre inattendu où Gilles déroulera sa façon behaviouriste de se comporter dans l’existence.

Quand le mensonge s’invite dans le couple

Ici, les coups et blessures sont linguistiques, la langue devient fausse, le faux devient le vrai, on incite quelqu’un à faire quelque chose et on lui reproche ensuite de l’avoir fait ; l’inversion et le mensonge s’invitent à la table. Et c’est là que ça vacille sérieusement pour Claire dont le chaos donne lieu à des vers libres qui ponctuent le roman, et qui sont autant de manifestations de son désarroi que des bouées de secours. La loyauté verbale qui assurait un sol à ses pieds n’est plus ; Gilles, tout à son obsession de « ne pas souffrir » et de « ne pas se sentir coupable » car seule compte l’image de soi, va charger l’autre de le faire à sa place. Mais Claire est vaillante, et son besoin de comprendre la confrontera au pire mais lui permettra également de prendre le large. Ainsi, l’élucidation progressive de ce qui lui arrive est une ode à la connaissance qui délivre. Oh, pas du chagrin, certes non, mais de la destruction. Aidée par une amie au verbe haut en couleur, ce qui nous vaut des passages très drôles sur la mère » forcément toxique », elle confrontera finalement « l’adversaire » à sa fausseté, et ce, grâce à l’élément végétal qui conclut le roman sur une scène magnifique d’un champ de mimosa.

Dans ce roman des ténèbres qui dissolvent mais aussi de la lumière qui éclaire, le jaune l’emporte haut la main, et la lectrice salue Camille Laurens pour cet exploit, d’autant qu’elle a toujours eu un faible pour cet arbre…

Ta promesse de Camille Laurens, Editions Gallimard, décembre 2024, 368 pages

Ta promesse

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