Élections en Côte d’Ivoire: quand la presse française s’en[mêle]
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Alors que la presse française semble avoir pris fait et cause pour Tidjane Thiam (ancien patron du Crédit Suisse), candidat du PDCI-RDA à la présidence de la Côte-d’Ivoire, certains journalistes feraient bien d’ouvrir leur dictionnaire au mot « ingérence ».
Le Ministère de la Justice a pourtant clairement expliqué sa décision : « Monsieur Thiam, qui était ivoirien par sa naissance, de même qu’il a perdu sa nationalité ivoirienne d’origine de façon automatique par l’acquisition de la nationalité française, de même, dans le respect du parallélisme des formes, il a recouvré sa nationalité ivoirienne automatiquement, sans formalité, et ce, depuis sa libération de son allégeance à la nationalité française, le 19 mars 2025. Au total, Tidjane Thiam n’a jamais été apatride ». En clair, Tidjane Thiam n’était plus légalement de nationalité ivoirienne lorsqu’il s’est enrôlé sur les listes électorales, en 2022. Tidjane Thiam a été naturalisé français en 1987. Il a renoncé à cette dernière en 2025. Si son équipe a tenté de convaincre le ministère de la Justice qu’il était né binational, les documents proposés n’ont pas suffi à convaincre les instances décisionnaires.
La décision du Ministère est donc en accord total avec la loi ivoirienne, l’article 35 de la constitution étant parfaitement clair « Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante (40) ans au moins et de soixante-quinze (75) ans au plus. Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne ».
Selon une interprétation stricte de cet article, Tidjane Thiam serait donc automatiquement disqualifié. Pourtant la position du Ministère n’est même pas aussi tranchée : selon lui, la naturalisation française de Tidjane Thiam n’annulerait pas sa filiation, ses deux parents étant ivoiriens. Il aurait simplement dû entamer une procédure de réintégration lorsqu’il a recouvré sa citoyenneté ivoirienne. Ce qui ne semble pas suffisant pour les médias, qui paraissent avoir encore en mémoire les violences des élections de 2000, 2010 et 2020. La presse française, qui reprend souvent sans nuance le narratif du PCDI-RDA pourrait nuire au bon déroulement de l’élection.
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Irresponsabilité médiatique
C’est notamment le cas du Point, qui n’hésite pas à ouvrir l’un de ses articles par une citation de l’agence Bloomfield Investment, qualifiant la Côte-d’Ivoire de « régime hybride oscillant entre autoritarisme et démocratie ». Le Point, pour sa part, s’interroge sur la « judiciosité » « d’écarter ce candidat qui était – il y a quelques jours encore – considéré comme opposant crédible » tout en reconnaissant le bien-fondé de la décision sur le plan juridique. Ce faisant, ils entérinent l’idée que le « judicieux » primerait sur le droit. Une position dangereuse qui pourrait donner des ailes à l’opposition pour une contestation musclée de cette décision de justice.
Or, personne ne veut retourner à l’horreur de 2020, où les affrontements entre partisans du parti au pouvoir et de l’opposition ont fait des dizaines de morts, parfois à la machette, et des centaines de blessés, avec un bilan de 55 morts et 282 blessés selon le Conseil national des Droits de l’Homme.
A quel jeu jouent donc les médias français ? En reprenant le narratif du PCDI-RDA, ils sont aux limites de l’ingérence, et augmentent le risque que la situation, déjà tendue, dégénère, surtout compte tenu du refus de Tidjane Thiam de se retirer au profit d’un autre candidat de son parti. « Il n’y aura pas de plan B, ni de plan C », affirme le PCDI-RDA. Une position qui pourrait ne pas être bien vue par la base militante, que l’entêtement de leur candidat putatif risque de priver de l’élection.
Il y a quelques années, la presse française reprenait sans discernement les éléments de langage des Russes au Sahel. Aujourd’hui, elle reprend de la même manière ceux de l’opposition ivoirienne avec tous les risques que cela comporte. La posture de la France en Afrique est déjà suffisamment difficile pour que des journalistes sans prudence ni pondération ne compliquent la situation.
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