La mondialisation rendra-t-elle la guerre des tarifs douaniers inefficace ?

Avec l’émergence d’une guerre tarifaire sans précédent, assiste-t-on au bouleversement des chaînes de valeur mondiales ? Avec quels perdants et quels gagnants ?

Mar 23, 2025 - 17:12
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La mondialisation rendra-t-elle la guerre des tarifs douaniers inefficace ?
Ouvriers indiens dans une usine de fabrication de téléphone. Bientôt amenée à disparaître au profit des États-Unis ? PradeepGaurs/Shutterstock

Depuis la chute du mur de Berlin, la mondialisation a le vent en poupe. Selon l’adage, chaque pays apporte sa pierre à l’édifice d’un produit fabriqué. Avec l’émergence d’une guerre tarifaire sans précédent, assiste-t-on au bouleversement des chaînes de valeur mondiales ? Avec quels perdants et quels gagnants 


Les nouvelles mesures tarifaires de Donald Trump frappent de plein fouet les chaînes de valeurs mondialisées. Elles pénalisent notamment les producteurs français d’alcool avec des taxes à hauteur de 200 %, mais également l’ensemble des maillons économiques interdépendants. L’idée : inciter à produire aux États-Unis.

Ces soubresauts mettent en lumière l’importance des chaînes de valeur mondiales. Ces dernières ont profondément transformé les dynamiques de production et d’échange en fragmentant la fabrication des biens à travers plusieurs pays. Cette organisation optimise les coûts et la spécialisation, mais elle lance également des défis. Du smartphone assemblé en Asie, avec des composants en provenance de divers régions du monde, à l’automobile fabriquée avec des pièces provenant de plusieurs continents, la production internationale est désormais hautement fragmentée.

Si ces chaînes de valeur influencent la compétitivité des échanges, qui supporte réellement ces taxes et à quel moment du processus de production ?

Tarifs douaniers mondiaux sur l’agriculture, sur la manufacture et sur les ressources naturelles. UNCTAD

Plusieurs taxes

Il existe plusieurs types de taxes. Prenons l’exemple du smartphone. Ce produit très sophistiqué est soumis à plusieurs types de taxes, principalement des droits de douane à l’importation. Ces taxes peuvent être proches de 0 % dans l’Union européenne. Elles augmentent dans certains pays comme l’Inde, atteignant 10 à 20 %. Ces différences de droits de douane sont dues à des objectifs économiques et commerciaux distincts. L’Inde utilisent le droit de douane pour protéger et encourager la production locale et réduire la dépendance aux importations. La TVA est généralement autour de 20 % pour ce produit.

Sans oublier les barrières non tarifaires (BNT). Elles comprennent essentiellement les normes techniques et les certifications, les barrières sanitaires et de sécurité, les normes sur le recyclage, les interdictions des substances dangereuses. Ces barrières non tarifaires compliquent la fluidité des échanges, fragmentent les chaînes de valeurs et poussent vers leur régionalisation.

Aval et amont de la chaîne de valeur

Les droits de douane ne sont pas une taxe uniforme appliquée de manière égale à tous les pays ou à toutes les étapes de la chaîne de valeur. Ils varient considérablement en fonction de la nature du bien échangé. Chaque maillon de la chaîne, qu’il s’agisse de l’extraction des matières premières, de l’assemblage ou de l’exportation des produits finis, présente des coûts différents et des bénéfices variés.


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Les pays qui se trouvent aux premières étapes de la chaîne, par exemple, ceux qui exportent des matières premières ou des produits peu transformés, peuvent subir des taxes élevées sur les biens qu’ils importent pour la transformation. À l’inverse, les pays qui se trouvent plus près de la fin de la chaîne, là où les produits sont finalisés et exportés, peuvent être confrontés à des taxes supplémentaires sur les biens qu’ils cherchent à exporter. Cela peut nuire à leur compétitivité internationale.

Matières premières, composants et produits finis

Les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud et maintenant plusieurs autres pays – sont souvent positionnés sur les premières étapes de la chaîne : extraction, production de matières premières ou assemblage de composants simples. Ils peuvent être les plus exposés à des droits de douane élevés sur les intrants nécessaires à leur production. Ces pays peuvent être désavantagés si les produits finis qu’ils exportent sont frappés de taxes supplémentaires.

Les pays développés, du G7 et du G8, bénéficient généralement d’une position privilégiée sur les étapes plus avancées de la chaîne. Ils peuvent néanmoins subir les conséquences de l’augmentation des droits de douane, notamment sur les composants qu’ils importent pour l’assemblage de produits finis. Les droits de douane peuvent également affecter les pays développés lorsqu’ils tentent d’exporter des biens sophistiqués, limitant ainsi leur accès à de nouveaux marchés.

Chaîne de valeur d’une voiture Volvo S40. Académie d’Aix-Marseille

L’industrie automobile est fortement impactée par les droits de douane à différentes étapes de la chaîne de valeur. L’importation d’acier en Allemagne depuis l’Inde subit une taxe de 10 %, augmentant le coût de production. Les composants électroniques chinois sont frappés par un droit de 5 % à l’exportation, ce qui alourdit la facture pour les constructeurs allemands.

Enfin, si les États-Unis appliquent un droit de 20 % sur les voitures importées d’Allemagne, cela renchérit leur prix pour les consommateurs états-uniens et réduit leur compétitivité face aux véhicules produits localement.

Effet boule de neige

Nos travaux ont apporté un éclairage sur la manière dont les droits de douane affectent différemment les pays en fonction de leur position dans la chaîne de valeur mondiale. Plus une économie exporte des biens à forte valeur ajoutée, plus il est exposé à des barrières tarifaires.

Les pays qui exportent des produits de haute technologie ou à forte valeur ajoutée – composants électroniques, véhicules ou machines spécialisées – sont souvent les plus vulnérables aux barrières commerciales. Ces produits nécessitent des chaînes de valeur complexes, impliquant des étapes multiples de production réparties entre plusieurs pays. Les droits de douane ont un effet boule de neige, perturbant plusieurs maillons de la chaîne. Ils entraînent une hausse des coûts pour les producteurs. Les pays exportateurs de biens sophistiqués se retrouvent pénalisés par des taxes plus élevées, ce qui freine leur compétitivité sur les marchés mondiaux.

Vers une régulation plus équitable

Une réflexion plus approfondie sur la manière de réguler les droits de douane pourrait permettre une meilleure répartition des bénéfices au sein des chaînes de valeur mondiales.

Cette régulation pourrait se traduire par des politiques différenciées en fonction du niveau de développement du pays. Autrement dit, différencier les droits de douane pour les pays en développement afin de les aider à se positionner dans des chaînes de valeur à haute valeur ajoutée tout en protégeant les industries locales.

Et également encourager des pratiques écologiques et sociales responsables à travers des réductions de droits de douane pour les pays respectant des normes strictes de durabilité.

Ainsi une régulation équitable est nécessaire pour réduire les inégalités entre pays, encourager les pays vulnérables à se positionner sur les chaînes de valeur mondiales et promouvoir un commerce durable et responsable. Il s’agirait de trouver un équilibre entre la protection des industries locales et le maintien de la compétitivité des marchés mondiaux.The Conversation

Myriam Ben Saad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.