Résistance bactérienne aux antibiotiques : mieux la comprendre et mieux la contrer

En comprenant comment les bactéries résistent aux antibiotiques, on pourrait inventer de nouvelles méthodes pour améliorer les traitements des infections.

Avr 16, 2025 - 11:51
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Résistance bactérienne aux antibiotiques : mieux la comprendre et mieux la contrer
Une des stratégies pour résister aux antibiotiques, c’est celle des « pompes à efflux », véritables videurs qui repèrent les inopportuns et les raccompagnent vers la sortie. Florent Barbault, Fourni par l'auteur

Les antibiotiques sauvent de nombreuses vies mais les bactéries qu’ils combattent deviennent résistantes. Cette antibiorésistance provoque de nombreux décès prématurés, et le problème devrait s’aggraver dans les prochaines années et décennies.

Pour mieux le contrer, biochimistes et pharmaciens décryptent les mécanismes qui mènent à l’antibiorésistance. Comment les bactéries repoussent-elles les antibiotiques, évitent leurs effets, ou les détruisent ? Cette compréhension doit permettre de mettre au point des thérapies combinant antibiotiques et autres médicaments qui limiteraient la capacité des bactéries à contrer l’effet des antibiotiques.


Les bactéries sont des organismes constitués d’une unique cellule largement présents dans des habitats variés et parfois extrêmes. Elles sont présentes, sous le nom de microbiotes, sur notre corps ou à l’intérieur, et favorisent des phénomènes essentiels tels que la digestion. Mais les bactéries sont aussi des agents pathogènes à l’origine d’épidémies majeures comme la peste provoquée par la bactérie Yersinia pestis, et le choléra dû à l’espèce Vibrio choleræ.

De ce fait, la découverte des antibiotiques — des molécules qui tuent les bactéries ou bloquent leur croissance — a marqué un tournant décisif dans l’histoire de la médecine, à commencer par la découverte de la pénicilline en 1929. En effet, l’utilisation de ces molécules a permis d’éradiquer de nombreuses maladies infectieuses et d’améliorer grandement l’espérance de vie ainsi que les conditions de santé dans nos sociétés modernes.

Cependant, les antibiotiques, longtemps considérés comme des remèdes miracles et souvent utilisés abusivement en clinique et dans le secteur agroalimentaire, voient aujourd’hui leur efficacité compromise par le développement de souches bactériennes qui leur sont résistantes.

En effet, l’utilisation d’antibiotiques induit une « pression évolutive » sur les bactéries : les bactéries présentant des mutations génétiques leur permettant de résister aux antibiotiques survivent et se reproduisent davantage que les bactéries non résistantes.

affiche de sensibilisation sur l’antiorésistance
Affiche de sensibilisation aux problèmes de résistance aux antibiotiques. Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) et Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF)

À terme, cela favorise les populations bactériennes résistantes aux antibiotiques. L’émergence de souches présentant une résistance multiple aux antibiotiques, c’est-à-dire qui sont résistantes à plusieurs types d’antibiotiques à la fois, par exemple à la pénicilline et à l’amoxicilline, est un problème majeur selon l’Organisation mondiale de la santé. Ainsi certaines estimations considèrent que la résistance aux antibiotiques pourrait causer près de 40 millions de décès d’ici 2050.

On ne peut guère s’attendre à de nouveaux antibiotiques, le dernier ayant été introduit sur le marché il y a environ quanrante ans (la ciprofloxacine, en 1987).

En revanche, aujourd’hui, pour mettre au point de nouvelles stratégies thérapeutiques, il est essentiel d’élucider les processus cellulaires et moléculaires qui permettent aux bactéries de développer leur résistance aux antibiotiques.


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Certaines stratégies de résistance sont liées au comportement collectif des bactéries

Différentes stratégies de résistance aux antibiotiques existent — elles font intervenir différents niveaux de régulation.

Parmi ces mécanismes, on trouve la « dormance », un état dans lequel l’ensemble des bactéries réduisent leur activité cellulaire pour survivre à des conditions défavorables, comme la présence d’antibiotiques. Une fois l’administration d’antibiotiques terminée, les conditions environnementales redeviennent favorables, permettant aux bactéries de reprendre leur activité normale et notamment leur croissance et multiplication. Ce mécanisme de résistance complique en particulier le traitement des infections chroniques, car des bactéries peuvent se réactiver après la suspension de la thérapie antibiotique, entraînant des rechutes.

Un autre mécanisme de résistance lié aux populations bactériennes est la formation de « biofilms ». En effet, si les bactéries semblent être des organismes simples, elles sont capables de former des colonies pour maximiser leurs chances de survie. Ainsi, en présence d’une surface qui agit comme support, par exemple un cathéter ou une prothèse, les bactéries s’attachent les unes aux autres pour former une communauté organisée : le film de bactéries crée une barrière physique qui réduit l’efficacité des antibiotiques, car ces derniers ne peuvent pas pénétrer à l’intérieur du film et donc dans les bactéries, rendant le traitement plus complexe.

Ce phénomène est particulièrement fréquent dans le cas des infections nosocomiales, qui concernent désormais environ 6 % des personnes séjournant à l’hôpital et qui représentent une menace grave pour les personnes dont le système immunitaire est affaibli. Pour contrer la formation de biofilms, des thérapies combinées, des doses élevées, voire le retrait des dispositifs infectés, sont nécessaires.


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D’autres mécanismes de résistance aux antibiotiques se mettent en place au niveau de bactéries isolées

Au niveau d’une bactérie isolée, les mécanismes de mise en place de l’antibiorésistance ont lieu quand des mutations génétiques apparaissant par hasard au cours de la vie d’une bactérie lui permettent de résister à l’action d’un antibiotique. La bactérie résistante peut transmettre la mutation à sa descendance ; et ce phénomène est amplifié dans les biofilms bactériens, car ceux-ci favorisent l’échange de matériel génétique entre les cellules.

Des mutations génétiques ponctuelles peuvent par exemple altérer la structure et le fonctionnement des protéines ciblées par les antibiotiques, rendant ces derniers inefficaces. À l’inverse, la bactérie peut utiliser la stratégie dite d’« évitement métabolique » en utilisant d’autres protéines, ou des voies métaboliques alternatives, pour contourner l’effet d’un antibiotique. On peut comparer cela à une autoroute bloquée (c’est l’antibiotique qui tente d’empêcher la bactérie de vivre sa vie), où l’évitement métabolique reviendrait à emprunter une déviation pour atteindre sa destination malgré le blocage.

Par ailleurs, certaines bactéries, suite à une mutation génétique, produisent des protéines spécifiques capables de dégrader ou d’inactiver les antibiotiques, les rendant donc inefficaces. C’est le cas par exemple des bêta-lactamases, qui détruisent les antibiotiques de la famille des pénicillines.

Quand la membrane de la bactérie empêche les antibiotiques d’y pénétrer

Les autres mécanismes de résistance aux antibiotiques se situent au niveau de la membrane qui entoure la cellule bactérienne. Cette membrane, constituée d’une double couche de lipides imperméables, protège la cellule.

Les membranes des bactéries sont parsemées de nombreuses protéines qui exercent des rôles différents : elles peuvent favoriser l’adhésion des bactéries aux surfaces ou aux autres cellules, elles peuvent permettre de décoder des signaux, et pour finir elles peuvent favoriser les passages des différentes molécules, par exemple des nutriments.

La résistance aux antibiotiques au niveau de la membrane est donc particulièrement efficace car elle permet de contrer la thérapie antibiotique dès son point d’entrée.

Ainsi, certaines bactéries limitent l’entrée des antibiotiques en réduisant la production des porines, c’est-à-dire des protéines qui forment des canaux traversant la membrane cellulaire et, donc, permettant le passage des molécules externes, dont les antibiotiques.

Un autre mécanisme fascinant de résistance bactérienne consiste en l’utilisation de protéines complexes appelées « pompes à efflux ». Ces structures sont constituées de plusieurs protéines et se situent dans les membranes bactériennes. Elles expulsent activement les antibiotiques qui auraient pénétré la cellule, empêchant ainsi leur accumulation.

Les pompes à efflux, les « videurs » qui se débarrassent des antibiotiques importuns

Les pompes à efflux sont une machinerie complexe oscillant entre une structure ouverte et une structure fermée, pour éviter d’introduire des canaux de communication permanents entre la bactérie et l’extérieur. Elles doivent également être sélectives, pour éviter l’éjection de composés nécessaires à la survie de la bactérie.

mécanismes effectant l’entrée des antibiotiques dans la cellule
Représentation schématique des mécanismes de résistance bactérienne actifs au niveau des membranes et du périplasme des bactéries Gram négatives. On voit la réduction de la production des porines qui permettent l’entrée des antibiotiques, l’action des enzymes qui dégradent les antibiotiques, et les pompes à efflux qui permettent l’expulsion des antibiotiques. Antonio Monari, CC BY

Dans le cas de bactéries dites « Gram négatives », qui possèdent deux membranes séparées par un sas appelé « périplasme », les pompes à efflux doivent traverser les deux membranes et le périplasme pour permettre l’éjection complète des antibiotiques.

Déterminer la structure des pompes à efflux et comprendre leurs mécanismes de fonctionnement est fondamental pour permettre de développer des médicaments capables de les bloquer, et ainsi de restaurer une sensibilité aux antibiotiques dans les souches bactériennes résistantes.

Étudier les pompes à efflux à l’échelle moléculaire

Des techniques de biophysique et de chimie physique, notamment la cryomicroscopie électronique et la modélisation moléculaire, permettent d’accomplir cette tâche et d’accéder à la structure des pompes à efflux avec une résolution à l’échelle des atomes.

simulation moléculaire d’une pompe à efflux
Structure de la pompe à efflux répondant au joli nom de MexAB-OprM, constituée de trois protéines, insérée dans les membranes bactériennes et traversant le périplasme. Cette pompe permet de capturer et expulser les antibiotiques vers l’extérieur de la cellule. Florent Barbault, Fourni par l'auteur

Plusieurs structures de pompes à efflux issues de différentes bactéries Gram négatives ont pu être résolues grâce à cette technique, telles que le complexe AcrAB-TolC d’Escherichia coli, ou MexAB-OprM de Pseudomonas aeruginosa, deux bactéries classées comme préoccupantes par l’Organisation mondiale de la santé.

Nous avons étudié davantage la pompe à efflux MexAB-OprM, afin de mettre en évidence le mécanisme d’expulsion sélective des antibiotiques.

Cette pompe est formée de trois protéines : l’une, composée de trois unités, joue le rôle de moteur de la pompe, la seconde de conduit étanche, tandis que la troisième fait un trou dans la membrane externe pour l’éjection finale des molécules à expulser, selon un mécanisme sophistiqué.

La première unité du moteur présente une cavité dans laquelle l’antibiotique peut entrer. Dans la seconde unité, cette cavité commence à se refermer pour pousser l’antibiotique vers l’intérieur de la pompe, dans une deuxième cavité. Enfin, les deux cavités se referment et un canal s’ouvre au niveau de la troisième unité, permettant l’acheminement dans le tunnel formé par les deux autres protéines, vers l’extérieur de la cellule. Cette pompe n’est donc pas qu’un simple « gros tuyau » : elle réalise un transport actif de l’antibiotique et est capable d’effectuer une sélection des molécules à expulser.

Grâce à ce type d’études, notre but est de comprendre finement les mécanismes de fonctionnement de cette pompe à efflux et de proposer des molécules qui seraient capables d’interagir avec les protéines pour bloquer son action. Par exemple, nous étudions la possibilité de développer des molécules qui pourraient interagir avec les cavités plus favorablement que les antibiotiques, pour bloquer au moins une des trois unités, et donc immobiliser la pompe. Une autre possibilité serait d’empêcher la formation du canal étanche liant les deux protéines insérées dans les membranes en enjambant le périplasme. Ces avancés pourraient permettre de développer une thérapie combinée qui pourrait rendre les bactéries Gram négatives à nouveau sensibles aux antibiotiques et donc contrer efficacement les infections nosocomiales.

Nous croyons que la lutte contre la résistance bactérienne, qui sera un enjeu fondamental de santé publique dans les années à venir, passe par l’utilisation intelligente des méthodes de chimie physique et de biologie structurale pour permettre de comprendre des mécanismes biologiques complexes, tels que la résistance aux antibiotiques ou l’échappement immunitaire, et d’y répondre efficacement.

Entre-temps, il est aussi primordial de favoriser une utilisation propre et contrôlée des antibiotiques, notamment en évitant leur surutilisation ou l’automédication, pour limiter l’émergence de souches résistantes qui pourraient être à l’origine d’épisodes épidémiques difficiles à contrer.The Conversation

Antonio Monari a reçu des financements d'organisation publiques ANR, MESR etc..

Florent Barbault a reçu des financements de diverses organisations publiques (ANR, idex...)

Isabelle Broutin est membre de la société Française de Microbiologie (SFM), de la Société Française de Biophysique (SFB), et de la Société Française de Biochimie et biologie Moléculaires (SFBBM). Elle a reçu des financements de diverses organisations publiques (ANR, Idex-UPC, Vaincre la mucoviscidose...).