Trump, Proche-Orient, Ukraine… Les effets des risques géopolitiques sur les marchés financiers

Les marchés financiers mondiaux sont profondément influencés par leur perception du contexte géopolitique, laquelle se fait notamment à travers une poignée d’outils de mesure des risques et incertitudes.

Fév 10, 2025 - 19:48
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Trump, Proche-Orient, Ukraine… Les effets des risques géopolitiques sur les marchés financiers

Dans un contexte global marqué entre autres par le retour de Trump à la Maison Blanche et un cessez-le-feu fragile à Gaza, les investisseurs portent une attention grandissante à l’incidence de l’instabilité géopolitique sur les marchés. Des outils de mesure économique permettent d’évaluer cette incertitude… pourtant imprévisible par définition.


Dans un monde en proie depuis plusieurs années à des troubles géopolitiques majeurs (guerre en Ukraine, conflit israélo-palestinien qui s’étend au Liban, chute du régime Assad en Syrie, tensions exacerbées en mer de Chine méridionale…), le retour à la Maison Blanche de Donald Trump et sa posture pour le moins belliqueuse en matière de politique commerciale ajoutent encore de l’incertitude à un environnement géopolitique déjà troublé. Ce contexte préoccupe grandement les marchés financiers, lesquels disposent cependant, pour tenter de s’y repérer, d’outils précieux permettant d’évaluer les incertitudes géopolitiques et leur impact.

Dès 1999, les économistes Matteo Iacoviello et Dario Caldava ont élaboré des indices de mesure des risques géopolitiques d’incertitude (GPR). Ces indices ont évolué au cours des vingt-cinq années écoulées depuis : on a ainsi vu apparaître, entre autres, des indices géopolitiques par pays, d’autres visant à évaluer des politiques associées à des relations spécifiques (par exemple la relation entre la Chine et les États-Unis), ou encore des indices géopolitiques d’ordre purement climatique.

Il est intéressant d’observer la relation existant entre, d’une part, la volatilité des marchés financiers – et donc la volatilité du prix des actifs sur ces marchés – et, d’autre part, la dynamique de ces indices géopolitiques.

Le poids des indices géopolitiques dans le secteur énergétique

Plusieurs études récentes ont montré que l’accroissement de l’incertitude géopolitique a une incidence quasi immédiate sur la dynamique des prix – à la hausse ou à la baisse – sur différents marchés financiers. Certains observateurs voient dans cette réactivité à l’évolution des indices d’incertitude le signe de la fragilité des marchés, notamment des marchés énergétiques, toujours plus dépendants aux nouvelles internationales. Ainsi, les tensions spécifiques entre les pays du Golfe et les États-Unis ont un impact direct sur la volatilité des prix sur les marchés énergétiques.

Par exemple, l’annonce d’une trêve à Gaza, le 16 janvier 2024, a provoqué une hausse convergente de la plupart des marchés européens. De manière générale, le conflit israélo-palestinien a un impact notable sur les prix mondiaux, les positionnements géopolitiques des diverses puissances en faveur des Palestiniens ou des Israéliens étant clairement liés à leurs intérêts respectifs en matière énergétique.

Comment définit-on un « risque géopolitique d’incertitude » ?

L’indice GPR de Caldara et Iacoviello est construit à partir des résultats d’une recherche automatisée de textes dans les archives de dix journaux (Chicago Tribune, Financial Times, The Guardian, Los Angeles Times, The New York Times, USA Today, The Wall Street Journal, The Washington Post…). Aidés d’une IA, les auteurs calculent l’indice en dénombrant chaque mois, dans chaque journal, le nombre d’articles liés à des événements géopolitiques défavorables par rapport au nombre total d’articles d’actualité publiés.

Leur recherche est répartie en huit catégories définies à partir des événements recensés : menaces de guerre (catégorie 1), option possible de paix négociée (catégorie 2), renforcement militaire (catégorie 3), menaces nucléaires (catégorie 4), menaces d’actes terroristes (catégorie 5), début de la guerre (catégorie 6), escalade de la guerre (catégorie 7), actes terroristes (catégorie 8). Sur la base de ces huit catégories, ils construisent également deux sous-indices : le sous-indice « menaces géopolitiques » (GPRT), qui porte sur catégories 1 à 5 ci-dessus ; et l’indice des actes géopolitiques (GPRA), qui porte sur les catégories 6 à 8.

Des indices qui intéressent de plus en plus les investisseurs

Finalement, et c’est relativement nouveau, les risques géopolitiques associés aux guerres, aux attaques terroristes et aux tensions entre États sont considérés comme l’un des principaux moteurs des décisions d’investissement et constituent donc un facteur majeur affectant la croissance économique et les marchés financiers.

Un risque géopolitique élevé peut entraîner une réduction des investissements, une probabilité accrue de catastrophes économiques, une prévision de croissance plus faible et une diminution des rendements boursiers.

Ces indicateurs sont devenus décisifs. À tel point qu’un gérant d’actifs comme BlackRock propose à ses clients un tableau de bord spécifique consacré aux risques géopolitiques.

Une pléthore d’études ont mis en lumière l’impact des événements ou des nouvelles géopolitiques sur les rendements des actions. Étant donné le caractère central de la volatilité des marchés financiers pour déterminer les décisions d’investissement, l’évaluation des options et la régulation des marchés boursiers, la recherche sur le lien entre les risques géopolitiques et la volatilité des actions est devenue une activité essentielle pour les investisseurs.

Une étude plus spécifique sur la guerre à Gaza

Les marchés ont connu des retournements intenses depuis les massacres du 7 octobre perpétré en Israël par le Hamas. Récemment, l’annonce de la trêve a grandement pesé sur la note de crédit des États de la région, à commencer par celle d’Israël, qui a été revue à la hausse, tandis que les obligations d’État internationales émises par Israël, mais aussi l’Égypte ou encore la Jordanie ont, par exemple, vu leur valeur croître après l’annonce du cessez-le-feu.

L’obligation de référence en Israël a augmenté de plus de 1 cent pour s’échanger à 82,465 cents, tandis que l’obligation 2047 de la Jordanie a bondi de près de 2 cents, pour atteindre 89,80 cents. L’obligation de référence de l’Égypte a également augmenté d’un peu plus d’un cent, la dernière offre s’élevant à 75,126 cents.

Les impacts sont également monétaires. Le shekel israélien a augmenté de 0,8 % par rapport au dollar pour atteindre son niveau le plus élevé depuis un mois.

Mais ce n’est pas tout. Isaac Lim, l’un des grands spécialistes des marchés à terme, basé à Singapour, note que :

« Les contrats à terme sur le pétrole ont déjà augmenté d’environ 10 %. Le cessez-le-feu vient s’ajouter aux bonnes nouvelles, et je m’attends donc à une nouvelle hausse de 3,5 à 5 % à court terme pour le pétrole. »

Quant au secteur de la défense, qui a enregistré ces dernières années de fortes hausses dans le contexte des tensions géopolitiques au Moyen-Orient et en Europe, il devrait continuer à croître même si le cessez-le-feu met un terme définitif aux hostilités.

L’arrêt des combats rassure les investisseurs qui anticipent « une baisse du risque géopolitique dans une certaine mesure, bien que la question soit maintenant de savoir combien de temps le cessez-le-feu va durer ».

Les mouvements sur les marchés obligataires de plusieurs États du Proche-Orient (Israël, Jordanie, Égypte, Arabie saoudite). LSEG Datastream, Fourni par l'auteur

Il apparaît dernièrement que la menace géopolitique, représentée par des indices, exerce désormais un effet négatif plus important sur les rendements des actions que les actes géopolitiques. Les investisseurs sont donc davantage tentés d’étudier, à travers les indices géopolitiques, les représentations qui se forment sur les marchés, ces représentations emportant de vastes mouvements collectifs.

Pour autant, tous les marchés ne répondent pas de la même façon aux menaces : le marché des actions américain produit des rendements significativement positifs lorsque les menaces géopolitiques sont élevées, alors que d’autres marchés importants dans le monde ne présentent pas de tels résultats. Les perspectives de troubles sur les marchés financiers suscitent l’attrait de nombreux opérateurs ; la raréfaction de ressources, par exemple énergétiques, augmente la taille des profits générés par certains opérateurs, une aubaine pour de nombreux fonds spécialisés sur ces opérations…The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.