LIBERTÉ : un chemin de CRÊTE si difficile à tenir

Il n’est jamais très agréable de se voir accusé de piétiner les valeurs pour lesquelles on professe le plus indéfectible attachement. Des valeurs issues du mouvement émancipateur des Lumières contre l’absolutisme royal qui ont fondé à jamais notre existence politique et économique contemporaine. Des valeurs si précieuses pour le développement humain et la reconnaissance des […]

Mar 23, 2025 - 22:24
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LIBERTÉ : un chemin de CRÊTE si difficile à tenir

Il n’est jamais très agréable de se voir accusé de piétiner les valeurs pour lesquelles on professe le plus indéfectible attachement. Des valeurs issues du mouvement émancipateur des Lumières contre l’absolutisme royal qui ont fondé à jamais notre existence politique et économique contemporaine. Des valeurs si précieuses pour le développement humain et la reconnaissance des droits naturels des individus qu’elles ont rapidement traversé l’océan Atlantique pour présider à la fondation des États-Unis d’Amérique, puis éclairer le monde à travers l’emblématique statue de la Liberté dressée comme un phare dans la baie de New York.

Or c’est précisément ce qui est arrivé aux Européens dans et hors de l’Union européenne lorsque le nouveau vice-président américain JD Vance leur a reproché à plusieurs reprises ces derniers temps, dans un discours à Munich puis sur X (ex-Twitter), de conduire le vieux continent à sa perte par manquement aux principes de la démocratie et de la liberté d’expression.

Depuis l’investiture du président Donald Trump, cependant, on a eu l’occasion de réaliser que cette leçon de vertu politique nous était assénée par un trio (le trio Trump-Vance-Musk) moins soucieux de restaurer la liberté pour tous les citoyens et toutes les opinions que fortement pressé de s’assurer un pouvoir exécutif fort afin d’imposer son propre agenda politique et moral sans être gêné par les objections possibles du Congrès, des juges (Cour suprême incluse), des médias et des universités. L’actualité américaine des dernières semaines regorge d’occurrences en ce sens (ici, ici, ici, par exemple), auxquelles on peut ajouter les visées impérialistes de la Maison-Blanche vis-à-vis du Canada et du Groenland et une propension sadique et, il faut bien le dire, ignorante, à humilier ses alliés traditionnels.

Dans ce contexte, il est évidemment très facile d’écarter les remontrances d’un revers de main décontracté dans le style “la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe”. Et c’est du reste exactement ce qui a été fait.

Grave erreur à mon sens.

Si l’Europe, et la France au premier chef, veut effectivement vivre à la hauteur de ses valeurs libérales, celles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 si l’on veut une référence concrète, elle doit impérativement se livrer à une petite introspection sur la façon dont elle gère la liberté d’expression, d’opinion et d’information. Force est de constater de ce côté-là qu’au motif très louable de lutter contre les “fake news”, contre la haine, contre le fascisme, le racisme, le machisme, l’homophobie et j’en passe, les coups de canif dans les libertés individuelles se sont faits de plus en plus nombreux.

J’ai déjà eu l’occasion de relever combien notre actuel président de la République Emmanuel Macron avait une conception étroite de la liberté, cela venant s’ajouter à des travers similaires chez ses prédécesseurs (avec les lois Pleven, Gayssot et Taubira, notamment). Qui s’est évertué depuis son accès au pouvoir à inscrire les états d’urgence et les situations d’exception dans le droit commun ? Qui a tenté en catimini de faire de même avec l’état d’urgence sanitaire ? Qui a rêvé de faire advenir une sorte de service public de l’information ? Qui entend contrôler la liberté d’expression sous le gentil prétexte de faire reculer la haine ? Qui a prétendu limiter la liberté d’informer sous le non moins gentil prétexte de protéger nos forces de l’ordre ? Qui a obtenu l’élargissement des possibilités de fichage des activités politiques, des appartenances syndicales et des données de santé au nom de la sécurité intérieure ?

Tout ce qui précède relève d’actions entreprises avec plus ou moins de succès par l’État, mais la société civile n’est pas en reste à travers le militantisme de groupes ou d’associations progressistes qui contestent, parfois avec violence et obstruction, l’expression d’opinions qui ne leur conviennent pas.

Je pense par exemple à la “cancel culture” qui s’est abattue sur la philosophe Sylviane Agacinski. En 2019, elle devait donner une conférence intitulée « L’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique » à l’université de Bordeaux, mais ses positions anti-PMA lui ont immédiatement valu d’être cataloguée comme « homophobe notoire » par des syndicats étudiants et des associations LGBT qui n’ont reculé devant aucune menace pour obtenir (avec succès) la déprogrammation de sa conférence.

Je pense également à la véritable chasse idéologique qui, en 2021, a poursuivi deux professeurs de Sciences Po Grenoble au motif qu’ils seraient odieusement “fascistes” et “islamophobes” (détails de l’affaire ici).

Je pense enfin à la toute récente déprogrammation par les Presses universitaires de France (PUF) d’un ouvrage collectif mis en chantier il y a deux ans et intitulé Face à l’obscurantisme woke. L’éditeur a argué d’un contexte national et international devenu trop chahuté pour assurer une réception sereine de ce livre. Comprendre : nous ne voulons pas nous associer à une production qui pourrait passer pour trumpiste. Ce que l’une des auteurs décrypte ainsi :

“Désormais l’antiwokisme, c’est le trumpisme. Il est impossible de faire entendre que les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis. C’est un raisonnement beaucoup trop élaboré pour le sectarisme de gauche, qui divise le monde en deux camps : le Bien et le Mal.”

Effectivement. Et cela vaut du reste aussi pour l’autre camp. Ainsi que je l’écrivais dans un article de 2016, la tenue d’un blog libéral des plus classiques a le don de vous attirer assez rapidement l’antipathie de tout le monde : celle des gens de gauche, car le libéralisme au volant c’est la mort des petits moutons sans défense au tournant, et celle des gens de droite, car le libéralisme au volant c’est la mort de Dieu et de la morale au tournant.

Or la recherche de la liberté ne consiste pas à opposer une vision privatrice de liberté, la vision progressiste incarnée dans le wokisme, à une autre vision qui se révélera tout aussi privatrice de liberté, mais en sens contraire. Tant il est vrai que le libéralisme consiste à arpenter un difficile chemin de crête sur lequel chacun est libre et maître de ses choix tant qu’il ne porte atteinte ni aux biens ni aux personnes. Pour le dire dans les termes utilisés par Friedrich Hayek dans son article  “Why I am not a conservative” :

“Il y a maintes valeurs des conservateurs qui me conviennent mieux que celles des socialistes ; mais aux yeux d’un libéral, l’importance qu’il attache personnellement à certains objectifs n’est pas une justification suffisante pour obliger autrui à les poursuivre aussi.”

Prenons l’exemple du transgenrisme qui concentre ces temps-ci à lui tout seul toute la détestation vance-trumpienne de l’Occident socialo-progressiste. Le simple fait d’être une personne transgenre n’est pas une façon d’exprimer des idées “woke”, c’est un état de fait, qui concerne du reste une faible proportion de la population générale.

Le wokisme commence lorsque cet état de fait devient instrumentalisé à des fins idéologico-politiques. On se rappellera par exemple que Gavin Newsom, le gouverneur démocrate de Californie, a promulgué l’an dernier une loi interdisant aux écoles de divulguer à quiconque, et notamment aux parents, des informations sur le changement de genre des élèves. On fait difficilement plus autoritairement collectiviste.

Et en miroir, le wokisme à rebours commence lorsque l’administration Trump décide purement et simplement d’interdire aux personnes transgenres l’accès à des postes dans l’armée (affaire toujours en cours du fait de la suspension du décret présidentiel par une juge fédérale et de l’appel subséquent interjeté par l’administration). On fait difficilement plus autoritairement collectiviste.

L’esprit libéral ne considère pas des classes de personnes indifférenciées. Il regarde chaque personne particulière dans ce qu’elle est capable de faire ou pas dans telle ou telle circonstance particulière, en fonction de tel ou tel poste bien spécifique, en fonction de telles ou telles compétences particulières requises. Rien ne dit que toutes les personnes transgenres seraient aptes à travailler dans l’armée et devraient y obtenir obligatoirement une place si elles le souhaitaient, mais rien ne dit non plus qu’aucune ne pourrait y prétendre au regard de sa formation et de ses compétences spécifiques.

Dès lors, ce que je souhaite à l’Europe, ce que je souhaite à l’ensemble de l’Occident, c’est de se rappeler que l’individu compte plus que tout et que ses choix, ses idées et ses talents sont sacrés.