Grandir à la ferme, c’est bon pour le microbiote et ça pourrait aussi protéger des allergies
Être élevé à la ferme favorise l’exposition à une diversité de microorganismes, ce qui est bénéfique pour la maturation du microbiote intestinal de l’enfant et aiderait à prévenir des allergies.

Être élevé à la ferme favorise l’exposition à une diversité de microorganismes, ce qui se révèle bénéfique pour la maturation du microbiote intestinal du jeune enfant et pourrait aider à prévenir certaines allergies. On fait le point sur les données scientifiques disponibles.
Bon nombre de progrès de la microbiologie moderne ont reposé sur l’analyse des microorganismes pathogènes pour les animaux et les humains. Certes, ils ont grandement contribué à la diminution de la mortalité maternelle et infantile et à l’augmentation de la durée de vie partout dans le monde.
Cependant, il ne faudrait pas oublier que, dès les débuts de cette science, avant de se tourner vers les pathogènes problématiques pour la santé publique, Louis Pasteur s’était d’abord intéressé aux « bons microbes », ceux à l’œuvre dans les fermentations indispensables à la production du vin et de la bière.
Des microorganismes en lien avec le sol, les océans, les animaux
Les microorganismes pathogènes ne sont en fait qu’une infime partie du monde des microbes : bactéries, virus, parasites et champignons microscopiques, les microorganismes sont partout. Et ils sont souvent indispensables : dans le sol où ils établissent des relations privilégiées avec les racines des plantes, au fond des océans où ils développent des formes de vie originales dans des conditions extrêmes et chez les animaux, dont les êtres humains.
Dans ce cas, il s’agit de la « flore », comme on l’appelait jadis, du « microbiote », comme on le désigne aujourd’hui, présent dans la cavité buccale, l’arbre respiratoire, l’intestin, le vagin, la peau… On découvre chaque jour de nouvelles relations de ces microbiotes et tout particulièrement du microbiote intestinal, avec le système immunitaire, le métabolisme général et hormonal, et même avec le cerveau.
Augmentation des allergies : quels liens avec le microbiote ?
Le XIXe puis le XXe siècles ont été marqués dans les pays occidentaux par des changements sociétaux considérables, dont l’urbanisation croissante, l’hygiène, toujours considérée comme un progrès, et la perte progressive de contacts avec un environnement rural traditionnel à base d’agriculture et d’élevage.
Le phénomène s’est accéléré et mondialisé depuis les années 1950 et un nouvel intérêt pour les fonctions du microbiote humain, à la fin des années 1990, a coïncidé avec des observations épidémiologiques un peu surprenantes : l’augmentation en fréquence de maladies qui étaient auparavant plutôt rares, comme les allergies, les maladies auto-immunes ou les maladies inflammatoires de l’intestin.
La recherche sur les causes de l’augmentation sans précédent des allergies dites « atopiques » (asthme, rhinite allergique dont le rhume des foins, dermatite atopique, certaines formes d’allergie alimentaire) est emblématique d’une démarche scientifique.
Elle débute par des observations épidémiologiques : près de 5 % de maladies allergiques dans les pays européens à la fin des années 1940, près de 40 % dans les années 1990-2000… Puis, elle les analyse à l’aide d’études « transversales » en comparant des populations diversement exposées un peu partout dans le monde. Enfin, elle confirme les résultats avec un suivi de cohortes sur le long terme qui permet aussi d’en comprendre les mécanismes.
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Les limites de l’« hypothèse hygiéniste »
L’augmentation des maladies allergiques dans les pays dits « développés » a d’abord été attribuée à la pollution des villes, et la plupart des recherches se sont concentrées sur cette explication. Il existe bien un lien de dépendance entre la gravité des symptômes des allergies respiratoires (rhinite et asthme) et la pollution. Mais la pollution n’est pas à l’origine de l’augmentation du nombre de personnes allergiques dans une population.
Plutôt qu’un effet délétère de la vie en ville, ne s’agirait-il pas de la perte de facteurs protecteurs associés à la vie à la campagne, de la perte d’un certain style de vie rural traditionnel ? Au XIXe siècle déjà, un médecin anglais fit remarquer que les rares enfants atteints de rhume des foins dans les campagnes n’étaient pas ceux des paysans, les plus exposés au foin, mais ceux des châtelains des villages qu’il avait en charge ! Une maladie de riches !
Dans les années 1990, l’hypothèse d’une moindre exposition aux microbes pour expliquer l’augmentation des allergies s’est imposée à partir d’observations d’enfants allergiques qui avaient cette moindre exposition en commun : naissance par césarienne, mères traitées par antibiotiques pendant leur grossesse, enfants uniques, familles de niveau socioéconomique élevé, traitements fréquents par antibiotiques, pas de fréquentation de crèches collectives… Ainsi est née l’hypothèse dite « de l’hygiène », conceptualisée par un allergologue anglais David P. Strachan.
Les progrès de l’hygiène seraient-ils donc à l’origine de l’augmentation des maladies allergiques dans la deuxième moitié du 19e siècle ? Les études faites dans le milieu rural de la moyenne montagne alpine par un groupe de chercheurs, confirmées par d’autres études dans des pays différents, ont rapidement montré que « l’hypothèse hygiéniste » était réductrice.
En effet, ces chercheurs ont observé qu’il y avait beaucoup moins de manifestations d’allergie chez les enfants vivant à la ferme, nés de parents eux-mêmes déjà enfants de fermiers. Ils ont aussi montré que les enfants qui avaient consommé du lait cru pendant leur petite enfance, et dont les mères avaient consommé du lait cru pendant leur grossesse, étaient aussi « protégés » contre l’apparition de maladies allergiques, qu’ils vivent ou non à la ferme.
Cette observation était inattendue, et un peu dérangeante, car en contradiction avec les efforts de contrôle des pathogènes par la pasteurisation du lait et les recommandations des pouvoirs publics concernant les produits laitiers « au lait cru »…
Des travaux de recherche pour confirmer les observations
De la volonté d’asseoir ces résultats par une méthodologie stricte est née la cohorte européenne « Pasture » qui a comparé, depuis le troisième trimestre de grossesse de leurs mères et pendant dix-huit ans, 500 enfants allemands, autrichiens, finlandais, français et suisses vivant dans une ferme d’élevage et 500 des mêmes milieux ruraux, mais ne vivant pas dans une ferme. Ses résultats confirment totalement ceux des études « en population » et apportent de nombreux éléments complémentaires.
La vie à la ferme et le contact avec les animaux « protègent » effectivement contre la survenue des manifestations d’allergie pendant l’enfance, et ce, d’autant plus lorsque la mère a vécu elle-même à la ferme, qu’elle a passé du temps dans l’étable et dans la grange et qu’elle a été en contact avec une grande diversité d’animaux.
Il conviendrait toutefois d’établir une distinction entre différents types d’élevages et d’exploitations agricoles plus ou moins vertueuses pour favoriser la diversité microbienne : élevage intensifs ou de petites tailles, animaux traités ou non avec des antibiotiques, recours ou non aux pesticides, etc.
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Indépendamment de la vie à la ferme, la consommation de lait cru et celle de produits laitiers (beurre, yoghourts, fromages) « de la ferme » sont aussi protectrices, de même que la consommation (dès la diversification alimentaire, elle-même « protectrice » quand elle est précoce) d’une grande diversité de fromages.
En France, les autorités de santé recommandent aux jeunes enfants et, particulièrement, à ceux de moins de 5 ans, aux femmes enceintes ainsi qu’aux personnes immunodéprimées, de ne pas consommer de lait cru ni de fromages au lait cru, à l’exception de fromages à « pâte pressée cuite » tels que le comté, le beaufort, le gruyère, l’emmental, dont la fabrication comporte un chauffage du lait et un affinage long (ndlr).
Quel que soit le facteur protecteur considéré, c’est la diversité des expositions microbiennes, plus que leur quantité, qui est en relation avec la protection.
Cette protection contre les allergies est associée à une orientation particulière du système immunitaire, en équilibre entre défense contre les microbes pathogènes (l’étude a montré que la consommation de lait cru protégeait aussi contre les infections de la première année de vie des enfants) et tolérance vis-à-vis des microbes non pathogènes et des protéines de l’alimentation.
Une maturation du microbiote intestinal chez le jeune enfant
Cette orientation du système immunitaire est conférée à l’enfant dès la vie fœtale, du fait des expositions environnementales de sa mère, et renforcée par l’exposition de l’enfant dans les quatre premières années de vie. Elle est en relation avec une maturation optimale du microbiote intestinal pendant la première année de vie.
Que le développement du système immunitaire dépende du microbiote intestinal n’est pas une découverte récente… mais elle a peut-être été facilement oubliée tant les microbes sont associés à la « saleté » et le microbiote à des fonctions intestinales considérées comme peu nobles !
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Les fromages, une source de biodiversité microbienne
Les découvertes faites dans le domaine des allergies réhabilitent la notion d’écosystèmes microbiens intestinaux inséparables de notre survie. Les conséquences d’un déséquilibre du microbiote intestinal sur la survenue de pathologies comme l’obésité ou la dépression sont désormais étudiées. De nombreux arguments militent en faveur de son rôle dans les maladies inflammatoires chroniques, par un mécanisme proche de celui mis en jeu dans les allergies.
En attendant, dans l’alimentation européenne actuelle où s’est beaucoup réduite la part des aliments fermentés, les fromages restent les principales sources de biodiversité microbienne, comme le souligne le Livre blanc « Bénéfices et risques pour la santé de la consommation de fromages » qui fait la synthèse des connaissances scientifiques les plus récentes.
Le rôle des microorganismes non pathogènes dans le développement du système immunitaire et la prévention des « maladies de la modernité », dont les allergies, est un argument supplémentaire pour préserver la biodiversité microbienne.
Il ne peut qu’inciter à trouver des solutions, inspirées des résultats de la recherche, pour maintenir une exposition suffisante à cette biodiversité, qu’elle soit environnementale ou nutritionnelle, en particulier chez les enfants dans leurs premières années de vie.
Dominique Angèle Vuitton est membre du conseil exécutif de la Fondation pour la biodiversité fromagère (abritée par la Fondation de France), au titre des « personnalités scientifiques ». De 2006 à 2012, elle a été membre du conseil scientifique du projet européen « PASTURE ».