Vencorex: les Chinois ont bon dos…
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Le gouvernement assure vouloir réindustrialiser, mais dans les faits il continuer de laisser des infrastructures nationales critiques être absorbées par des acteurs étrangers.
Il y a des décisions judiciaires qui, bien que techniquement fondées, produisent un sentiment d’inquiétude civique. Le 10 avril, le Tribunal de commerce de Lyon a validé la reprise partielle de l’usine chimique Vencorex par le groupe chinois Wanhua, via sa filiale hongroise BorsodChem, au détriment d’un projet alternatif porté par les salariés eux-mêmes sous forme de coopérative. Une décision conforme au droit commercial, mais aux conséquences lourdes : une industrie stratégique quitte partiellement la France, non par déclin technologique, mais par défaut de modèle économique jugé crédible.
Fleuron industriel grenoblois
Vencorex n’est pas un site industriel comme les autres. Implantée à Pont-de-Claix, en Isère (38), l’usine est l’un des piliers du tissu chimique français. Elle est le deuxième producteur mondial d’isocyanates aliphatiques, des composants essentiels dans la fabrication de peintures techniques, d’adhésifs haute performance, et de polymères utilisés dans des secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, le bâtiment ou les infrastructures. Elle produit également du sel, du chlore et de la soude, approvisionnant en amont d’autres acteurs industriels majeurs de la région, notamment Arkema à Jarrie. En somme, un nœud logistique et stratégique de première importance dans la chimie française.
Pourtant, cette entreprise jugée stratégique n’a pas résisté à une combinaison de vulnérabilités structurelles. Le cœur de son activité (les isocyanates) l’a exposée à une concurrence mondiale particulièrement agressive, notamment venue d’Asie. Le groupe chinois Wanhua, désormais repreneur partiel, avait déjà inondé le marché de produits similaires à des prix plus compétitifs. Face à cette pression, Vencorex a perdu rapidement des parts de marché, affichant 80 millions d’euros de pertes en 2023, sans perspective de redressement pour l’année suivante.
Cette fragilité s’est aggravée par le manque de diversification de l’entreprise. Trop centrée sur un produit unique, sans stratégie d’élargissement de gamme ni repositionnement technologique, Vencorex est devenue structurellement vulnérable aux cycles du marché. Or son actionnaire principal, le groupe pétrochimique thaïlandais PTT Global Chemical, n’a pas accompagné cette évolution stratégique. L’attitude de cet actionnaire thaïlandais mérite plus qu’un simple rappel parmi les causes profondes de l’effondrement de Vencorex. Son retrait progressif, puis son refus de soutenir l’entreprise au moment critique, n’est pas un accident de parcours : c’est le révélateur d’un désalignement structurel entre logique actionnariale globale et ancrage industriel local.
Lorsqu’il rachète Vencorex en 2012, PTTGC cherche à diversifier son portefeuille hors d’Asie, sans pour autant inscrire cette acquisition dans une stratégie à long terme. Dès lors que l’activité devient déficitaire, l’actionnaire, éloigné géographiquement comme politiquement, choisit de ne plus investir, ni même d’assurer une transition ordonnée. Son refus de financer une période de continuité en 2024, alors que l’usine ne disposait que de quelques semaines de trésorerie, a précipité le placement en redressement judiciaire.
Ce désengagement n’est pas simplement une erreur de pilotage : il révèle l’impasse dans laquelle peut tomber un site industriel stratégique lorsqu’il dépend d’un actionnaire étranger non impliqué. PTTGC n’a ni les relais institutionnels ni la culture de co-construction nécessaires pour gérer une crise industrielle en France. Face aux pertes, il a préféré solder un actif jugé secondaire plutôt que d’en assurer la restructuration. Cette désaffection a précipité le placement en redressement judiciaire à l’été 2024.
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Face à la dégradation de la situation financière du site, deux offres principales ont été soumises au tribunal : l’une portée par BorsodChem (filiale européenne du groupe chinois Wanhua), promettant 19 millions d’euros d’investissement mais ne conservant que 54 emplois sur 450 ; l’autre, un projet coopératif structuré par les salariés, avec le soutien des collectivités locales et de partenaires privés. Le tribunal a tranché en faveur de la première, estimant que la seconde ne disposait pas de garanties de trésorerie suffisantes — le site ne pouvant être sécurisé que pour quinze jours supplémentaires, selon les experts judiciaires.
Mais cette décision, si elle obéit à une stricte logique de continuité, entérine aussi un transfert partiel d’un outil industriel stratégique vers un acteur étranger dominant. Car Wanhua n’est pas un industriel marginal : c’est le leader mondial du secteur, avec plus de 29 000 employés, une présence dans dix pays, un portefeuille de plus de 8 000 brevets, et une stratégie affirmée d’intégration verticale. Sa filiale hongroise ne reprend qu’une partie du site (l’unité de production des tolonates), ce qui revient à démembrer une infrastructure industrielle cohérente, et à supprimer plus de 300 emplois.
Il serait trompeur de croire que c’est la Hongrie qui a réussi là où la France a échoué. En réalité, c’est la Chine, via la Hongrie, qui a su capter un actif stratégique français, là où ni l’État français, ni les investisseurs privés, ni même le tissu industriel local n’ont été en mesure — ou en situation — de proposer une alternative crédible et suffisamment capitalisée.
BorsodChem, entreprise historique de la chimie lourde hongroise, n’est plus une société autonome depuis 2011. Elle est devenue, par acquisition, le relais européen du groupe chinois Wanhua, géant mondial du polyuréthane. Dès lors, ce que l’on nomme “réussite hongroise” est en réalité la capacité d’un groupe international à mobiliser très rapidement des fonds, à présenter une offre techniquement et juridiquement robuste, et à rassurer un tribunal sur la continuité d’exploitation, même partielle.
Les Français observateurs passifs
À l’inverse, le projet porté par les salariés de Vencorex, structuré en société coopérative, reposait sur des soutiens publics locaux, des promesses d’investissements privés, mais sans trésorerie disponible immédiatement. Le tribunal de commerce de Lyon n’a pas jugé le projet sur son ambition, mais sur sa liquidité.
Enfin, il faut noter que Wanhua ne reprend pas Vencorex pour faire vivre l’industrie chimique française, mais pour intégrer un maillon utile à sa chaîne mondiale d’approvisionnement. L’intérêt est technologique et stratégique. Il s’inscrit dans une politique d’expansion méthodique, que la France, privée de vision industrielle cohérente, ne peut qu’observer.
La France proclame vouloir réindustrialiser, mais, dans les faits, laisse ses infrastructures critiques être absorbées par des acteurs étrangers. Pourtant, dans ce même secteur hautement concurrentiel, certains acteurs européens ont su s’adapter, évoluer et rester compétitifs. L’allemand Covestro, ex-filiale de Bayer, a réussi à consolider ses positions sur les marchés mondiaux des polyuréthanes et des plastiques de performance grâce à une stratégie de montée en gamme, d’intégration environnementale et d’investissements continus dans la R&D. Même Huntsman, groupe américain très présent en Europe, a ajusté ses chaînes de production pour préserver sa rentabilité dans un environnement sous pression.
Mais le meilleur exemple est l’italien Versalis. Alors que certaines entreprises européennes ont subi de plein fouet la concurrence asiatique, d’autres ont su redéfinir leur trajectoire en misant sur la valeur ajoutée et la transformation écologique. C’est le cas de cette filiale chimique du groupe ENI, qui illustre ce que peut être une stratégie industrielle cohérente lorsque les acteurs publics assument un rôle d’impulsion et d’orientation.
Face à la pression sur les marges dans la chimie de base, Versalis a choisi de se désengager partiellement des productions de masse pour se recentrer sur des segments plus spécialisés et plus résilients. À Porto Marghera, en Vénétie (historiquement un pôle majeur de l’industrie chimique), l’entreprise a investi dans une usine de recyclage avancé de plastiques post-consommation, destinée à alimenter les secteurs de l’emballage et du bâtiment. Sur le même site, elle a également implanté la première unité italienne de production d’alcool isopropylique, réduisant ainsi une dépendance stratégique nationale.
Cette mutation n’aurait pas été possible sans le soutien direct du gouvernement italien, actionnaire majoritaire d’ENI. En octobre 2024, l’État italien a lancé, via ENI, un plan de relance et de décarbonation de 2 milliards d’euros sur cinq ans, visant à moderniser Versalis, à réduire de 40 % ses émissions de CO₂ et à en faire un acteur central de la chimie verte. Cette impulsion publique ne s’est pas limitée à un appui financier : elle a structuré une vision industrielle claire, articulant transition écologique, innovation et souveraineté.
Surtout, Versalis a accéléré sa transition vers la chimie durable : en rachetant 100 % de Novamont, pionnier des bioplastiques et des polymères biodégradables, elle s’est imposée comme un acteur de premier plan dans la filière des matériaux renouvelables. En rejoignant la Circular Plastics Alliance, elle a également pris part à la structuration d’un écosystème européen du recyclage chimique.
Cette capacité à articuler innovation, pilotage public et performance économique démontre qu’il est possible, en Europe, de résister à la mondialisation de la chimie. Là où Vencorex s’est repliée, Versalis a muté. Et c’est cette mutation, portée aussi par l’État, qui, demain, fera la différence.
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