« –  Oublions tout… –  Oublions tout … » : sublime Werther au Théâtre des Champs-Élysées

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Mar 26, 2025 - 10:45
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« –  Oublions tout… –  Oublions tout … » : sublime Werther au Théâtre des Champs-Élysées

Notre Benjamin Bernheim national surplombe un casting vocal de haute volée dans l’opéra de Massenet, actuellement à l’affiche à Paris.


Tout le monde n’est pas obligé d’aimer Massenet. À un éminent critique musical de ma connaissance, votre serviteur annonce sa soif d’assister à la première de Werther, au Théâtre des Champs-Elysées (c’était samedi dernier).  Lui : « Werther ? Ça alors !  Quelle purge ! ».

Chef-d’œuvre idéalement français 

Moi j’en étais resté à la énième reprise de cet opéra, adaptation, comme l’on sait, des Souffrances du jeune Werther, l’illustre roman de Goethe, sur un livret d’Edouard Blau, Paul Millet et Georges Hartmann – la quintessence de la musique lyrique « fin de siècle ». C’était à l’Opéra-Bastille, en janvier 2016. Certes, la mise en scène laborieusement littérale de Benoît Jacquot, ci-devant cinéaste qui, de toujours, affiche une prédilection marquée pour les transpositions littéraires à l’écran (cf.  son film Adolphe, en 2002, tiré du chef d’œuvre de Benjamin Constant), n’est pas assurée de figurer dans les annales du génie scénographique. Mais, Plasson au pupitre, Piotr Beczala prenant alors la suite de Jonas Kaufmann, dans le rôle-titre en 2010, et Elina Garanca celle de Sophie Koch pour camper Charlotte, –  le spectacle tenait la route, comme on dit. Au quatrième acte, quand le couple, au seuil de la mort, se répond dans un extatique et définitif « Oublions tout … », la sublime mélodie arracherait des sanglots à une statue de pierre.   

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Encore faut-il consentir à voir en Massenet davantage que ce pour quoi il fut, en son temps, (dé)considéré par certains, comme compositeur officiel du lyrique à la française tel que l’affectionnait le public bourgeois : d’un raffinement suave, un peu décadent, mâtiné d’exotisme, qui lui assure de triompher – Le roi de Lahore (1877), Hérodiade (1881), Manon (1884), Le Cid (1885), Esclarmonde (1889)… Werther (1892), œuvre de maturité – Jules a passé la cinquantaine –  est quasi contemporain de Pelléas et Mélisande. Que Massenet ne soit pas Debussy en termes de nouveauté stylistique, c’est entendu. Reste que, dans le genre, Werther est musicalement insurpassable.

Photo: Vincent Pontet

Ce « drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux » revient pourtant de loin. Massenet y songeait dès l’aube des années 1880, et plus encore après avoir entendu Parsifal à Bayreuth, en 1886. Mais Carvalho, le puissant directeur de l’Opéra-Comique, n’aime pas le livret. Là-dessus, en mai 1887, l’Opéra-Comique disparaît dans un incendie. Résultat, c’est à Vienne, au théâtre impérial, que Werther sera créé, en 1892, soit plus de cinq ans après la mise au net de la partition. Ironie de l’histoire, la critique d’alors étrille un supposé « wagnérisme ». L’unicité du tissu sonore, avec ces motifs récurrents qui construisent des morceaux mélodiques d’une suprême transparence, où s’intriquent voix et orchestre avec une finesse, une élégance qui rapproche son écriture de la musique de chambre, voilà ce qui fait de Werther un chef d’œuvre, –  un chef d’œuvre idéalement français ! En 2025, c’est précisément cette onctuosité, cette « fadeur » tellement datée, dont on raffole, n’en déplaise à certains.

Créée l’an passé à la Scala de Milan, la présente production qu’accueille le TCE pour quelques représentations choisit, sous les auspices du metteur en scène Christof Loy, de transposer l’action à l’époque contemporaine, quelque part entre les années 50 et 60, dans un éclairage assez froid et presque constant, sur un décor rigide qui – mur tendu d’un papier peint à rayures – évoque le salon d’une maison bourgeoise dont la double porte centrale, coulissante, ouvre, en arrière-plan, sur une salle à manger donnant elle-même sur un jardin, au fond, planté d’un arbre dont les ramures marqueront, au fil du spectacle, le passage des saisons.

Romantisme exacerbé

Au pupitre, le très jeune chef franco-bolivien Marc Leroy Calatayud, qui dirige pour la première fois, de main de maître, le fameux orchestre Les Siècles, dont le jeu sur instruments d’époque est la marque de fabrique, les voix d’enfants (qui chantent ici Noël, comme l’on sait, au dénouement tragique de l’opéra) provenant de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Legato impeccable, belle amplitude lyrique, sans proscrire pour autant ces ralentendi si conformes au romantisme exacerbé des deux derniers actes, en particulier.

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Surplombe de très haut, dans un casting vocal de haute volée, notre Benjamin Bernheim national –  son inévitable costume bleu roi à gilet jaune prendra, au dernière acte, la couleur noire anticipant sa propre mort –  à l’articulation, au phrasé superlativement nuancés, plus remarquable encore dans le pianissimo que dans l’émission puissante qu’exigent les éclats torturants du transi suicidaire. Les déplorations de Charlotte s’interdisant l’aveu de sa passion par fidélité à sa promesse d’épouser le pitoyable Albert pétri de jalousie (excelle, dans ce rôle, le baryton Jean-Sébastien Bou) qu’elle n’aime pas, puis son exaltation amoureuse, à la toute fin, sont incarnées par la mezzo-soprano Marina Viotti avec l’intensité, la fulgurance qu’on lui connaît, tandis que la soprano franco-américaine Sandra Hamaoui campe Sophie, en âpre rivale de Charlotte plutôt qu’en demoiselle à la pureté intacte. Prenant ses aises avec les indications du livret, la mise en scène imposera sa présence muette dans le dernier tableau, ainsi que celle d’Albert relisant comme un forcené les lettres maudites, et allant même jusqu’à assister, silencieux, à l’agonie des amants enlacés… Parti pris discutable en effet, qui vaut à Christof Loy quelques huées au tomber de rideau, vite couvertes par l’ovation générale faite aux chanteurs.  

On s’apprête à retrouver Christof Loy dans quelques semaines à peine, à l’Opéra-Bastille cette fois, à la régie du célèbre triptyque puccinien qui raccorde, conçus comme un tout par le compositeur lui-même en 1918, Gianni Schicchi , Il Tabarro et Suor Angelica. Une nouvelle production, en lien avec le Festival de Salzbourg.


Werther. Drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux, de Jules Massenet. Avec Benjamin Bernheim, Marina Viotti… Mise en scène : Christof Loy. Direction : Marc Leroy-Calatayud. Orchestre Les Siècles.

Durée : 2h10.

Théâtre des Champs-Elysées, les 28, 31 mars, 3 et 6 avril à 19h30

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