Donald Trump, défenseur du sport féminin, vraiment ?

Retour sur le très controversé décret de Donald Trump interdisant aux femmes transgenres de prendre part à des compétitions sportives féminines.

Avr 7, 2025 - 18:26
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Donald Trump, défenseur du sport féminin, vraiment ?

Un décret signé par Donald Trump vise à interdire aux femmes transgenres de participer à toute compétition sportive, quel que soit le sport, et y compris au niveau amateur. Derrière une justification centrée sur la protection des femmes sportives, qui seraient confrontées à une concurrence déloyale si elles affrontaient des femmes transgenres, il y a une vision idéologique qui, pour Washington, a vocation à être appliquée dans le monde entier.


Le 5 février dernier, le président Trump a signé un décret visant à « maintenir les hommes en dehors du sport féminin ». Son but est clair : en faire bannir les personnes trans MtF (Male to Female). Selon ce texte, les compétitions féminines devraient être réservées aux personnes « appartenant, au moment de la conception, au sexe qui produit les grandes cellules reproductives », à savoir les ovocytes. Exit donc les femmes trans (puisqu’elles sont nées de sexe masculin), et même la plupart des femmes intersexes (lesquelles présentent des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas à la division binaire des sexes).

Que l’on ne s’y trompe pas. L’équité des compétitions féminines ou l’intégrité physique des autres participantes, que la participation des femmes trans menacerait et que le décret mentionne pour justifier leur exclusion radicale, ne sont que des prétextes. Si le sujet divise politiquement, il existe au moins une certitude scientifique et juridique : de tels objectifs, pour légitimes qu’ils sont, ne peuvent rationnellement justifier le bannissement de toutes les sportives transgenres, quels que soient leur parcours de transition et leur âge, dans tous les sports, à tous les niveaux de compétition.

Un décret contestable du point de vue juridique

Comparer physiquement à des hommes cisgenres les femmes trans ayant, en plus d’une transition sociale, effectué une transition hormonale (ou eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle) repose sur une fausse équivalence. Traiter de la même façon les filles trans prépubères et les femmes trans ayant connu les effets de la puberté masculine a tout d’une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant sportif. Assujettir les échecs ou le tir sportif à la même règle que l’haltérophilie ou la boxe fait fi des plus élémentaires spécificités sportives. Mélanger les compétitions « élite » et « loisir » ignore que l’important est parfois seulement de participer.


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Le décret pourrait ainsi concrètement conduire, en apportant une réponse simpliste à une question complexe, à ce qu’une jeune fille trans âgée de 8 ans (la prise de conscience de la dysphorie de genre peut parfaitement intervenir dès l’enfance et, s’il peut en aller autrement pour une transition médicale, il n’y a pas d’âge minimum pour effectuer une transition sociale) ne puisse prendre part à des compétitions scolaires féminines de bowling. Ce cas fictif n’est guère éloigné de cas réels, nés de l’application de lois adoptées par de nombreux États républicains, actuellement contestées en justice, au motif qu’elles seraient contraires à la clause d’égale protection de la Constitution américaine et au titre IX de l’Education Amendments Act de 1972 (qui prohibe en principe toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes et activités d’éducation bénéficiant d’une aide financière fédérale).

Bien que l’actuelle composition de la Cour suprême rende tout pronostic délicat, plusieurs des juridictions saisies, y compris des cours d’appel fédérales, se sont montrées sensibles à l’argument, relevant le caractère disproportionné des lois contestées. Il n’est pas impossible que le décret du président Trump, que deux adolescentes du New Hampshire ont été les premières à attaquer, connaisse le même sort.

Dogmatisme assumé

La généralisation abusive à laquelle procède le décret contesté ne constitue en réalité rien d’autre que la manifestation d’un dogmatisme assumé.

L’exclusion promue l’est avant tout, ainsi que le texte ne le cache pas, pour des raisons de « dignité » (celle des sportives cisgenres qui subiraient l’« humiliation » de devoir participer aux mêmes compétitions que des sportives trans) et de « vérité » (alternative, est-on tenté d’ajouter).

En réalité, il ne s’agit pas de protéger le sport féminin. Il s’agit d’exploiter la prétendue évidence (même parmi les électeurs démocrates, 67 % la partageraient selon un sondage effectué en janvier 2025) de l’avantage compétitif injuste dont disposeraient les sportives trans (que le titre du décret qualifie d’« hommes ») par rapport à leurs concurrentes cis (qui, elles, seraient de « vraies femmes »), pour dénoncer plus généralement le « délire » que constituerait le fait de s’affranchir du « bon sens » au nom de l’« idéologie du genre ».

En l’état de la science, la seule vérité est qu’il est « absurde » de donner une réponse unique à la question de la participation des femmes et filles transgenres aux compétitions féminines. Avant la puberté, ou même après pour les enfants qui auraient eu accès à des bloqueurs de puberté, il existe un quasi-consensus scientifique selon lequel les filles et les garçons ont peu ou prou les mêmes capacités physiques, à tout le moins qu’il n’existe pas de différences liées au sexe telles qu’il serait injuste de les faire concourir ensemble. Après la puberté, l’avantage physique dont disposeraient les hommes sur les femmes est très variable d’un sport à un autre, voire parfois inexistant. Et même dans les sports où il est acquis que les effets de la puberté masculine jouent un rôle déterminant, il n’est nullement exclu, sauf peut-être dans certaines disciplines, que l’équité sportive ne serait pas préservée en dépit de la participation d’athlètes ayant suivi une transition hormonale. Le débat reste ouvert.

Quelles conséquences internationales ?

On aurait tort, de notre côté de l’Atlantique, de se contenter de sourire (jaune) face à la transphobie qui motive le décret présidentiel sur le sport féminin. Il n’entend pas seulement rallier à sa vision ostracisante l’ensemble du sport américain. Il prétend y convertir le sport mondial.

Le secrétaire d’État des États-Unis est ainsi chargé de promouvoir au niveau international, aux Nations unies ou ailleurs, l’adoption de normes d’exclusion. Il lui est en particulier demandé d’utiliser tous les moyens appropriés pour que le Comité international olympique (CIO) adopte des règles empêchant qu’à l’avenir une femme transgenre, voire intersexe, puisse prendre part à des événements sportifs dépendant de lui, même sous condition d’avoir réduit son taux de testostérone.

Extrait du décret du 5 février 2025 : « Le secrétaire d’État utilisera toutes les mesures appropriées et disponibles pour veiller à ce que le Comité international olympique modifie les normes régissant les épreuves sportives olympiques afin de promouvoir l’équité, la sécurité et les meilleurs intérêts des athlètes féminines en veillant à ce que l’éligibilité à la participation aux épreuves sportives féminines soit déterminée en fonction du sexe et non de l’identité de genre ou de la réduction de la testostérone. » Whitehouse.gov

Le principe d’indépendance du mouvement sportif, lequel est censé s’opposer à toute ingérence politique dans son fonctionnement, résistera-t-il à l’offensive américaine annoncée ? On peut l’espérer. L’arrêt que rendra prochainement la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Caster Semenya, née de la contestation des règles de la Fédération internationale d’athlétisme relatives à l’éligibilité des sportives intersexuées, y aidera peut-être.

Le bras de fer en vue des Jeux olympiques et paralympiques de Los Angeles est en tout cas déjà engagé. Le décret prévoit en effet de refuser l’entrée aux États-Unis à toute personne transgenre ou intersexe désireuse de s’y rendre pour participer à des compétitions féminines. Or de tels refus seraient contraires aux promesses faites par le gouvernement américain au stade de la candidature pour l’organisation des Jeux de 2028 et reprises dans le contrat de ville hôte.

Cette dernière, comme les États-Unis, s’est engagée non seulement à ce que toute personne titulaire d’une carte d’identité et d’une accréditation olympique puisse entrer sur le territoire américain, mais aussi, plus largement à respecter les principes fondamentaux et les valeurs de l’olympisme – à commencer par le principe de non-discrimination. Si ce principe n’interdit pas nécessairement toute différence juridique de traitement, encore faut-il, selon un standard à peu près universellement admis, qu’elle repose sur une justification objective et raisonnable. Soit l’exact inverse de celle fondant le décret signé par le président Trump.The Conversation

Mathieu Maisonneuve est membre du comité d'experts sur la transidentité dans le sport de haut niveau