Autisme: ne plus en faire toute une maladie?
Florence Henry, mère de famille, affirme avoir trouvé une solution pour les enfants autistes, et rêve d’en faire profiter le plus grand nombre. Mais, sa méthode est cependant difficilement généralisable... L’article Autisme: ne plus en faire toute une maladie? est apparu en premier sur Causeur.

Florence Henry, mère de famille, affirme avoir trouvé une solution pour les enfants autistes, et rêve d’en faire profiter le plus grand nombre. Mais, sa méthode est cependant difficilement généralisable.
Le livre L’Enfermement[1] de Florence Henry raconte l’histoire d’une mère de famille française qui, sans formation médicale, a mis toute son intuition maternelle et son sens de l’observation au service de sa fille Océane, atteinte d’autisme grave. Après des années de lutte, elle a conçu une méthode qui a changé la vie de milliers de familles et est maintenant reconnue à l’échelle internationale : son livre sera bientôt publié en Chine. Le combat de Florence Henry est de libérer tous les enfants autistes de l’isolement et d’offrir à leurs familles un message d’espoir : l’autisme n’est plus, aujourd’hui, une fatalité.
Le combat d’une mère pour sa fille Océane
L’histoire d’Océane reflète celle de nombreux enfants autistes graves, un parcours jalonné d’obstacles dans un système scolaire défaillant. Diagnostiquée autiste grave à l’âge de trois ans, incapable de parler ou de comprendre son environnement, sa différence fait d’elle une cible privilégiée de maltraitances de la part de ses camarades de classe. En maternelle, Océane se retrouve nue car déshabillée de force par d’autres enfants. Après un changement d’école, la petite fille revient avec des bleus. Face à cette situation, Florence, qui était dans une ancienne vie commerciale au journal La Montagne, prend une décision radicale : celle de se consacrer entièrement à l’éducation de sa fille, qu’elle décide de scolariser à domicile. Pendant dix ans, Florence se consacre entièrement à Océane (« Je devais même savoir pour elle quand elle devait boire, car elle ne sentait pas la soif ») et met en place des exercices quotidiens à la maison, soutenus par un programme structuré et un emploi du temps rigoureux. La routine devient essentielle : lever à 8h, répétitions jusqu’à midi, avec des horaires similaires à ceux d’une journée de bureau. Ce travail constant finit par porter ses fruits : après des années de silence, Océane prononce son premier son.
C’est le déclic pour Florence, qui développe une méthode de stimulation active fondée sur des exercices simples mais efficaces. Cette méthode repose sur l’utilisation d’un système d’organisation ultra-performant avec des cahiers à double page comme outil central pour renforcer les associations de sons et de lettres ainsi qu’une répétition systématique pour ancrer les acquis, « resserrer la pensée, contourner le handicap et réparer les connexions ». « Il faut y aller doucement, mais avec constance », explique Florence. Le système qu’elle a mis en place se nourrit sur la pédagogie, la bienveillance mais aussi sur la stimulation cognitive pour aider les enfants autistes à s’exprimer et à comprendre leur environnement. Grâce à cette approche, Océane reprend progressivement sa place dans la société. Adolescente, elle intègre une classe de cinquième en ayant rattrapé l’intégralité de son retard scolaire. Un immense soulagement pour sa mère : « Quand elle était à la maison, l’inspecteur venait à chaque fin d’année. J’éprouvais une pression énorme et la peur constante qu’on puisse me retirer mon enfant ». Le collège propose des aides à Océane, mais elle les refuse et insiste pour poursuivre seule sa scolarité. Elle décroche un baccalauréat S, spécialité mathématiques. Aujourd’hui, à 23 ans, Océane est titulaire de deux licences et termine un Master 2 en informatique. Et ses camarades de classe ? « Océane a des amies, beaucoup d’amies. Je ne savais pas qu’on pouvait en avoir autant. Elle est apaisante, et c’est elle que ses amies contactent lorsqu’elles ont des soucis » raconte Florence, émue. Un parcours que les médecins jugeaient alors impossible.
Une méthode au service des familles d’autistes
Forte des succès obtenus avec sa fille, Florence décide de formaliser sa méthode, qu’elle nomme la méthode API (« A, le premier son, et PI, le chiffre de l’infini, car les possibilités de sortir les enfants de l’autisme sont infinies »). Pendant deux ans, elle consigne par écrit son expérience. Peintre avant le diagnostic de sa fille, elle reprend son pinceau et crée près de mille illustrations pour accompagner son livre, « Méthode API : ma méthode pour vaincre l’autisme »[2], publié en 2021. Composé de 320 pages, l’ouvrage est relu par des professionnels de l’autisme, stupéfaits par l’intelligence intuitive de cette mère qui, sans le savoir, a intégré des techniques déjà existantes aux États-Unis tout en en développant de nouvelles. Le Dr Jean-Pierre Laboureau, ancien chef du service pédiatrie de l’hôpital d’Auxerre, rédige la préface et souligne « les résultats spectaculaires de la méthode API ». Son livre, réédité en 2025, rend cette méthode accessible à un public toujours plus large. Parallèlement, Florence a étendu son action à l’international. Sa méthode, déjà traduite en anglais, est en cours de traduction en chinois et en néerlandais, et reçoit des demandes de diffusion en Afrique. À ce jour, des milliers de familles, tant en France qu’à l’étranger, ont pu bénéficier de l’expérience de cette mère française totalement autodidacte. « Nous avons vu des progrès même chez les adultes », raconte Florence. « Cela prouve que l’on peut toujours améliorer la qualité de vie des personnes, même lorsque l’autisme est sévère. Je ne promets pas la guérison pour tous mais je peux garantir une véritable amélioration ».
Grâce au bouche-à-oreille, Florence est de plus en plus sollicitée pour intervenir dans des situations jugées extrêmes. Un jour, des parents suisses la contactent pour leur enfant de sept ans, atteint d’autisme sévère. Il s’agit de l’un des cas les plus graves en Suisse : l’enfant est extrêmement violent, mord ses proches et mange ses excréments. La gravité de ses troubles a conduit à son abandon par les services publics. Désespérés, les parents ont même cherché une solution en Russie, où des traitements radicaux comme l’enfermement dans un caisson hyperbare et des transfusions de cellules souches ont été proposés, mais en vain. Florence se rend alors en Suisse pour rencontrer l’enfant. « En seulement deux périodes de quinze jours de mon accompagnement, toute manifestation de violence avait disparu », raconte-t-elle. Elle continue de se rendre régulièrement auprès de l’enfant, à la demande des parents. « À chaque fois que je reviens, il faut deux jours pour qu’il se réadapte. C’est comme s’il fallait aller chercher son âme et la ramener dans son corps, le réancrer dans le monde. Mais une fois les progrès acquis, ils restent définitifs. »
« Chaque année, nous perdons des Océane »
Florence souligne l’importance de travailler la neuroplasticité dès le plus jeune âge. Pour elle, l’avenir de l’autisme grave réside dans des méthodes adaptées aux besoins spécifiques des enfants. « Il faut comprendre que chaque enfant est unique, et les méthodes doivent être ajustées. Mais l’adaptation doit se faire le plus tôt possible », explique-t-elle. « Car, chaque année, nous perdons des Océane. » La méthode API développée par Florence Henry représente une approche atypique mais profondément humaine dans l’accompagnement des personnes autistes. Elle témoigne d’une volonté rare de replacer l’individu – et non le protocole – au centre de la démarche éducative et thérapeutique. Inspirée par une expérience personnelle intense, cette méthode propose des outils concrets, un cadre structuré et une relation fondée sur une bienveillance constante, dans le but de favoriser la progression et l’autonomisation des enfants autistes.
Ce qui distingue fondamentalement l’API, au-delà de ses outils techniques, c’est la radicalité de son engagement. Il s’agit d’une méthode qui exige un investissement de tous les instants : un engagement émotionnel, cognitif et temporel total de la part du parent ou de l’éducateur. Florence Henry elle-même le reconnaît : l’API est un combat de chaque jour, une immersion complète dans le monde de l’enfant autiste, avec pour seule boussole sa progression, aussi lente ou atypique soit-elle.
Ce niveau d’investissement, s’il est admirable, soulève aussi une question essentielle : celle de la transférabilité de la méthode. Peut-on raisonnablement attendre d’un parent ou d’un professionnel, dans des contextes ordinaires – souvent marqués par le manque de moyens, de temps ou de soutien institutionnel – un tel niveau d’implication ? L’API, telle que pratiquée par Florence Henry, semble moins un protocole généralisable qu’une démarche d’exception, forgée dans une situation elle-même exceptionnelle : celle d’une mère prête à tout, jusqu’au sacrifice personnel, pour sortir sa fille du silence.
Par ailleurs, l’absence de validation scientifique rigoureuse, si elle ne discrédite pas l’API en tant que démarche personnelle, empêche pour l’instant son intégration dans le cadre des politiques publiques de santé ou d’éducation. Il reste donc à espérer que cette méthode, source de témoignages positifs, puisse être étudiée de manière objective, pour en identifier les ressorts efficaces, les limites, et les conditions de reproductibilité.
En somme, l’API mérite d’être saluée comme une initiative audacieuse, portée par une force affective hors norme. Elle est le fruit d’un amour transfiguré en méthode, d’une mère devenue éducatrice, thérapeute et militante. Mais cette intensité même, qui fait sa beauté et sa puissance, en marque aussi les limites : l’API, aujourd’hui, est avant tout une méthode de vie, plus qu’un modèle universel.
256 pages
[1] Florence Henry L’Enfermement, Éditions XO, 2018.
[2] Méthode API : ma méthode pour vaincre l’autisme, Auto-édition, 2021.
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