Post-Covid-19 : pourquoi les consommateurs fuient-ils les magasins bondés ?
Depuis la pandémie de Covid-19, de nombreux consommateurs évitent les magasins. Un nouveau défi pour les commerçants qui font preuves d’ingéniosité pour les garder.


Depuis la pandémie de Covid-19, de nombreux consommateurs évitent les magasins. Ils se sentent davantage exposés aux risques sanitaires, mais aussi à une pression sociale accrue. Un nouveau défi pour les commerçants qui font preuve d’ingéniosité pour les garder.
Il fut un temps où flâner dans les allées d’un magasin faisait partie des petits plaisirs du quotidien. Feuilleter un livre en librairie, essayer une veste en boutique, comparer les produits sur les étagères… Autant de gestes instinctifs et habituels qui, depuis la pandémie de Covid-19, ont perdu leur insouciance.
Aujourd’hui, pour beaucoup, les magasins bondés riment avec stress et inconfort. Loin d’être anodine, cette perception modifie profondément les comportements d’achat des consommateurs et représente un défi pour les magasins.
À travers une étude menée auprès de 608 consommateurs, nous avons cherché à comprendre pourquoi certains consommateurs adoptent des stratégies d’évitement face à une forte affluence en magasin. Deux facteurs majeurs sont apparus : l’ambivalence et la vulnérabilité perçue.
Consommateurs ambivalents, décisions retardées
Entrer dans un magasin bondé ou rempli d’objets mal disposés peut éveiller des émotions contradictoires. L’excitation, stimulée par l’ambiance, l’énergie du lieu et la perception que la foule est signe de bonnes affaires, se mêle souvent à une forme de stress ou d’anxiété causée par le bruit, la promiscuité et la sensation de perte de contrôle sur son espace personnel. Cet état, appelé ambivalence, complique la prise de décision et altère l’expérience d’achat.
La pandémie de Covid-19 a transformé la manière dont les consommateurs s’approprient les espaces en magasin. Selon un sondage réalisé par Cushman & Wakefield, limiter le nombre de personnes pour respecter les distanciations sociales et instaurer un sens unique de circulation sont perçues comme des mesures sanitaires cruciales pour 34 % et 19 % des participants, respectivement.
Le sentiment de vulnérabilité joue un rôle clé. Depuis la pandémie de Covid-19, de nombreux consommateurs se sentent plus exposés aux risques sanitaires, mais aussi à une pression sociale accrue. Être entouré de trop de monde, subir des files d’attente interminables ou ne pas pouvoir circuler librement accentue le malaise et favorise l’adoption des stratégies d’évitement. Conséquence de la pandémie : les consommateurs sont fortement sensibles à la présence d’autres clients dans le magasin et à la façon dont les objets y sont disposés.
Réactions culturelles en Tunisie et en Colombie
L’affluence en magasin influence l’expérience client et reste un enjeu majeur pour les magasins, indépendamment du contexte culturel et économique, comme le montre notre étude réalisée sur 290 consommateurs de Tunisie et 318 consommateurs de Colombie.
Les consommateurs tunisiens ressentent une ambivalence envers un magasin lorsqu’ils se sentent encombrés par la foule ou gênés par un espace mal aménagé. En revanche, chez les consommateurs colombiens, seule la sensation d’espace restreint déclenche ce sentiment. Malgré ces différences, les effets de l’ambivalence sont similaires dans les deux pays. Une forte affluence ou un agencement perçu comme oppressant génèrent un inconfort que les consommateurs cherchent à résoudre par l’évitement. Certains reviennent plus tard, espérant une baisse de fréquentation, d’autres préfèrent changer de magasin pour un environnement plus fluide et agréable. Dans les cas extrêmes, l’achat est complètement abandonné.
Stratégies d’évitement
La vulnérabilité perçue joue un rôle clé. Plus les consommateurs tunisiens se sentent vulnérables, plus ils évitent les magasins perçus comme oppressants, quitte à abandonner leur achat. À l’inverse, les Colombiens, moins sensibles à cette vulnérabilité, maintiennent davantage leur comportement d’achat, même en situation d’ambivalence. Quelle que soit son origine – densité de la foule ou aménagement du magasin –, l’ambivalence envers une enseigne perturbe le processus d’achat et pousse les consommateurs des deux pays à adopter des stratégies d’évitement similaires. Dans certains cas, une vulnérabilité perçue accrue renforce la tendance à changer de magasin ou à abandonner l’achat.
Notre étude complète les nombreuses enquêtes dévoilant une nouvelle mosaïque des consommateurs après la pandémie Covid-19. Par exemple, selon une étude menée par Capgemini, les consommateurs sont de plus en plus soucieux de leur santé. 60 % d’entre eux attendent des détaillants qu’ils mettent en place des mesures de sécurité. Plus de la moitié souhaitent un réaménagement des magasins pour faciliter la distanciation sociale.
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Les résultats de notre étude soulignent l’importance de stratégies concrètes déjà mises en place dans plusieurs pays pour réduire l’ambivalence et la vulnérabilité perçue des consommateurs dans un contexte postCovid. Ils coïncident avec une l’étude réalisée par Capgemini. Selon les résultats, les consommateurs privilégient des pratiques sûres et sans contact lors de leurs achats en magasin. 46 % favorisent une utilisation accrue des paiements numériques. 41 % optent pour un système de paiement autonome sans contact, tel que l’utilisation de leur propre téléphone.
Comment les magasins s’adaptent
L’amélioration de la gestion de l’espace est essentielle. Ikea a par exemple repensé ses parcours clients en élargissant les allées et en introduisant des zones de repos stratégiques pour réduire la sensation de saturation. D’autres enseignes ont optimisé la répartition des rayons pour fluidifier la circulation et minimiser les points de congestion. La communication proactive est un levier clé. En France, Carrefour affiche en temps réel les heures creuses sur leurs applications mobiles et panneaux d’information en magasin. D’autres, comme Intermarché en France, Coles en Australie, ont mis en place des horaires dédiés aux personnes vulnérables pour leur offrir un environnement plus serein.
La mise en place de créneaux horaires dédiés aux clients préférant un environnement plus calme peut renforcer leur confiance. L’intégration de solutions numériques est un atout majeur. Beaucoup d’enseignes comme Decathlon en France ont massivement investi dans le click & collect et les casiers de retrait automatiques pour limiter le temps passé en magasin. En Chine, Alibaba a développé le concept de magasins connectés Hema. Les clients peuvent tout commander via une application et récupérer leurs achats sans contact, réduisant ainsi la sensation de foule et l’anxiété liée à la proximité physique. En renforçant ces dispositifs, les enseignes peuvent offrir une expérience plus fluide et rassurante.
Une nouvelle ère pour le commerce physique ?
Nous sommes à l’ère du post-Covid. Les clients sont de plus en plus attentifs à leur confort et à leur sécurité. Que l’on se rassure le magasin physique n’est pas mort. Comme le montre l’étude menée par le Conseil national des centres commerciaux (CNCC), après la crise sanitaire, 73 % des Européens se rendent dans les centres commerciaux au moins une fois par mois. Cette étude souligne que le plaisir du shopping en boutique reste ancré dans les habitudes.
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Les consommateurs sont prêts à continuer à fréquenter les boutiques physiques. L’expérience en magasin doit cependant être repensée. Il ne s’agit plus seulement d’attirer du monde, mais de garantir un environnement agréable et sécurisé. Quel que soit le pays, la perception de la foule reste un enjeu crucial influençant directement le comportement d’achat. En anticipant et en atténuant les sentiments d’ambivalence des consommateurs, les enseignes peuvent transformer ce défi en opportunité et fidéliser leurs clients sur le long terme.
Reste à savoir si cette nouvelle exigence des consommateurs est un phénomène passager ou une transformation durable. Sommes-nous simplement en quête d’un peu plus de sérénité, ou assistons-nous à un changement profond dans notre rapport aux magasins physiques ? L’avenir du commerce nous le dira.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.