Le lait de foin arrive dans nos magasins et ce n’est sans doute pas ce que vous pensez
Lait de vaches nourries à l’herbe et au foin, le lait de foin est un nouveau label européen au nom trompeur, mais aux nombreux bienfaits pour l’environnement, le bien-être animal et la santé humaine.

Lait de vaches nourries aux herbes et au foin, le lait de foin est un nouveau label européen au nom trompeur, mais aux nombreux bienfaits pour l’environnement, le bien-être animal et la santé humaine.
Quiconque s’arrête au rayon produits laitiers d’un supermarché peut constater que de nombreux idéaux et ambitions sont désormais liés à ces aliments. L’idée d’authenticité, de local, de nature, la prise en compte du bien-être animal, la santé du consommateur émergent en effet de plus en plus, dans ce domaine de l’agroalimentaire tout particulièrement. L’offre est devenue ainsi variée et parfois un peu déroutante pour le consommateur.
On peut donc trouver du lait d’origine animale diverse, lait de vache, de brebis, de chèvre. On peut aussi acheter du lait cru (qui ne sera donc pas pasteurisé) du lait entier, demi-écrémé ou écrémé selon la teneur en matière grasse, du lait AOP (appellation d’origine protégée pour le terroir) ou encore du lait de montagne qui crée un imaginaire autour de la nature. Un temps les consommateurs ont également pu acheter des laits végétaux, à base de soja, d’avoine ou de riz. Mais le terme de lait n’est désormais plus autorisé, car il a été considéré comme trop ambigu et s’est donc vu interdit par l’Union européenne en juin 2017. Ces produits sont aujourd’hui vendus comme des boissons végétales.
Depuis peu, il est également possible d’acheter du lait de foin. Mais qu’est-ce donc que ce nouveau produit ? Est-il d’ailleurs si nouveau ?
Retour sur l’alimentation traditionnelle

Le lait de foin, traduction littérale de Heumilch, a fait son apparition en Autriche, dès 2009, pour désigner le lait provenant d’animaux nourris exclusivement d’herbe fraîche ou de foin. C’est aussi en Autriche qu’a été défini le cahier des charges de ce produit. On y compte aujourd’hui 8 000 producteurs et 60 laiteries et fromageries engagés dans la production de Heumlich.
La production s’élève à 480 millions de litres de lait certifiés « de foin », soit 15 % du volume du lait autrichien.
Si le lait de foin a émergé dans ce pays, ce n’est sans doute pas un hasard : la tradition d’élevage laitier y est forte, fondée sur des pratiques extensives en montagne. Depuis des siècles, les vaches y sont nourries d’herbe fraîche en été et de foin l’hiver, sans recours aux ensilages fermentés. L’ensilage fermenté est une méthode de conservation du fourrage, sans oxygène, pour provoquer une fermentation lactique. Alors que le foin est de l’herbe séchée à l’air libre, l’ensilage fermenté est stocké dans des silos, des ballots recouverts de film plastique. Cet ensilage produit au passage du méthane, un puissant gaz à effet de serre.
Le cahier des charges pour le lait de foin exige, lui, une alimentation composée à 75 % d’herbe et de foin et favorise le bien-être animal avec un pâturage en plein air et une alimentation traditionnelle (herbe et légumineuses l’été et foin l’hiver). Il se veut également respectueux des besoins physiologiques des vaches sans ensilage pouvant provoquer un inconfort métabolique et physiologique, mais avec un accès régulier à l’extérieur permettant une adaptation naturelle aux températures et une liberté d’action qui réduit le stress chez les animaux. Le lait de foin s’inscrit également dans une démarche durable répondant ainsi aux attentes des consommateurs soucieux de l’environnement, car ce mode d’élevage contribue à la biodiversité, en valorisant les pâturages et les prairies permanentes, et émet moins d’émissions de gaz à effet de serre de l’industrie laitière industrielle.
Ce lait de vache a obtenu en 2016 le label européen de spécialité traditionnelle garantie (STG), en reconnaissance de son mode de production. En 2018, cette certification a été étendue aux laits de chèvre et de brebis. Une association regroupant divers agriculteurs a, dans la foulée, vu le jour pour défendre le lait de foin en France et y faire appliquer la « spécialité traditionnelle garantie lait de foin ».
Il s’agit de la deuxième STG officialisée en France après le crustacé moule de Bouchot qui bénéficie de ce même label depuis 2013. Cette première STG française n’impliquait cependant pas une provenance, mais plutôt des qualités (composition, fabrication ou transformation) fondées sur la tradition sont nécessaires.
Concernant le lait de foin, des initiatives ont été prises en France pour développer ces filières comme en Lorraine (2019), ou encore en Bretagne (éleveurs membres de Segrafo, l’association de promotion du séchage en grange), où elles côtoient notamment le bio, car ces techniques sont complémentaires.
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Lait de foin : rien que du bon
Mais en quoi l’alimentation des vaches peut-elle être déterminante pour la fabrication du lait ?
Il faut ici savoir que dans la majeure partie des élevages intensifs, les vaches reçoivent une alimentation souvent concentrée pour maximiser la production laitière. Elles sont ainsi nourries avec une combinaison de fourrages fermentés (herbe, maïs), de concentrés (grains et céréales : maïs, blé, orge ou soja), de suppléments nutritionnels (compléments minéraux et vitaminiques), voire de fourrage sec en faible quantité, le pâturage à l’air libre restant limité.
Or, l’alimentation animale est essentielle, car elle influe sur la qualité, le goût du lait et sur les fromages qui en découlent. La richesse botanique des prairies permanentes utilisées pour le pâturage des vaches contribue à des profils aromatiques distincts. Des études scientifiques sur le lait de chèvre aboutissent aux mêmes conclusions.
De même, la biodiversité du paysage, le développement durable sont préservés lorsque les vaches se nourrissent d’herbes fraîches ou de foin tout en améliorant le bilan carbone de la filière.
Une étude a également souligné les aptitudes à la transformation fromagère des laits de foin biologiques. Les résultats indiquent que l’absence d’aliments fermentés dans l’alimentation des animaux favorise une meilleure qualité du lait pour la production de fromages de haute qualité et une transformation fromagère plus facile.
De plus, le lait issu de vaches nourries à l’herbe et au foin, est bon pour la santé des consommateurs, car le rapport en acides gras Oméga 6 et Oméga 3 serait bien meilleur que le lait standard selon l’Institut de l’élevage.
Si les bienfaits de ce type de lait ne sont donc plus à démontrer, on peut en revanche s’interroger sur la dénomination Heumilch, ou lait de foin, en revenant aux origines.
Choix stratégique de la dénomination
L’appellation Heumilch n’est de fait pas descriptive comme l’aurait été, par exemple, « lait issu d’herbe et de foin » qui rend compte de la réalité de ce que les vaches ingèrent. La terminologie qui a été choisie est, elle, plus courte et fait l’impasse sur l’herbe fraîche.
Ce terme simple a semblé suffisamment évocateur en Autriche pour se différencier du « lait standard » (Standardmilch) ou conventionnel (Konventionelle Milch), souvent produit avec des fourrages fermentés et des aliments industriels. Heumilch correspond à une construction syntaxique identique pour un lait ayant une identité forte et différenciée, en lien avec une agriculture respectueuse et traditionnelle.
L’utilisation de Heumilch est ici métonymique, puisque Heu (foin) représente l’ensemble du mode d’alimentation : il est l’élément distinctif par rapport aux autres systèmes d’élevage. Il s’est donc imposé et, en France, la STG l’a inscrit comme référence officielle. Le lait de foin est ainsi promu comme produit naturel et durable répondant aux attentes des consommateurs modernes.
Mais si ce terme est compréhensible pour les consommateurs autrichiens, il reste encore flou pour les Français.
Une dénomination claire pour le consommateur français ?
Lait de foin renferme de fait une particularité sémantique : comme jus de pomme ou huile d’olive, on pourrait comprendre qu’il désigne un lait fait à partir de foin. Cependant, ce lait provient de la vache et non directement du foin. L’appellation qualitative lait de foin fonctionne donc en fait plutôt comme celles de vin de garde (que l’on peut « garder » à la cave) ou pain de campagne, qui est produit comme on en avait l’habitude à la campagne.
L’appellation s’inscrit donc dans une logique proche des labels alimentaires valorisant un mode de production tel que « beurre de baratte » (mode de fabrication), « œufs de plein air » (condition d’élevage) ou « fromage fermier » (origine artisanale). Le nom du produit est associé à un complément jouant un rôle distinctif et valorisant. La différenciation donne une dimension rustique, naturelle et rend la promesse plus tangible pour le consommateur qui visualise le pré ou le foin.
Mais le consommateur peu familier de cette appellation pourrait associer spontanément « lait de foin » à une boisson végétale comme le lait de soja, d’amande ou encore d’avoine, même si ces dernières appellations étaient désormais illégales en Europe.
Le lait de foin, en revanche, ne contrevient pas à la réglementation, puisqu’il s’agit bien d’un lait animal.
Si une confusion est possible sur le plan linguistique et dans l’esprit des consommateurs, elle sera donc peut-être évitée à terme puisque les laits végétaux sont désormais des expressions inappropriées. Les acteurs du secteur mettent souvent en avant des arguments comme la tradition, le goût authentique et les pratiques d’élevage respectueuses pour rendre le concept plus lisible, à l’instar des poulets fermiers élevés en plein air. Un contexte bien cadré (étiquetage, visuels et communication) permettra d’évacuer totalement la méprise.
Utilisable sur tout le territoire français, pour l’ensemble des produits laitiers dans le respect du cahier des charges européen, la STG lait de foin a de beaux jours à vivre en France, car elle n’en n’est qu’à ses débuts.
Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.