Un savon inventé par un ado pourra-t-il un jour traiter le cancer de la peau ? Ce que dit la science

Un adolescent a inventé un savon pour traiter le mélanome. Le principe actif de ce « candidat-médicament » est déjà utilisé contre des infections virales de la peau. Mais son développement sera long.

Mar 25, 2025 - 12:32
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Un savon inventé par un ado pourra-t-il un jour traiter le cancer de la peau ? Ce que dit la science

Un adolescent états-unien a inventé un savon pour traiter le mélanome. Son principe actif, l’imiquimod, stimule l’immunité. Il est déjà utilisé contre certaines infections virales de la peau et montre des potentialités antitumorales. Mais le chemin sera long avant que ce « candidat-médicament » soit peut-être un jour approuvé par les autorités de santé.


En 2024, aux États-Unis, Heman Bekele, alors âgé de 15 ans, est nommé « enfant de l’année » par l’hebdomadaire Time pour avoir proposé l’idée d’un savon pour traiter le cancer de la peau, en particulier, le mélanome qui est moins fréquent – il représente 10 % des cancers cutanés en France- mais plus dangereux.

Heman Bekele est un adolescent américano-éthiopien passionné de science depuis tout petit, arrivé aux États-Unis à l’âge de 4 ans. L’un des souvenirs qu’il a gardé de son pays natal est celui d’ouvriers travaillant des heures au soleil, sans protection. Son projet de savon pour traiter le mélanome lui a valu de gagner, en 2023, le Challenge 3M des jeunes scientifiques, organisé notamment par l’entreprise 3M, rendue célèbre pour le dépôt de quelques marques comme Scotch ou Post-it.

Le jeune homme a bien conscience que le chemin sera encore long et que dix ans peuvent s’écouler avant que ce savon soit non seulement testé mais, espère-t-il, breveté et approuvé par la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité de santé en charge des médicaments et des aliments aux États-Unis. Mais son concept reste très intéressant. Comment pourrait fonctionner son savon ?

L’imiquimod, un principe actif déjà utilisé

La molécule active qu’Heman Bekele souhaite intégrer dans son savon est l’imiquimod.

L’imiquimod est un traitement déjà connu et utilisé contre certains types de cancers de la peau. La crème Aldara à appliquer directement sur la peau, contenant 5 % d’imiquimod, est prescrite en cas de tumeurs bénignes comme les verrues génitales.

En 2004, l’entreprise 3M – organisatrice du challenge des jeunes scientifiques remporté par Heman Bekele et qui commercialisait à l’époque Aldara – a obtenu l’approbation de la FDA pour la mise sur le marché de l’imiquimod afin de traiter le carcinome basocellulaire. Ce carcinome est le cancer de la peau le plus répandu et aussi le moins agressif.


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Dans le milieu des années 1980, ce sont les scientifiques de l’entreprise 3M qui firent la toute première découverte de la molécule imiquimod. Pourtant, au départ, ce ne sont pas ses propriétés anticancéreuses qui étaient recherchées. La découverte de l’imiquimod eut lieu dans le cadre d’un programme pour lutter contre les infections induites par le virus de l’herpès.

En 2015, un essai clinique a même démontré que l’application sur la peau d’une crème contenant de l’imiquimod sur le site de la piqûre du vaccin contre la grippe améliorait l’immunité contre le virus grippal. L’imiquimod est bien connu pour stimuler l’immunité spécialisée dans la lutte contre les virus.

L’imiquimod stimule l’immunité innée

L’imiquimod active l’immunité antivirale. Mais quels sont les mécanismes à l’œuvre ? L’imiquimod est détecté par un récepteur qui intervient dans l’immunité innée nommé le TLR7.

L’immunité innée est la toute première ligne de défense du corps contre les microorganismes pathogènes. Elle intervient en effet en seulement quelques minutes, avant l’immunisation qui, elle, requiert plusieurs jours.

L’immunité innée ne repose pas sur la mémoire immunitaire (c’est-à-dire la capacité pour le système immunitaire de réagir de manière plus importante lorsqu’il est de nouveau en contact avec un agent infectieux déjà rencontré, ndlr). Néanmoins, elle permet de reconnaître, grâce à des récepteurs comme le TLR7, différents types de microorganismes, tels que les bactéries, virus, champignons ou parasites.

Étant donné que l’immunité innée est apparue au cours de l’évolution bien avant l’immunité adaptative (qui permet l’immunisation), toutes les cellules de l’organisme possèdent les récepteurs de l’immunité innée.

Par exemple, les cellules des muqueuses ou les neurones les expriment, car ces cellules sont apparues plus tôt au cours de l’évolution que les cellules à mémoire immunitaire comme les lymphocytes.

Un mécanisme impliquant un récepteur qui reconnaît l’ARN viral

L’imiquimod possède une structure chimique proche de celle d’une des composantes de l’ARN des virus. Le TLR7 est un récepteur de l’immunité innée spécialisé dans la reconnaissance de l’ARN viral, ce qui explique qu’il détecte l’imiquimod. Cela peut paraître étonnant, si l’on se rappelle que l’imiquimod a été découvert dans le cadre d’un projet pour lutter contre le virus de l’herpès virus qui, lui, est un virus à ADN.

En réalité, l’imiquimod va stimuler une réponse antivirale et quel que soit le matériel génétique du virus à éradiquer, ADN ou ARN, une fois activée, l’immunité antivirale cible tous les types de virus.

Le TLR7 est ainsi un allié de poids contre les virus. Il est membre d’une famille de récepteurs de l’immunité innée appelés les TLR, présents dans toutes les cellules du corps. Les TLR appartiennent à une immunité primitive apparue tôt dans l’évolution des animaux, puisque c’est une immunité que nous partageons avec les méduses ! Ils sont localisés à la fois à la surface de la membrane qui entoure les cellules et aussi à l’intérieur (où ils sont appelés TLR « intracellulaires »).

Cette double localisation permet aux TLR membranaires de détecter les microbes à l’extérieur des cellules, comme les bactéries ou les parasites. Elle permet également aux TLR intracellulaires de reconnaître les microorganismes qui se développent exclusivement à l’intérieur des cellules, soit les virus. Le TLR7 antiviral est donc un récepteur intracellulaire.

En 2020, il a été montré que des mutations génétiques inactivant le TLR7 diminuaient l’immunité contre le coronavirus et favorisaient les formes graves du Covid-19. Lorsqu’il détecte de l’ARN viral ou de l’imiquimod, le TLR7 s’active et déclenche la libération par les cellules saines et immunitaires de molécules antivirales appelées interférons. Les interférons favorisent notamment la mort des cellules infectées, ce qui est la seule façon d’éradiquer le virus dont la réplication dépend de l’infection des cellules.

Activer les cellules de l’épiderme contre des cellules anormales, infectées par un virus ou cancéreuses

Les interférons antiviraux libérés par l’activation du TLR7 sont une réponse très puissante pour tuer une cellule de l’organisme devenue anormale, comme une cellule infectée par un virus. De la même manière, les interférons sont mobilisés pour tuer les cellules cancéreuses, elles aussi devenues anormales. C’est ce type de défense qui est déclenché par l’imiquimod.

Cette réponse immunitaire est à distinguer de l’immunité extracellulaire, qui ne cible pas les cellules devenues anormales mais les corps étrangers tels que les bactéries. L’une des raisons pour lesquelles l’imiquimod est utilisé pour traiter certaines formes du cancer de la peau est que les cellules de l’épiderme expriment fortement le TLR7. La peau, bien que ce ne soit pas un organe immunitaire, est la toute première barrière de protection physique de notre corps.

Ainsi, les cellules non immunitaires de la peau sont performantes dans la détection de l’ARN viral ou autres molécules associées aux microbes, et sont facilement activées par l’imiquimod. En tant que barrière de protection importante, l’épiderme regorge même de cellules immunitaires comme les macrophages qui expriment aussi fortement le TLR7.

Les macrophages de l’épiderme ont été découverts par le biologiste prussien Paul Langherans, d’où leur nom de « cellules de Langherans ». Au cours d’un cancer de la peau, l’infiltration de la tumeur par les cellules de Langherans est un marqueur d’évolution bénéfique pour le patient, puisqu’elles sont capables de tuer les cellules cancéreuses.

Après stimulation par l’imiquimod, les cellules de Langherans pourraient ensuite migrer vers les ganglions lymphatiques, organes de l’immunité adaptative, où elles activeraient les cellules immunitaires appelées lymphocytes T grâce aux interférons.

Grâce à l’imiquimod, plusieurs cellules immunitaires sont ainsi susceptibles de collaborer pour limiter la croissance de la tumeur, ce qui représente l’un des avantages de ce traitement.

La prévention contre le mélanome reste de mise

Le savon du jeune Heman Bekele pour traiter le cancer de la peau est donc une idée prometteuse, car elle propose une application plus pratique dans la vie quotidienne que les crèmes qui existent déjà sur le marché.

Néanmoins, cela ne doit pas nous faire perdre de vue que la meilleure façon de lutter contre ce cancer est la prévention.


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Valérie Lannoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.