Taxer les vêtements à petits prix, une triple hérésie

La France est le premier pays au monde à vouloir instaurer une taxe spécifique sur la « fast fashion » - au prix de certaines approximations sur ce que recouvre cette notion. À première vue, les objectifs affichés sont louables : limiter la pollution associée à l’industrie textile, responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, inciter à de nouveaux modèles de consommation, freiner les achats compulsifs ou encore protéger les acteurs locaux face à des mastodontes étrangers. Mais, ici encore, l’enfer est pavé de bonnes intentions : une telle taxe risque avant tout de grever davantage le budget des ménages, déjà contraint par l’inflation, tout en étouffant dans l’œuf toute tentative d’aggiornamento de ces enseignes... L’article Taxer les vêtements à petits prix, une triple hérésie est apparu en premier sur Causeur.

Avr 16, 2025 - 17:40
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Taxer les vêtements à petits prix, une triple hérésie

La France est le premier pays au monde à vouloir instaurer une taxe spécifique sur la « fast fashion » – au prix de certaines approximations sur ce que recouvre cette notion. À première vue, les objectifs affichés sont louables : limiter la pollution associée à l’industrie textile, responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, inciter à de nouveaux modèles de consommation, freiner les achats compulsifs ou encore protéger les acteurs locaux face à des mastodontes étrangers…


Mais, ici encore, l’enfer est pavé de bonnes intentions : une telle taxe risque avant tout de grever davantage le budget des ménages, déjà contraint par l’inflation, tout en étouffant dans l’œuf toute tentative d’aggiornamento de ces enseignes.

Taxation punitive, le retour

Ces dernières années, les classes moyennes et populaires européennes ont été confrontées à une forte inflation, touchant notamment les besoins primaires des ménages (alimentation, habitation, énergie), et affectant les salaires qui stagnent et sont inadaptés aux coûts de la vie. Conséquences directes : une érosion du pouvoir d’achat et des difficultés à maintenir un niveau de vie correct. Ce contexte a fait émerger de nouvelles plateformes de vêtements en ligne à bas prix comme Shein ou Temu, qui se sont imposées comme une véritable alternative économique, alors que les ménages ont dû réorienter leurs choix de consommation.

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Le succès de ces plateformes ne doit rien au hasard. Elles offrent une large gamme de produits à des prix défiant toute concurrence, alors même que le pouvoir d’achat est, de loin, la première préoccupation des Français, selon une enquête annuelle Ipsos-Sopra. Français qui, selon un récent sondage Ifop, sont en priorité soucieux du prix des vêtements qu’ils achètent, avant les considérations environnementales, et sont 60 % à ne pas consacrer plus de 200 euros par an à l’achat de vêtements neufs, selon une autre enquête Ipsos. Soit à peine le prix d’un pull et de deux pantalons chez Zara, H&M ou Celio.

Alors que les habitudes de consommation des Français évoluent aujourd’hui vers une consommation pragmatique « par nécessité », comment interpréter le souhait du législateur de taxer massivement ces enseignes ? La loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en mars 2024 et qui devrait être examinée au Sénat d’ici fin mai, dans une version toilettée, cible en particulier, de l’aveu de la rapporteur LR Sylvie Valente-Le Hir, « les deux géants chinois de vente en ligne, Shein et Temu, qui sont ma priorité, je l’assume ». Elle propose notamment la mise en place d’un malus pouvant aller jusqu’à 10 euros sur les articles de ces marques.

Des marques qui, disons-le franchement, ne sont pas plébiscitées par les ménages CSP+ et branchés des grandes villes, mais bien davantage par la « France périphérique », pour reprendre l’expression du géographe français Christophe Guilluy : celle dont les fins de mois sont difficiles, celle qui avait investi les ronds-points il y a quelques années vêtue de gilets jaunes, alors qu’on prévoyait déjà, depuis Paris, de faire reposer la justice climatique sur ses épaules en instaurant une nouvelle taxe carbone. François Bayrou lui-même estime que cette loi n’apporterait pas de gain politique « car elle intéresserait seulement les bobos parisiens » – sans pour autant les concerner.

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Une telle taxe, punitive, jouerait sur les prix finaux des articles ciblés et pénaliserait directement le consommateur, qui n’a souvent pas d’autres alternatives pour se vêtir. D’autant moins que, si les produits locaux et de proximité lui sont inaccessibles, il lui est de plus en plus difficile de se retourner vers le moyen de gamme, de nombreuses marques ayant mis la clé sous la porte ces dernières années. Bref, on ne s’y prendrait pas autrement si l’on souhaitait que les Français les plus jeunes et précaires ne puissent plus s’habiller, et doivent se contenter de deux tenues différentes dans leur garde-robe – au risque de multiplier les lessives, et donc de polluer davantage.

Écolo mais pas trop

Et c’est là toute la question : désastreuse sur le plan économique pour des pans entiers de population déjà paupérisés, une telle loi tiendrait-elle au moins ses promesses sur le plan environnemental ? Rien n’est moins sûr.

Passons sur les arguments des enseignes concernées, qui se défendent de participer à la « fast fashion » – Shein promeut par exemple son modèle « à la demande », qui lui permettrait d’éviter les invendus, responsables de 30 % de la pollution générée par l’industrie textile. D’un point de vue plus macro, nombreux sont les experts en développement, comme le journaliste scientifique et auteur Michael Shellenberger, à montrer que l’industrie textile à bas coût a contribué (et contribue encore) à sortir des centaines de millions de personnes de la grande pauvreté, avec un impact sur la hausse de l’espérance de vie mondiale important, et un impact sur l’environnement positif à moyen et long termes. Car si les populations pauvres ne peuvent investir dans la protection de leur environnement, les classes moyennes, elles, ont les leviers pour le faire.

Fiasco industriel

Notons pour finir qu’une telle mesure, unilatérale, risque de créer des distorsions sur le marché intérieur de l’UE, d’inciter les consommateurs à faire des achats en ligne transfrontaliers et d’affaiblir paradoxalement le secteur national de la vente au détail, déjà en difficulté.

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Penser que taxer la « fast fashion » relancera l’industrie textile européenne est une illusion. La production locale est encore trop chère, peu flexible et ne dispose pas des outils nécessaires pour être compétitive. Sans politiques industrielles volontaire, de formation et d’innovation, le vide laissé par les enseignes de vêtements abordables ne pourra pas être comblé.

Le Green Deal européen a généré des investissements massifs dans la recherche, l’énergie, la mobilité durable et les nouvelles technologies, mais la question clé est là aussi celle du rythme de la transition et des effets collatéraux sur l’industrie et l’économie européenne. Les secteurs traditionnels tels que l’automobile, la sidérurgie, la chimie et l’agriculture sont soumis à une pression énorme pour s’adapter rapidement à des réglementations plus strictes. Dans certains cas, cela a augmenté les coûts et encouragé les délocalisations vers des pays où les réglementations environnementales sont moins strictes. De la même manière, au lieu de taxer aveuglément les acteurs de la mode dont le modèle dérange et inquiète, avec tous les effets pervers que l’on vient de voir, n’est-il pas préférable de les accompagner dans leur transition vers un modèle plus vertueux, déjà engagée par certains ?

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