Avocats: retour à l’Inquisition
Devant le tribunal, Mme Le Pen et M. Depardieu ont eu le culot de prétendre présenter une défense, d’exercer leur bon droit de contester les accusations dont ils faisaient l’objet. Mais, cela revient désormais à ajouter un nouveau crime à ceux qu’on leur reprochait déjà… L’article Avocats: retour à l’Inquisition est apparu en premier sur Causeur.

Devant le tribunal, Mme Le Pen et M. Depardieu ont eu le culot de prétendre présenter une défense, d’exercer leur bon droit de contester les accusations dont ils faisaient l’objet. Mais, cela revient désormais à ajouter un nouveau crime à ceux qu’on leur reprochait déjà…
« Le rôle de l’avocat est de presser l’accusé d’avouer et de se repentir, et de solliciter une pénitence pour le crime qu’il a commis. »
Voilà la triste mission dévolue à la défense telle qu’elle est formulée dans le Manuel des Inquisiteurs (Directorium Inquisitorum) conçu et écrit entre 1376 et 1378 par le dominicain Nicolau Eymerich et complété deux siècles plus tard, en 1578, par le canoniste Francisco Pena. Cet ouvrage sera le guide suprême auprès des juges de tous les tribunaux de l’inquisition durant près de trois siècles.
Pour ma part, j’ignorais qu’il fût encore en vigueur. Je le découvre donc.
Car c’est bien ce que nous venons de constater ces derniers temps dans deux affaires de grand écho. Il semble, en effet, que les deux tribunaux ayant eu à juger ces deux affaires s’en tiennent, quant au rôle de l’avocat, rigoureusement à la même conception que celle énoncée ci-dessus : « Presser l’accusé d’avouer ». Et non pas, comme un vain peuple pourrait se l’imaginer, s’attacher à présenter une quelconque défense.
Ces deux affaires sont les procès instruits à l’encontre de Marine Le Pen, et de Gérard Depardieu. Fort différents quant au fond, bien évidemment.
Abus de contre-pouvoir
Cependant, dans le cas de Marine Le Pen, que déclare le tribunal en substance ? « Puisque vos avocats contestent la réalité de l’accusation, la matérialité des faits qui vous sont reprochés, osent arguer de votre innocence, cela implique forcément que vous vous trouviez dans la disposition d’esprit – au moins d’esprit – de récidiver. En d’autres termes, la seule voie que ce tribunal aurait reconnue comme légitime aurait été que les défenseurs « pressent la prévenue de passer aux aveux » et, accessoirement, proposent d’eux-mêmes une peine en cohérence avec la gravité des faits avoués.
A ne pas manquer: Causeur # 134 : l’extrême droit ne passera pas !
Même sophisme dans l’affaire Depardieu. C’est ce que révèle et dénonce avec fermeté l’avocat de l’acteur, Maître Jérémie Assous. Prétendre présenter une défense, exercer le droit de tout justiciable de contester les accusations dont il fait l’objet, revient donc à ajouter un crime à celui ou ceux déjà reprochés. Là aussi, le tribunal n’attendait rien d’autre que des aveux, une contrition bien sonnante, spectaculaire, assortie éventuellement d’une flagellation publique du prévenu en plein prétoire. Cela aurait eu de l’allure, vraiment. Et l’immense acteur aurait certainement su jouer la scène avec un exceptionnel brio, lui qui sait aussi bien être époustouflant en Cyrano qu’en Obélix.
Rouleau compresseur
Cela dit, ces faits judiciaires, ce dévoiement des principes fondamentaux du droit de la défense, sont d’une gravité extrême. Comment les interpréter autrement que comme un retour – à bas bruit, mais bel et bien effectif – à une forme d’obscurantisme où, comme au temps de l’inquisition, la réalité des faits, la vérité ne pèsent d’aucun poids face au rouleau compresseur de l’idéologie dominante. Le tribunal n’est plus alors un lieu où l’on juge, mais la chambre d’enregistrement des dernières dérives d’une opinion publique dûment façonnée par un concert médiatique parfaitement orchestré. On se souvient du mot cinglant, mais ô combien parlant du grand avocat Moro Giafferi: « Sortez la du prétoire, l’opinion publique, cette putain qui tire le juge par la manche. » Puisque je citais les auteurs du Manuel des Inquisiteurs, ne boudons pas notre plaisir et ajoutons cette autre affirmation en forme d’aveu : « La finalité du procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de maintenir le bien public et de terroriser le peuple. » Au moins, les choses étaient clairement dites. On en serait presque à regretter tant de cynique franchise…
L’article Avocats: retour à l’Inquisition est apparu en premier sur Causeur.