Le job sharing : vers un bouleversement du management ?
Partager un poste c’est possible pour peu que cela soit organisé en amont. Le job-sharing se développe hors de France. Comment ? Pourquoi ?

Partager un poste c’est possible pour peu que cela soit organisé en amont. Le job-sharing se développe hors de France. Comment ? Pourquoi ?
En Angleterre, Claire Walker et Hannah Essex ont partagé le poste de directrices exécutives de la chambre de commerce britannique. Cet exemple illustre une pratique émergente de management : le « job sharing ». Cette organisation novatrice du travail repose sur le partage d’un même poste par deux personnes.
Le job sharing est pratiqué par 31 % des entreprises aux États-Unis, 25 % en Angleterre ou en Suisse. En Allemagne, 25 % des entreprises comptant plus de 500 employés le proposaient en 2024 alors qu’elles n’étaient que 9 % en 2003. Importé des États-Unis, ce concept flexible reste cependant encore méconnu en France, où la complexité de la réglementation française serait identifiée comme un frein à son développement. Toutefois, il présente de nombreux avantages qui pourraient séduire les entreprises.
Pour quel poste et quel profil ?
Le modèle du job sharing est particulièrement adapté pour des postes exigeant une expertise approfondie, des responsabilités managériales ou un fort engagement personnel avec des horaires étendus. L’objectif est d’optimiser l’efficacité en alliant les compétences et l’implication de deux professionnels, tout en améliorant leur équilibre de vie. Concrètement, cela peut se traduire par un rythme où chaque professionnel travaille trois jours par semaine, avec une journée de chevauchement dédiée au partage d’informations et au travail en commun pour assurer une collaboration fluide.
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Le job sharing s’adapte à différentes étapes de la vie professionnelle. Il peut ainsi concerner :
les jeunes professionnels souhaitant mieux s’intégrer en entreprise grâce à un échange intergénérationnel,
les parents ou aidants qui cherchent à concilier leur activité professionnelle avec leurs responsabilités personnelles
et les seniors désireux de rester actifs et de transmettre leur savoir tout en réduisant leur temps de travail.
les slasheurs souhaitant cumuler plusieurs activités, dans le salariat et en dehors
De nouvelles demandes des salariés
D’après l’étude Manpower menée auprès de plus de 13 000 recruteurs issus de huit pays en 2023, 41 % des salariés aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ce facteur pourrait motiver un tiers (33 %) à envisager un changement d’entreprise.
À la différence d’un emploi à temps partiel classique, le job sharing nécessite une coordination étroite entre les partenaires. Ils se répartissent non seulement les horaires, mais aussi les missions, afin d’assurer une continuité optimale dans l’exécution de leur fonction. Les binômes en job sharing bénéficient généralement d’une large autonomie dans leur organisation. Toutefois, la réussite de ce modèle repose sur une parfaite compatibilité et une complémentarité des profils. Un binôme efficace se caractérise par une confiance mutuelle dans les compétences de chacun et une vision partagée des objectifs à atteindre.
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Ne plus choisir entre famille et carrière
Myriam Loingeville fait partie des rares salariées en France à l’avoir expérimenté au sein d’une grande entreprise : la SNCF. Dès le départ, le job sharing répondait à son besoin d’un meilleur équilibre, comme elle l’exprime :
« J’ai découvert le job sharing à un moment où j’avais l’impression de devoir choisir entre ma carrière et ma famille. J’étais Responsable des Ressources Humaines d’une entité de 700 salariés à l’ingénierie SNCF et membre du comité de Direction. Un poste passionnant mais dont les exigences étaient devenues difficilement compatibles avec mon organisation familiale. Avec le soutien de ma hiérarchie, j’ai pu former un tandem avec une collègue manager, Carole Chipot, et nous avons travaillé en co-leadership pendant 3 ans. Nos carrières n’auraient pas suivi la même trajectoire sans le jobsharing. »
À l’étranger, les hommes sont encore peu nombreux à travailler en jobsharing (7 % des postes en tandem en Allemagne)) mais certains commencent à ouvrir la voie, comme Lukas Krienbuehl Co-responsable de la communication à Innosuisse :
« Pour moi, le partage d’un poste de cadre représente une chance inouïe de conjuguer un défi professionnel palpitant et mes responsabilités de père de deux jeunes enfants. Un travail à temps partiel sans job sharing n’offre, à mon sens, pas les mêmes perspectives de responsabilités et de carrière. »
Réintégrer le vivier des managers
Dans le monde du travail, l’engagement et la disponibilité sont encore intrinsèquement liés, ce qui agit comme un plafond de verre pour les salariés qui réduisent leur temps de travail. Le jobsharing permet de réintégrer ces talents dans les viviers de managers, en leur permettant de poursuivre leur carrière tout en ayant le temps disponible au bon moment de leur vie. Ainsi, dans l’entreprise Mercedès, pionnière du jobsharing en Allemagne, 400 managers travaillent en tandem, dont 25 % dans un tandem mixte homme-femme.
Le job sharing constitue également une opportunité précieuse de développement de compétences professionnelles. En travaillant en étroite collaboration, les binômes renforcent des compétences clés telles que la gestion de projet, la communication efficace et le travail d’équipe. Une étude allemande a d’ailleurs mis en lumière les principaux avantages du job sharing, notamment un éventail élargi de compétences et de connaissances (cité par 80 % des managers de binôme) ainsi qu’une capacité accrue d’innovation et de créativité (mentionnée par 70 %)](https://www.jobsharing-hub.de/post/tandems-sind-produktiver-als-vollzeitkr%C3%A4fte).
Deux contrats pour un poste
D’un point de vue juridique, il s’agit de deux contrats à temps partiel volontaire pour un poste à temps plein. Les services des ressources humaines doivent se référer aux règles du droit du travail qui régissent le temps partiel à la demande du salarié. Le volontariat est fondamental dans le dispositif.
Les salariés se choisissent librement et mutuellement car ils vont former un tandem et seront co-responsables de l’atteinte des objectifs. Plusieurs combinaisons de temps partiel peuvent être proposées en fonction de la complexité du poste : de 50-50 à 80-80 %. Il est aussi possible de combiner un poste de manager en job sharing à 60 % avec une mission d’expertise jusqu’à 40 % pour maintenir une compétence technique ou opérationnelle, ce qui crée d’attractifs postes de « manager-expert ».
Le job sharing ne nécessite pas d’adaptation lourde des processus RH existants. Le véritable enjeu pour les entreprises réside dans leur capacité à sensibiliser, connecter et coacher les personnes ayant les compétences et le besoin de ce type d’organisation.
Elodie Gentina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.