L’école libre à l’ère du soupçon
Au prétexte de l’affaire Bétharram, l’administration sort la matraque contre l'enseignement catholique (qu’elle n’a jamais du reste tellement ménagé). Au nom de la République, bien sûr... L’article L’école libre à l’ère du soupçon est apparu en premier sur Causeur.

Au prétexte de l’affaire Bétharram, l’administration sort la matraque contre l’enseignement catholique (qu’elle n’a jamais du reste tellement ménagé). Au nom de la République, bien sûr.
C’est peut-être en se rendant à l’école Notre-Dame-des-Vertus, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, que l’on mesure le mieux la popularité de l’enseignement catholique en France de nos jours. Le 5 mai, une manifestation a eu lieu devant l’entrée de l’établissement. Plusieurs membres de la section locale de la FCPE, le principal syndicat des parents d’élèves du public, sont venus distribuer des tracts. Avec ce curieux mot d’ordre : « Revenez ! ». Un message destiné aux familles qui ont préféré inscrire leur progéniture dans cette institution privée sous contrat, où les effectifs sont pourtant saturés, au lieu de les envoyer à la communale. Résultat, les écoles publiques de la ville sont désertées, et le rectorat n’a d’autre choix que de réduire drastiquement leurs capacités d’accueil. Il vient d’annoncer la fermeture de pas moins de treize classes pour la rentrée prochaine.
L’école publique va mal et on a donc trouvé le responsable. Ce ne sont ni les violences scolaires, ni les agressions de certains agents, ni l’effondrement du niveau en mathématiques, ni l’illettrisme à l’entrée au collège (voire à sa sortie). Le vrai danger, l’urgence, le fléau de l’école publique, c’est sa concurrente, l’école privée. Celle qui fonctionne à peu près, coupable de croire que l’on peut encore transmettre quelque chose à des enfants. « Chez nous, les dossiers sont déposés dès septembre pour la rentrée de l’an prochain, confie un directeur d’établissement de l’ouest parisien. Pas besoin de journée portes ouvertes pour attirer les parents. On refuse déjà un sixième des dossiers. »
Le niveau baisse !
Pourquoi ce succès ? Dans une étude BVA publiée par la fondation Jean-Jaurès en 2024, les trois quarts des Français considèrent que la situation de l’école publique s’est détériorée (73%) contre 15 % seulement qui font le même constat pour l’école sous contrat – constituée à 96% d’établissements catholiques. Effet d’un soudain revival de la foi ? Seuls 6% des parents optent pour le privé par conviction religieuse. Cependant, selon la même étude, une majorité trouve que les mots d’ordre, de mérite et d’autorité s’appliquent mieux au privé qu’à l’école publique. L’enseignement catholique apparaît en somme comme un recours aux yeux de nombreuses familles effrayées par la baisse de niveau telle qu’elle est confirmée par diverses études.
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Difficile toutefois pour la puissance publique d’interdire ce que plébiscitent les citoyens. En 1984, la loi Savary avait certes eu pour objet de fusionner l’enseignement libre et l’enseignement public dans un « grand service public unifié » de l’Éducation nationale. Seulement, des manifestations monstres avaient alors mis un coup d’arrêt au projet. Si la lutte continue à présent, c’est par d’autres moyens, moins frontaux : affaires, rapports, polémiques, déclarations chocs…
Bref, on assèche le privé, on l’épuise méthodiquement. A la rentrée 2024, l’enseignement catholique parisien, qui fait pourtant le plein, s’est par exemple vu retirer 40 postes d’enseignants par le ministère. Un non-sens statistique. Pour le reste, ce sont des inspections-surprises, contrôles pédagogiques kafkaïens, pressions administratives. A la limite du harcèlement scolaire.
La guerre scolaire continue !
La gauche médiatico-politique est en première ligne dans cette guerre scolaire à bas bruit. On se souvient que les éphémères ministres Oudéa-Castéra et N’diaye s’étaient attiré les foudres des journaux progressistes pour avoir inscrit leurs enfants à Stanislas ou à l’école Alsacienne. LFI n’est pas en reste : le député insoumis Paul Vannier, auteur d’un rapport parlementaire de 2024 sur le sujet, réclame un resserrement administratif, à base de malus pour les établissements peu mixtes et de renforcement des contrôles.
Le 15 mars la ministre Elisabeth Borne lui a donné en partie satisfaction. Réagissant au mouvement MeToo qui s’est emparé de l’Eglise et de ses institutions, elle a décidé un rehaussement de la surveillance dans les 7500 écoles sous contrat de France. « Soixante inspecteurs supplémentaires vont être déployés en 2025 et 2026, a-t-elle annoncé, et 40 % des établissements privés sous contrat seront inspectés dans les deux prochaines années, dont la moitié par des visites sur place ».
Première école visée par l’opération : Bétharram bien sûr. La descente des services a eu lieu dès le surlendemain. Pour les professeurs de l’établissement, désormais baptisé « Le Beau Rameau », près de Pau, « la visite des inspecteurs a été vécue douloureusement alors qu’ils ne sont pas concernés directement par les événements passés » écrit la CFTC, principal syndicat des enseignants du privé.
A l’Institution Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, elle aussi la cible d’accusations graves après le dépôt d’une plainte contre un surveillant pour « violence sexuelle et agression psychologique », c’est une dizaine d’hommes en gris, soit un inspecteur par discipline, qui a également débarqué récemment, assistant aux cours à l’improviste, s’entretenant avec les élèves… Les turpitudes d’un employé, aussi ignobles soient-elles, rendent-elles toute une structure suspecte ?
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« Les inspections sont plus autoritaires cette année d’après ce qu’on me dit… » note Françoise Candelier, à la tête de l’école hors-contrat du Blanc Mesnil, à Croix dans le Nord. Depuis la création, en 2009, de cet établissement non confessionnel qui propose un parcours d’excellence avec haute dose de grec ancien et de culture civilisationnelle, la directrice a déjà connu ce genre d’inspections à plusieurs, par rangées de dix, débarquant parfois à l’improviste : « Cela pouvait être impressionnant mais cela s’est dans l’ensemble bien passé ».
Le privé sous contrat fait pour ainsi dire désormais l’expérience de la surveillance étroite réservée jusqu’à présent au privé hors-contrat. « Je ne suis pas inquiète pour Stanislas ou Neuilly, indique toutefois Françoise Candelier. Les enfants de la bourgeoisie auront toujours leurs écoles. Mais ce sont les enfants de province parfois issus des classes moyennes ou populaires qui pourraient voir leurs libertés être rognées ». Comme le disait l’ancien ministre de l’Education nationale Vincent Peillon (2012-2014) dans le titre de son livre programme, « la Révolution française n’est pas terminée ».
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