Vatican : le conclave, un système très codifié vieux de plusieurs siècles

L’élection du pape par les cardinaux réunis en conclave peut paraître étonnante. Mais ce système résulte de siècles d’ingérences extérieures et de pillages au sein du Vatican.

Mar 23, 2025 - 17:12
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Vatican : le conclave, un système très codifié vieux de plusieurs siècles

Le pape François est hospitalisé à Rome depuis le 14 février 2025 pour traiter une pneumonie et d’autres problèmes de santé. S’il venait à ne plus pouvoir exercer, un conclave serait tenu pour choisir le prochain pape. Ce système très codifié, tenu à huis clos, a été mis en place au Moyen Âge pour éviter bagarres, intrigues politiques et… pillages des affaires du pape.


« Conclave » est formé des mots latins cum clave qui signifient « avec clé », en référence à l’isolement des cardinaux lors de l’élection papale. Elle se déroulait autrefois dans le lieu où le pape était mort (et désormais toujours au Vatican). Pourquoi cet isolement ? Parce qu’il fallut des siècles à l’Église pour élaborer un système électoral à l’abri des manipulations et de la violence.

Choisi par « le peuple » ?

Dans le christianisme de l’Antiquité tardive (de la fin du IIIe siècle au début du VIe siècle), l’élection de cette figure puissante est un événement houleux, marqué par la violence et les ingérences extérieures.

Le pape est désigné par « le peuple de Rome » avec consensus. En réalité, cela veut dire que l’élection est aux mains des foules, des aristocrates, des rois, des empereurs ou de quiconque contrôle Rome. Ils discutent, négocient ou se battent et, bien souvent, les plus puissants imposent leur candidat.

Par exemple, l’élection en 686 du pape Conon est décrite dans Le Livre des pontifes comme un épisode chaotique impliquant l’armée. L’auteur raconte :

« Il y eut de vifs débats, car le clergé soutenait l’archiprêtre Pierre, tandis que l’armée préférait Théodore. »

Après de longues négociations, le clergé finit par opter pour Conon.


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Trois années sans pape

Pour sauver le système électoral du chaos interne et externe, le pape Nicolas II décrète en 1059 que les papes doivent être choisis par des hommes d’Église – à savoir, les cardinaux-évêques. Jusqu’alors, les cardinaux étaient impliqués dans les fonctions liturgiques des grandes basiliques de Rome. Ils pouvaient être prêtres, diacres ou évêques.

Cela non plus ne fonctionne pas et la nomination du pape continue a être houleuse, avec mésententes et pressions entre pouvoir religieux et séculier. Un siècle plus tard, en 1179, le pape Alexandre III décrète que tous les cardinaux deviennent les électeurs du pape avec représentation égale entre prêtres, diacres et évêques, et qu’un candidat doit obtenir les deux tiers des voix pour être élu.

Peu importe, intrigues et querelles continuent à entacher le processus pendant des années. Dans un cas, les dissensions cardinalices poussent l’interrègne papal à ses limites : il faudra trois années (1268–1271) pour que les cardinaux arrivent finalement à un compromis et nomment Teobaldo Visconti pape Grégoire X. Tant que le « Saint-Siège » est « vacant » les cardinaux gouvernent l’Église, ce qui les incitent à ralentir le processus du mieux qu’ils peuvent.

Isolement total et secret absolu

Les influences externes de la part de l’aristocratie romaine, ou du Saint-Empire, ainsi que de longues vacances apostoliques – c’est-à-dire, l’espace de temps qui sépare la mort d’un pape de l’élection de son successeur –, avec leurs interminables négociations cardinalices, poussent le pape Grégoire X à réagir. En 1274, il édicte le décret « Ubi periculum ».

Les premiers mots du texte, « Ubi periculum maius intenditur », signifient : « Là où le danger est plus grand. » L’incipit du texte reflète l’état des choses. La nomination pontificale est une affaire périlleuse, parfois pour la personne elle-même, mais aussi et surtout pour ses biens.

« Ubi periculum » établit les bases du système encore en vigueur aujourd’hui – et il est le premier texte à imposer l’isolement total des cardinaux pendant le conclave.

Les cardinaux ainsi séquestrés ne peuvent plus s’attarder en discussions interminables, surtout lorsqu’ils sont loin du confort de leurs palais, épaulés par un seul assistant, et qu’ils doivent dormir dans des cellules austères. S’ils mettent plus de trois jours à se décider sur un candidat, ils perdent le privilège de manger plusieurs repas quotidiens, et en sont réduits à un seul. La politique de l’estomac !

Une illustration manuscrite décolorée sur deux pages entières montre des soldats à cheval et des fonctionnaires en robe
Le couronnement du pape, représenté dans la Chronique du concile de Constance, d’Ulrich von Richenthal, datant du XVᵉ siècle. Chronik des Constanzer Concils

Le pillage du Vatican à travers les siècles

Une tradition violente est également attachée aux élections : le pillage des biens du pape décédé, parfois jusqu’à ses vêtements liturgiques, qui est un phénomène récurrent. Difficile d’en identifier la cause exacte : cupidité, dévotion envers des objets rendus sacrés car appartenant à des ecclésiastiques de haut rang ? Ou, dans une autre optique, ressentiment envers les pouvoirs qui, au fil des années, ont privé le « peuple » du processus électoral ?

Remontons jusqu’au Ve siècle. Le concile de Chalcédoine (aujourd’hui Kadiköy, banlieue d’Istanbul, Turquie), en 451, qui rassemble 500 évêques de la chrétienté ou leur représentant, interdit aux clercs de voler les biens du défunt, au risque de perdre leurs titres. Un autre concile décrète quelques années plus tard qu’à la mort d’un évêque :

« Que personne, par vol, force ou tromperie, ne cache, ne s’empare ni ne dissimule quoi que ce soit. »

Pourtant, les pillages se poursuivent pendant des siècles. Dans une lettre de 1050, adressée aux catholiques du diocèse d’Osimo, dans l’actuelle Italie, le cardinal Pierre Damien dénonce :

« D’après plusieurs témoignages, nous savons qu’une pratique perverse et totalement détestable persiste parmi certaines personnes. À la mort de l’évêque, elles se ruent comme des ennemis, saccagent sa maison, volent ses biens comme des voleurs, incendient les demeures de son domaine et, avec une barbarie féroce et sauvage, détruisent ses vignes et ses vergers. »

Malgré l’évolution du système électoral papal et le décret « Ubi periculum », de Grégoire X, en 1274, les pillages continuent.

Après la désignation des cardinaux comme électeurs pontificaux, le pillage s’étend à leur demeure. Il arrive même que le pillage prenne place avant la mort du pape, au fil des rumeurs qui attisent la foule. Une fois le conclave formellement établi, le pillage s’étend en plus aux cellules du conclave où résident les cardinaux pendant leur confinement. Parfois, les conséquences deviennent très graves.

Deux papes et le Grand Schisme d’Occident

À la mort de Grégoire XI en 1378, les cardinaux élisent le pape Urbain VI, mais son comportement autoritaire et réformateur leur fait regretter bientôt leur choix. Quelques mois plus tard, ils le déposent et en élisent un autre, sous prétexte que la première élection s’est déroulée sous la contrainte : la peur causée par la violence de la foule. Pourtant, ils connaissent très bien cette coutume agressive.

Le chroniqueur Thierry de Nieheim, témoin des événements, le confirme sans équivoque. Il raconte qu’après l’élection unanime d’Urbain VI :

« Il (le pape) transfère immédiatement ses livres et autres objets de valeur dans un endroit sûr, afin qu’ils ne soient pas volés. »

Et, il ajoute :

« C’est une coutume chez les Romains d’entrer dans son palais et d’y voler ses livres et autres objets de ce genre. »

Les catholiques médiévaux se retrouvent alors avec deux papes : celui élu en avril 1378 – Urbain VI, qui refuse d’abandonner le pouvoir –, et celui élu en septembre 1378, Clément VII. Deux papes, deux cours et deux « obédiences » qui vont diviser l’Europe pendant presque deux générations. Cette crise, qui dure de 1378 à 1417, prend le nom de Grand Schisme d’Occident.

Aujourd’hui les règles du conclave sont proches de celles du Moyen Âge. Le nombre de cardinaux a augmenté : ils sont environ 250, nommés à vie, mais seuls 138 peuvent actuellement voter, car ils ne sont pas autorisés à le faire lorsqu’ils sont âgés de plus de 80 ans.

Lors du prochain conclave, ils resteront confinés au Vatican, dans la chapelle Sixtine, jusqu’à ce qu’un nouveau pape soit élu, sans pillage ni bagarre, et que la fumée blanche annonce, au public de la place Saint-Pierre, « Habemus papam » (« Nous avons un pape »).The Conversation

Joelle Rollo-Koster ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.