Au-delà de la sexualité, les faux-semblants du consentement
Qu’il s’agisse de céder des données, d’être soigné ou encore de rejoindre un groupe social, le consentement ne se limite pas à la sexualité. Et s’il est omniprésent, il n’en demeure pas moins ambigu.

Volontiers associé à la sexualité, où il est promesse d’avancée dans la lutte contre les violences, le consentement est en fait présent dans une grande partie de nos interactions sociales. Terme ambigu, il masque bien souvent une relation déséquilibrée au préjudice de celle ou de celui qui consent.
Le consentement est facilement considéré comme le fondement de toute relation sociale équilibrée et solution ultime pour en régler les maux. Cette hypervalorisation du consentement a ses raisons. Elle ne doit pas en dissimuler les profondes ambiguïtés. Plusieurs travaux récents s’efforcent d’en saisir la complexité et éclairent sur les risques qu’elle présente.
Sait-on vraiment ce qu’est consentir ? Quel est le sens du consentement ? Comment se forme-t-il ? Comment valablement l’exprimer ? Quelle en est la temporalité ?
Un consentement en trompe-l’œil
Ces questions prennent une nouvelle épaisseur dans le contexte contemporain. C’est peu dire que le consentement est un thème d’une grande actualité. Il l’est dans des domaines à fort écho social tels que les relations sexuelles, le suivi des prescriptions de vaccination, le respect de la norme (que l’on pense au phénomène des « gilets jaunes »).
Ce n’est cependant pas dans ces contextes, qui inclinent souvent à des réactions épidermiques peu propices à une réflexion sereine, que nous voulons situer nos propos. D’autant que nombre d’autres domaines, moins médiatisés en raison de leur dimension technique, tels que le développement des modes alternatifs de règlement des litiges, ou le consentement numérique, et qui pourtant irriguent notre quotidien, sont particulièrement éclairants lorsque l’on veut évoquer les ambiguïtés du consentement.
En réalité, celui-ci est omniprésent tout bonnement dans le sentiment d’une tension accrue opposant, d’une part, l’excès de consentement associé à l’individualisme (je suis, donc je dois pouvoir consentir), d’autre part, la réalité dégradée d’un consentement en trompe-l’œil (je consens librement à partager toutes mes données ou à acheter impulsivement un objet ?) et mythifié (la cérémonie du mariage, avec son échange public des consentements, a-t-elle jamais fait disparaître les mariages forcés ?)…
Le consentement, partout et nulle part. Il semblerait que rien ne peut exister sans avoir été consenti. Mais cette banalisation du consentement ne signe-t-elle pas sa fin ?
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Aucune place pour la négociation
La valorisation du consentement est flatteuse dans la mesure où elle exalte l’individualisme ambiant et prétend faire rempart à l’abus, à la domination de celui qui veut obtenir d’un tiers une action. En exigeant l’expression objective et concrète d’un consentement, venant souligner l’acte à venir, on protégerait la personne en ajoutant une étape complémentaire entre son être et son comportement : prendre le temps d’objectiver, de matérialiser, son inclinaison pour ce qui vient. La réalité de la mise en œuvre du consentement oblige à modérer cette vision enjouée.
En effet, on ne peut garantir, par le seul consentement, la validité et l’efficacité de la protection des intérêts de la personne. Moins encore en considération d’un consentement de plus en plus souvent donné dans l’urgence, ou du moins dans l’instantanéité, sans qu’un processus de réflexion ne puisse être engagé ni le consentement proprement discerné.
Pourtant, nos relations sociales naviguent entre individualisme et phénomène de masse, et leur appréhension par le droit passe par une sollicitation croissante d’un consentement présenté comme une alternative à l’imposition de la norme. Plutôt que d’imposer un comportement, on sollicite la participation de l’intéressé au processus, par son consentement… Sans pour autant laisser place à la négociation, à la coconstruction de ce qu’il adviendra, sans laisser un choix véritable (on n’impose pas les cookies sur un site de commerce en ligne, mais sans consentement, pas d’accès à tous ces objets du désir).
Sait-on vraiment à quoi l’on consent ?
D’un côté, le recours au consentement, si fictif soit-il, est indispensable dans la mesure où il responsabilise la personne qui devra formaliser positivement, par le droit, son adhésion à tel acte, telle action. C’est aussi un insidieux transfert de charge vers l’individu : celui qui consent engage sa responsabilité ; pas de responsabilité sans consentement, à moins que ce ne soit l’inverse.
D’un autre côté, le consentement protège la liberté du consentant à l’égard d’une contrainte privée, publique ou sociale, voire d’un « modèle » de société lorsqu’au nom de certaines valeurs ou raisons impérieuses, on cherche à imposer une action déterminée. Pas de liberté sans consentement, à moins que ce ne soit l’inverse.
De fait, désormais, les invitations – les injonctions ? – au consentement se multiplient, au point que le domaine du consentement s’étend bien au-delà du périmètre traditionnel du contrat. Mais sait-on vraiment à quoi on consent ? Assure-t-on la qualité du consentement ? À la lumière d’un contexte de technicisation globale des relations sociales et de biais cognitifs, il est impératif de questionner le risque de discordance entre le fait de consentir et le sens de ce à quoi l’on consent.
Le développement des formes multiples de recueil du consentement, et à l’évidence l’élargissement du champ de ce dernier, ouvre de nouveaux chemins d’autonomie, mais avec quelle(s) liberté(s) réelles, quels risques, quelles finalités ?
Les formes juridiques
Les neurosciences nous éclairent sur le libre arbitre et ses conditions. La philosophie nous rappelle que consentir n’est pas vouloir. La sociologie révèle la représentation sociale qui se joue lorsque consentir devient céder à la nécessité (que n’est-on prêt à accepter pour intégrer « le groupe », quel qu’il soit ?), tandis que la criminologie alerte : céder n’est pas consentir.
Il est impératif de mieux comprendre le consentement, pour mieux en observer les formes juridiques, partout complexifiées, souvent présumées voire imposées, comme en droit privé des affaires.
Les choses sont donc moins simples qu’il n’y paraît. On soulignera deux éléments.
Premièrement, exiger le consentement ne garantit pas l’authenticité de l’expression de la volonté du consentant. C’est au mieux un « euphémisme du vouloir » (M. Messu, « Le sens du consentement », in M. Cannarsa, M. Disant, M. Monot-Fouletier, F. Toulieux, Le Consentement. Mutations et perspectives, Mare et Martin, 2024). Choisir d’aller dans une direction sans pour autant savoir très bien où l’on va, prendre un risque en acceptant d’ignorer partiellement ce à quoi on consent. Chacun fait régulièrement l’expérience d’« accepter » des cookies, de « consentir » au partage de données, pour accéder à un service numérique. Quant au malade qui souffre, maîtrise-t-il parfaitement les choix dans son parcours de santé face à un corps médical expert ?
Il n’y a pas dans le consentement le volontarisme que l’on voudrait y voir. Il y a au contraire, de plus en plus, une forme de passivité et de suivisme, voire un risque de fabrique artificielle du consentement (J.-Ph. Pierron, La Fabrique du consentement), mais qui n’engage pas moins le consentant. Placer l’individu à l’abri de son consentement, c’est le mettre à découvert de son engagement. S’étant prononcé avant que l’interaction sociale proposée ne se produise, il ne peut en connaître très précisément les contours : le consentement n’est pas la ratification, il n’est pas toujours libre et rarement parfaitement éclairé, et pourtant il marque de façon objective l’engagement de celui qui l’accorde.
L’une des principales illusions du consentement tient à l’instantanéité dans laquelle il s’exprime. Elle ne laisse pas le temps à la volonté de se construire et d’évoluer. Il est alors d’autant plus impérieux d’organiser le « déconsentir ». Ce pourrait être particulièrement utile sur Internet, où l’on consent actuellement au partage de nos données sans limites de temps, sans possible regret. Car, en l’état, l’hypervalorisation du consentement revient à préserver moins la volonté autonome du consentant que le maintien dans l’ombre du demandeur, encore considéré comme un tiers qui s’engage peu. Que dit-il précisément de son intention, de ses projets, de ce qu’il fera de notre consentement ?
L’exigence « brute » d’un consentement n’est donc pas en tant que telle une garantie suffisante lorsqu’on veut protéger une potentielle victime. Il n’est pas une fin, mais simplement un moyen ; il n’est pas un aboutissement, mais une étape dont on doit penser la vulnérabilité (comment le recueillir, peut-on s’assurer qu’il soit libre et éclairé ?) et la temporalité (comment tenir compte de l’évolution du contexte ayant donné naissance au consentement ?).
Deuxièmement, éluder le consentement et forcer une personne à entrer dans une relation contractuelle peut parfois être souhaitable. Car le consentement n’est pas qu’un acte solitaire. Il peut être un acte égalitaire, solidaire, conçu comme impliquant les intérêts de tiers, voire un intérêt général.
Ainsi d’une entreprise en position dominante qui, en droit de la concurrence, devra contracter avec des opérateurs qu’elle n’aurait pas choisis si sa volonté pouvait s’exprimer librement. Ainsi également du consentement forcé, lorsqu’est en jeu l’accès à un service jugé essentiel, raison d’être, par exemple, des contrats bancaires imposés aux banques pour l’accès à des services « de base ».
C’est bien encore l’intérêt général et la continuité de l’exécution du service public qui justifient d’apprécier de façon différenciée la gravité des vices du consentement dans les contrats administratifs, permettant au juge de maintenir un contrat contre la volonté d’un des contractants (H. Hoepffner, « le consentement dans les contrats administratifs »).
Une certaine objectivisation du consentement
Forcer le consentement peut aussi se justifier par la nécessité de lutter contre une discrimination illégale : on ne peut refuser de signer un contrat, ou refuser de le maintenir, à raison du sexe, de l’origine, de l’orientation sexuelle, du lieu de domicile, de l’âge ou de la situation de famille du cocontractant potentiel.
Forcer le consentement contre le contractant, jusqu’où ? C’est un enjeu juridique concret qui traverse les frontières, non sans subtilités, illustré par l’affaire d’une fleuriste américaine ayant refusé de signer un contrat de fourniture de bouquets pour le mariage d’un couple de même sexe (R. De Caria, « Love all, serve all (coactivement) : le problème de l’obligation pour les entreprises de contracter contre leur volonté » in M. Cannarsa, M. Disant, M. Monot-Fouletier, F. Toulieux, Les Mutations du consentement. Études juridiques internationales, Mare et Martin, à paraître septembre 2025).
Tout ceci témoigne d’une forme d’objectivisation du consentement, qui induit que le consentement n’est plus ce qu’il a si longtemps semblé être, la forme la plus évidente d’expression de l’individualité. Il est sans doute temps d’envisager son alternative pour mieux nommer ce qu’il prétend désigner : une simple autorisation, le témoignage d’une acceptabilité dans laquelle la garantie de la loyauté, condition de la confiance, doit avoir toute sa place.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.