Reductio ad Trumpum
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Nous connaissions fort bien la fameuse « reductio ad Hitlerum » inventée et popularisée par le philosophe Léo Strauss au début des années cinquante et qui, depuis, a fait florès.
Par cette locution ironiquement latine, détournée du non moins fameux « reductio ad absurdum », Strauss entendait démontrer que lorsqu’un interlocuteur manquait d’arguments pour anéantir une théorie adverse il en arrivait plus ou moins systématiquement à l’entacher d’une proximité quelconque avec Hitler ou le nazisme.
Ainsi, si vous confessiez être un admirateur de la musique de Wagner et que votre contradicteur ne trouvât aucun argument pour contester, sur le plan artistique, ce penchant, il lui suffisait de mentionner que Wagner était le compositeur préféré d’Hitler pour déconsidérer à la fois ce choix et vous-même qui osiez le revendiquer.
En une sorte de prolongement de cette « reductio ad Hitlerum », nous avons aussi la gratifiante théorie du point Godwin, théorie selon laquelle toute « disputatio » se prolongeant finira inévitablement par aborder ou au moins évoquer Hitler et le nazisme.
Or, nous assistons, mutatis mutandis (ces heures et ces jours de conclave romain m’auront probablement exagérément latinisé. Veuillez m’en excuser), mutatis mutandis, disais-je, nous assistons à une résurgence de ces deux notions, mises au goût du jour, bien entendu.
De ce fait, ce n’est plus la « réductio ad Hitlerum » qui sévit aujourd’hui dans nos médias et les propos des politiciens de convention, mais la « reductio ad Trumpum ».
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Ainsi pour ce qui est de l’élection du nouveau pape, Léon XIV, américain comme on sait. Ces jours-ci, le critère dominant qui permettrait de déterminer s’il sera un bon pape ou non semble bien être le degré d’acrimonie qu’il pourrait avoir exprimé, ou dont on pourrait le créditer, à l’encontre de président américain. Plus on sera en mesure de lui attribuer des formules critiques ou hostiles, et plus il grandira dans la faveur des observateurs dûment patentés. C’est un fait, Trump est devenu le mètre étalon en la matière.
De même, peut-il se flatter d’obtenir un très bon score en matière de point Godwin. Il n’est guère de débat, de controverse, d’analyse qui, a un moment ou à un autre, n’en vienne à introduire ce nom et ce personnage dans le propos. C’est un incontournable, le passage obligé. À tel point que le zapper, ne pas le citer – ce qui doit être fait exclusivement en mauvaise part, bien sûr – pourrait être considéré comme une sorte de complaisance, voire de complicité.
Giorgia Meloni, chef du gouvernement italien, a droit, elle aussi, à tout autant d’honneurs décernés par presse et les médias propres sur eux. Il faut dire qu’elle leur donne de l’urticaire. Elle, qui devait échouer dans les deux mois suivant son accession au pouvoir, réussit plutôt bien après plus de deux ans et demi d’exercice. (Même les médias les moins Meloni-compatibles se voient contraints d’en convenir. De très mauvaise grâce, sans aucun doute…)
Donc, La Meloni – je ne me lasse pas de la traiter en diva – jouit elle aussi de ces marques d’infamie. Je lisais voilà quelques jours dans le Figaro le commentaire d’une de ses concitoyennes d’opposition qui tout tranquillement donnait dans la forme de reductio ad Melonium (?) la plus caricaturale. La Première ministre ayant eu la malencontreuse idée de déclarer qu’il était opportun et urgent de promouvoir la pratique sportive chez les jeunes – initiative tout à fait pertinente, chacun en conviendra – son adversaire ne trouvant pas d’argument sérieux de contestation s’empressa de mentionner que la promotion du sport était déjà un des dadas de Mussolini. Donc, selon ce bel esprit, ce faisant, Mme Meloni ne faisait que manifester sans vergogne son adhésion pleine et entière au fascisme. Là, on se dit que la bêtise n’a pas de frontière. Ce qui, à dire vrai, n’est réjouissant ni pour l’esprit ni pour le cœur.
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