Le trumpisme, un mouvement contre-révolutionnaire?
L’élection de Donald Trump et sa politique disruptive aux États-Unis marquent un tournant décisif dans le processus de mondialisation. Elles incarnent une réaction directe à l’indifférenciation généralisée que les élites politiques ont encouragée pendant des décennies... L’article Le trumpisme, un mouvement contre-révolutionnaire? est apparu en premier sur Causeur.

L’élection de Donald Trump et sa politique disruptive aux États-Unis marquent un tournant décisif dans le processus de mondialisation. Elles incarnent une réaction directe à l’indifférenciation généralisée que les élites politiques ont encouragée pendant des décennies.
C’est une petite vidéo passée inaperçue, retwittée par Elon Musk fin février. Dans celle-ci, l’historien et commentateur Victor Davies Hanson se plaignait que le trumpisme soit associé à une révolution. « Ce n’est pas une nouvelle révolution. C’est une contre-révolution, un retour en arrière contre les excès de la gauche, une restauration de ce qui a fonctionné ».
La tech passe à droite !
Peu porté sur la politique jusque ces deux dernières années, l’entrepreneur star du spatial a opéré un revirement spectaculaire, jusqu’à afficher un soutien plein et entier au candidat Donald Trump pendant la campagne présidentielle américaine. Le 18 septembre, il expliquait sa position sur X : « Les démocrates ont tellement basculé à gauche que les républicains, avec tous leurs défauts, apparaissent aujourd’hui comme le choix des modérés ». Il récidivait quatre jours plus tard : « La gauche a perdu les pédales et les républicains sont les seuls à rester au milieu. Les gens le voient ». Elon Musk affirme régulièrement que le Parti démocrate s’est extrémisé, et cela l’inquiète : « Je n’ai pas bougé – ce sont eux qui ont bougé » écrivait-il encore début mars.
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Que reproche Elon Musk à la gauche américaine ? On peut citer pêle-mêle l’ouverture des vannes de l’immigration illégale durant les années Biden, accusée de déstabiliser le pays, l’offensive sur la question du genre sexué et plus généralement ce qu’il appelle le « virus de l’esprit woke », le malthusianisme profond du clan progressiste, et l’étatisme dont il serait porteur. Cette conscientisation politique tardive est consécutive à la censure profonde de l’information qui s’est installée aux États-Unis et chez ses alliés à partir de l’année 2020, qui l’avait incité à racheter le réseau Twitter en 2022 non sans une prise de risque financière.
« Des politiciens malades et radicaux »
S’il est devenu incontournable dans les médias, le fondateur de SpaceX et de Tesla n’est qu’un élément tardif de cette profonde révolte conservatrice et libertarienne qui a cours en Amérique. Celle-ci part de loin – on peut remonter au mouvement Tea Party qui avait pris de l’ampleur il y a une quinzaine d’années – et elle s’organise autour d’un homme : Donald Trump. Souvent présenté comme un simple businessman à la faconde facile, le président des États-Unis est aussi porteur d’une pensée politique structurée, que ses diatribes cachent à la perspicacité de nombreux analystes. Ses attaques contre ses adversaires ont rarement été relevées de ce côté-ci de l’Atlantique alors qu’elles révèlent beaucoup de sa pensée. Écoutons-le en meeting dans le Michigan en avril 2022 : « Ensemble nous nous levons contre certaines des forces les plus sinistres et des opposants les plus vicieux que notre pays ait jamais vus. Malgré tout ce que vous entendez à propos de la Chine, de la Russie, de l’Iran et d’autres, notre plus grand danger ne provient pas de l’extérieur mais des politiciens malades et radicaux qui ont voulu détruire notre pays en toute connaissance de cause ».
Simple effet de manches ? Non pas, car l’homme dénonce depuis près de dix ans ceux qu’il appelle les « mondialistes ». En juin 2016, il critiquait ouvertement la voie empruntée par sa principale opposante, et affichait un choix clair : « Hillary [Clinton] dit que les choses ne peuvent pas changer. Je dis qu’elles doivent changer. Il faut choisir entre l’américanisme ou son mondialisme corrompu ». Devenu président des États-Unis, il récidivait en 2017 pour son premier discours à la tribune des Nations Unies, dans lequel il visait « les accords de commerce multinationaux géants, les tribunaux internationaux irresponsables et les bureaucraties globales puissantes ».
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Révolution, contre-révolution, mondialisme, forces radicales… Quoique l’on pense des manières du président américain et des mesures du Parti républicain, ces mots décrivent une réalité largement ignorée dans le débat médiatique en France. Depuis des décennies en effet, dans nos pays occidentaux, dirigeants, intellectuels ou financiers appellent à une refonte complète de notre société et de son cadre politique. Ils parlent publiquement de révolution, de planification et de centralisation mondiale, de transformations sociétales. On trouve ces aspirations dans des think tank puissants, depuis le très malthusien Club de Rome, qui invoquait en 1972 déjà une « révision de la fabrique entière de nos sociétés actuelles », jusqu’au Forum de Davos et son désir affiché de « Grande Réinitialisation » (2020). On les rencontre chez de nombreuses personnalités, parfois à des postes hautement stratégiques, comme la présidence de la Banque Centrale Européenne ou l’administration de l’ONU. L’analyse de leurs discours et de leurs écrits révèlent une tournure d’esprit particulière, portée par le besoin impérieux d’englober le tout du regard, happée par des fantasmes d’unicité et d’indifférenciation sociétale, mais aussi fascinée par les chocs et les crises.
Un processus révolutionnaire mal identifié
L’opinion commune part du postulat que le temps des grandes idéologies politiques s’est refermé avec le XXème siècle et la chute de l’Union soviétique. L’heure serait au pragmatisme ou aux seuls intérêts économiques. Mais une analyse attentive contrevient à cette impression. Si l’Internationale communiste s’est écroulée avec la puissance qui la portait, des structures proches ont pris le relais, à l’instar de la IIème Internationale – la socialiste.
L’actuel Secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, l’a présidée entre 1999 et 2005, et le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, très en pointe sur les questions d’immigration ou de transgenrisme, en est à sa tête aujourd’hui. Le Parti travailliste anglais de Keir Starmer est un membre historique de la IIème Internationale, tout comme le mouvement politique de l’ancien Secrétaire général de l’OTAN, le norvégien Jens Stoltenberg. En 2013, afin de rénover son idéologie et élargir sa base, l’Internationale socialiste a lancé l’Alliance progressiste, un mouvement qui professe rien moins qu’un programme de « transformation socio-écologique ». Outre-Atlantique, le Parti démocrate avait intégré l’Alliance, ce qui officialise le tournant radical qu’il a pris dans la décennie passée.
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Et la France ? La patrie de la Révolution reste très bien placée dans le concert universaliste. Ces quarante dernières années, de nombreux responsables dans notre pays ont appelé à la suppression des frontières, au mélange des populations et à l’interdépendance économique, autant d’évolutions désignées comme un préalable à l’établissement d’un monde nouveau. De l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce Pascal Lamy prônant l’instauration d’une « Démocratie-Monde » à Christine Lagarde et ses multiples appels au « reset », en passant par Jean Monnet et ses rêves d’Europe « affranchie du poids des siècles et des contraintes de la géographie », partout éclate la volonté d’araser les barrières, les différences, les distances, dans une vision très réductionniste du monde. Emmanuel Macron en personne a exprimé ces grands rêves de transformation, avec une sémantique caractéristique des utopies. Dans le livre programmatique qu’il a fait paraitre avant l’élection présidentielle de 2017, l’ancien protégé de Jacques Attali appelait à « réinventer notre pays » car « nous sommes entrés dans une nouvelle ère ». Il incitait à engager une « conversion » pour coller au « sens de l’histoire », et désignait les conservateurs comme des « ennemis ». Un « siècle de promesses » s’ouvrait, affirmait-il encore, lequel nous emmènerait vers « notre libération collective », à condition de construire un État européen et de définir « un nouvel humanisme ». Le seul livre jamais signé par le président de la République portait un titre révélateur : Révolution…
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