Un chef d’œuvre de Debussy porté par une nouvelle production fabuleuse

La nouvelle production de Pelléas et Mélisande à l’Opéra Bastille, mise en scène par Wajdi Mouawad, propose une relecture visuellement fascinante du chef-d’œuvre de Debussy, portée par la direction musicale raffinée d’Antonello Manacorda… L’article Un chef d’œuvre de Debussy porté par une nouvelle production fabuleuse est apparu en premier sur Causeur.

Mar 5, 2025 - 12:03
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Un chef d’œuvre de Debussy porté par une nouvelle production fabuleuse

La nouvelle production de Pelléas et Mélisande à l’Opéra Bastille, mise en scène par Wajdi Mouawad, propose une relecture visuellement fascinante du chef-d’œuvre de Debussy, portée par la direction musicale raffinée d’Antonello Manacorda…


Blanchâtre, une taie de brouillard rasant se traîne sur le tuf noirâtre, au pied d’une forêt parcourue des bruits de la nature, et que douche trois faisceaux de lumière tombante, humide, tamisée. Apparemment blessé, un sanglier à forme humaine, une flèche fichée dans l’échine, traverse la scène d’un pas lourd.  

Un chef d’œuvre de 1902

Dans le silence bruissant de ce tableau sylvestre s’ouvrent les premières mesures de cette partition sans équivalent dans le répertoire : comme une toile peinte, ou un vieux film un peu rayé, l’écran vidéo plein cadre forme un rideau qui, d’un bout à l’autre de Pelléas et Mélisande, « drame lyrique en cinq actes et douze tableaux », occupe toute la largeur de la scène. Au premier plan, chargés par les trois « pauvres » du livret, ici vêtus de tabliers d’équarisseurs, s’accumuleront au fil du spectacle les trophées du gros gibier.  Sacrifié à la cruauté humaine…

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L’image projetée sera appelée à se métamorphoser, dans un perpétuel fondu enchaîné qui, tour à tour, figure le château du royaume d’Allemonde et ses aires – fontaine, tour, grotte, de cascade, eaux dormantes et profondeur de l’onde…  jusqu’à imager la longue chevelure ondoyante de Mélisande… Au deuxième acte, le cheval éviscéré du macabre Golaud s’abîme des ceintres, comme dans un ralenti de cauchemar…  Espaces à plusieurs dimensions, dans lesquels apparaissent, se fondent, s’évanouissent les personnages du chef d’œuvre que Debussy, en 1902, adapta de la pièce symboliste de Maurice Maeterlinck, écrite près de dix ans plus tôt.

© Benoîte Fanton / Opéra national de Paris

Bob Wilson tenait seul la rampe de Pelleas… à l’Opéra de Paris, à travers une régie reprise pas moins de sept fois depuis 1997, et devenue mythique, à force. Autant dire que cette production inédite était attendue : n’en déplaise à un ou deux critiques ombrageux, la relève est assurée, et haut-la-main ! Car plastiquement, sur ce décor signé Emmanuel Clolus et cette vidéo en continu créée par Stéphanie Jasmin, la mise en scène du Libano- québécois Wajdi Mouawad, également écrivain, s’avère d’une beauté sans mélange. Elle magnifie autant qu’il se pouvait, d’une lecture à la fois sobre et parfaitement limpide, l’univers éthéré, elliptique, suggestif, intemporel de cet opéra au travail duquel le compositeur du Prélude à l’après-midi d’un faune ou du Martyre de saint Sébastien avouait avoir passé douze ans de sa vie. Ne prenons pas le risque de déflorer cet étagement subtil où les arrière-plans énigmatiques propre à l’esthétique symboliste se manifestent comme dans un rêve éveillé : aucune description n’en rendra l’enchantement.  Dans ce dispositif, tout fait sens,  jamais de manière trop explicite ni appuyée.

Pelléas juvénile

La baguette ductile, enveloppante, au chromatisme raffiné, du chef natif de Turin (mais Français d’adoption) Antonello Manacorda (également violoniste et fondateur du Mahler Chamber Orchestra), fait sonner l’orchestre de l’Opéra de Paris  (a fortiori dans cette salle de la Bastille, surdimensionnée pour ce répertoire) avec une intensité de tous les instants, – et pas seulement dans les rares bouffées lyriques de la partition. Se pourrait-il que Manacorda succède à Alexander Neef comme directeur musical de la maison comme le bruit en court parfois ? Elle n’y perdra rien, à coup sûr.  

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Pour s’en tenir à Pelléas, dans cette œuvre à la prosodie délicate et si particulière, exigeant des chanteurs un phrasé de haute précision et une parfaite maîtrise de la langue, le vibrato serré, l’articulation du baryton britannique Huw Montague Rendall, à la physionomie adolescente, rendent un Pelléas candide, juvénile, proprement inoubliable. À ses côtés, sous les traits de Sabine Devieilhe, Mélisande dispense une pureté vocale à la ligne impeccablement soutenue, tandis que le baryton-basse canadien Gordon Bintner offre un timbre de métal glacé qui sied bien à l’emploi du mari jaloux, fruste et univoque qu’est Golaud. Quant à notre émérite compatriote Jean Teitgen, il campe de sa puissante voix de basse un roi Arkel souverain, d’ailleurs moins âgé, au physique, que la vieillesse prêtée par convention au grand-père de Golaud et de son demi-frère Pelléas.  

Une production d’anthologie pour servir ce monument unique de l’art lyrique français ? Cela se pourrait bien.         


Pelléas et Mélisande. Opéra de Claude Debussy. Avec Huw Montague Rendall, Sabine Devieilh, Gordon Bintner, Sophie Koch, Jean Tietgen… Direction : Antonello Manacorda. Mise en scène : Wajdi Mouawad. Orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris.

Durée : 3h05
Opéra-Bastille, les 12, 15, 18, 20, 25, 27 mars à 19h30. Le 9 mars à 14h30

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