Une brève histoire de la séparation des pouvoirs : de la Rome de Cicéron à l’Amérique de Trump

La séparation des pouvoirs qui assure le bon fonctionnement d’une démocratie semble menacée aux États-Unis.

Fév 28, 2025 - 17:49
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Une brève histoire de la séparation des pouvoirs : de la Rome de Cicéron à l’Amérique de Trump
Etude de la démocratie : Cicéron à gauche, Donald Trump à droite. Capitoline Museum/Mary Harrsch and EPA-EFE/Will Oliver, CC BY-SA

Donald Trump et son administration attaquent la séparation des pouvoirs. Retour sur les origines et le fonctionnement de ce pilier de la démocratie.


Au cours des quatre semaines qui se sont écoulées depuis son investiture à la présidence des États-Unis pour son second mandat, Donald Trump a signé des dizaines de décrets. Une bonne partie d’entre eux fait aujourd’hui l’objet de batailles juridiques car ils outrepassent ses prérogatives dans le cadre de la constitution. Certains vont inévitablement finir devant la Cour suprême.

Les arrêts rendus par la Cour – et la réaction de l’administration Trump – nous apprendront, dans une large mesure, si la séparation des pouvoirs fonctionne encore telle que l’entendait les Pères fondateurs des États-Unis au moment où ils ont rédigé la constitution.

Le concept de séparation des pouvoirs figure dans la constitution de pratiquement tous les pays démocratiques. L’idée est de compartimenter les prérogatives des trois principales branches du gouvernement : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

C’est ce qui permet, dans l’écosystème politique, un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui crée les conditions indispensables à l’existence de la démocratie et à l’exercice de la liberté. Mais dès que l’une des trois branches du gouvernement domine les deux autres, cet équilibre est rompu et la démocratie s’effondre.

Les Français à l’origine de la séparation des pouvoirs ?

Nous devons cette idée d’une division tripartite du pouvoir au philosophe français du XVIIIe siècle Charles de Montesquieu, auteur de l’un des livres les plus marquants du siècle des Lumières, L’Esprit des lois. Publié en 1748, cet ouvrage a peu à peu remodelé tous les systèmes politiques d’Europe, et il a eu une influence capitale sur les pères fondateurs des États-Unis. La constitution américaine de 1787 a été rédigée dans la continuité des recommandations de Montesquieu.

Les démocraties modernes étant plus complexes que celles du XVIIIe, de nouvelles institutions se sont développées afin de répondre aux défis de la modernité. Parmi elles, des tribunaux spécialisés, des agences régulatrices autonomes, des banques centrales, des institutions de contrôle, des instances de médiation, des commissions électorales et des agences vouées à la lutte contre la corruption.

Ce qu’ont en commun toutes ces institutions, c’est leur considérable degré d’indépendance vis-à-vis des trois branches gouvernementales. En d’autres termes, les contre-pouvoirs se sont multipliés.

En dépit de l’influence énorme de Montesquieu, l’idée de séparation des pouvoirs qui est au cœur de la démocratie le précède de plusieurs siècles. On peut trouver l’une des premières formulations de cette idée dans la Politique d’Aristote. Le philosophe écrit ainsi que :

« la meilleure constitution est une combinaison de toutes les formes existantes. »

Par cela, Aristote entend un gouvernement mêlant des éléments de la monarchie, de l’aristocratie et de la démocratie, mettant particulièrement l’accent sur l’équilibre entre démocratie et oligarchie pour assurer la stabilité.

Deux Premiers ministres sous la Rome Antique

Mais ce sont les Romains qui ont mis en pratique le premier modèle d’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs. La constitution de la République romaine se caractérisait par la séparation des pouvoirs entre la tribune de la plèbe, le sénat des patriciens, et les consuls élus.

Les consuls occupaient les plus hautes fonctions politiques, à l’instar d’un président ou d’un premier ministre. Mais comme les Romains se méfiaient de tout excès de pouvoir individuel, ils élisaient deux consuls à la fois, pour une période de douze mois. Chaque consul possédait un droit de véto sur les actions de son homologue. Pouvoir, contre-pouvoir.

Le plus ardent défenseur de la République romaine et de ses mécanismes constitutionnels était le philosophe, avocat et homme d’État romain Marcus Tullius Cicéron. C’est Cicéron qui a inspiré Montesquieu – il a aussi influencé John Adams, James Madison et Alexander Hamilton aux États-Unis.

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La République romaine a tenu environ cinq cents ans. Elle s’est écroulée suite à la mort violente de Cicéron en 43 avant J-C. Celui-ci avait consacré sa vie à empêcher les populistes autoritaires de confisquer la République romaine pour s’établir comme despotes. Sa mort (au même titre que l’assassinat de Jules César l’année précédente) est considérée comme l’un des moments décisifs de la bascule de Rome, qui, de république, devint un empire.

Une démocratie menacée sous Trump

Aujourd’hui, nos démocraties se trouvent en proie aux mêmes périls. Dans de nombreuses régions du monde, ce mécanisme institutionnel élémentaire est attaqué avec de plus en plus de virulence par des individus fermement résolus à juguler l’indépendance des pouvoirs judiciaire et législatif.

En Europe, sur les traces du premier ministre hongrois Viktor Orban, la présidente du Conseil des ministres italiens Giorgia Meloni s’emploie à faire adopter des réformes constitutionnelles renforçant la branche exécutive du gouvernement aux dépens des deux autres.

Cette attaque contre l’équilibre des pouvoirs se fait également sentir à Washington. Le foisonnement des décrets présidentiels est le symptôme de ce cancer politique de plus en plus agressif. Au cours de son mandat en tant que 46e président américain, entre janvier 2021 et janvier 2015, Joe Biden a signé 162 décrets présidentiels – une moyenne de 41 par an. Par comparaison, la moyenne annuelle de Donald Trump durant son premier mandat était de 55 par an, celle de Barack Obama, avant lui, de 35.

Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a déjà signé 60 décrets en vingt jours. Parmi ceux-ci, la grâce présidentielle accordée aux quelques 1500 personnes impliquées dans l’insurrection du 6 janvier au Capitole.

Mais bien plus inquiétantes sont les menaces voilées proférées par l’administration Trump d’annuler Marbury v Madison, un arrêt historique de la Cour suprême datant de 1803 : il s’agit de l’affaire qui a permis d’établir le principe selon lequel les tribunaux sont les arbitres ultimes de la loi.

Ces dernières semaines, Trump a ouvertement critiqué les juges fédéraux qui ont tenté de bloquer certains de ses principaux décrets. Il est appuyé par son vice-président, J. D. Vance, lequel a déclaré :

« Les juges n’ont pas le droit de contrôler le pouvoir légitime de l’exécutif. »

Pendant ce temps, le conseiller principal du président, Elon Musk, a accusé le juge ayant temporairement bloqué l’accès aux données confidentielles du Trésor au Department of Governement Efficiency (DOGE), nouvellement formé, d’être :

« un juge corrompu, qui protège la corruption ».

On peut donc dire que l’équilibre subtil de la démocratie subit de graves pressions. Si la séparation des pouvoirs ne tient pas, et que le jeu des pouvoirs et contre-pouvoirs s’avère inefficace, c’est la démocratie elle-même qui sera menacée.

Les quelques mois et années à venir vont déterminer si l’État de droit sera remplacé par la loi du plus fort. Pour l’heure, Cicéron, Montesquieu et Madison semblent en bien mauvaise posture.The Conversation

Vittorio Bufacchi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.