Plus de partenaires, nouvelles identifications de genre… la sexualité des jeunes adultes décryptée

En matière sexuelle, quelles évolutions sont à l’œuvre ? Une enquête d’ampleur auprès des moins de 30 ans montre la grande diversité relationnelle expérimentée et une redéfinition des normes de genre.

Mar 27, 2025 - 18:16
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Plus de partenaires, nouvelles identifications de genre… la sexualité des jeunes adultes décryptée
Une enquête d’une ampleur inédite, menée par l’Ined, auprès de plus de 10 000 personnes de 18 à 29 ans, apporte un éclairage nouveau sur la sexualité des jeunes adultes.

En matière sexuelle, quelles évolutions récentes sont à l’œuvre au sein des jeunes générations ? La sociologue Marie Bergström a coordonné La sexualité qui vient, un ouvrage collectif qui relève la grande diversité relationnelle expérimentée par les jeunes adultes ainsi qu’une redéfinition des normes de genre. Elle décrypte pour nous quelques chiffres frappants tirés de cette enquête, à l’ampleur et à l’approche inédites.


Comment comprendre les évolutions récentes en matières sexuelles ? Quel impact de #MeToo et de la dénonciation des violences sexistes et sexuelles, des débats sur le consentement ? Comment se traduisent les questionnements autour du genre ?

Une enquête de l’Institut national d’études démographiques (Ined), d’une ampleur inédite, menée auprès de plus de 10 000 jeunes adultes âgés de 18 à 29 ans, apporte un éclairage nouveau sur ces questions.

Avec une équipe de 23 chercheuses et chercheurs, la sociologue Marie Bergström a exploité les données de cette étude pour en tirer un ouvrage collectif, La sexualité qui vient, publié aux éditions La Découverte. Objectif : s’éloigner des questions standardisées pour capter la grande diversité des relations expérimentées par cette génération.

L’approche, relationnelle et non centrée sur les pratiques, permet de mieux cerner la pluralité des liens noués et des nouvelles identifications à l’œuvre. Ainsi, l’hétérosexualité perd du terrain tandis que le couple traditionnel, sans être détrôné, coexiste désormais avec les « sexfriends » et « histoires d’un soir ».

Marie Bergström analyse pour nous quelques données marquantes issues de cette vaste étude.

En 2023, la moitié de 18-29 ans a connu son premier rapport sexuel à 17,7 ans

Marie Bergström : Ce chiffre confirme que l’âge d’entrée dans la sexualité vient d’être légèrement reporté au sein des générations récentes. Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité française, on observe cela par exemple aux Pays-Bas.


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C’est un renversement de tendance sur le temps long, car depuis les années 1940 et jusqu’à la génération née en 1996, au sein de laquelle l’âge médian du premier rapport sexuel a atteint 17,4 ans, la tendance était à la baisse continue de l’âge du premier rapport sexuel et à un rapprochement progresssif entre les sexes.

Pour la génération qui a eu 18 ans entre 1964 et 1968, l’âge médian était de 19,4 pour les femmes et 18,3 pour les hommes. Pour celle qui a eu 18 ans entre 2011 et 2014, l’âge médian était descendu à 17,5 pour les femmes et 17,3 pour les hommes, comme le montrent Michel Bozon, Titouan Fantoni-Decayeux et Arnaud Régnier-Loilier dans le livre. Il passe ensuite à 18,3 pour les femmes et 17,9 pour les hommes qui ont eu 18 ans en 2020-2022, soit pendant la crise sanitaire. On constate donc un effet conjoncturel très net du Covid, en raison des confinements et des limitations du mouvement.

Or l’âge avait commencé à augmenter avant et la tendance à la hausse ne s’explique donc pas uniquement par la crise sanitaire. Les facteurs sont sans doute multiples. D’abord, la sociabilité a changé et cela peut être une des explications. Le fait que la santé mentale des jeunes se soit détériorée peut en être un autre : les sociologues Tania Lejbowicz et Isabelle Parizot relèvent dans l’ouvrage qu’un quart des jeunes présentent des signes de détresse psychologique. Cela peut éloigner des rencontres amoureuses et sexuelles. On en a beaucoup parlé pendant le Covid, mais en fait, cette situation préexistait et elle s’est aggravée avec cet épisode.

Enfin, le contexte politique et social du moment #MeToo transforme les rapports de genre. Comme l’explique Michel Bozon, le moment #MeToo a commencé avant 2017 et l’affaire Weinstein. C’est une évolution de fond, entraînant un questionnement sur la sexualité et l’intimité qui peut jouer sur le recul observé de l’âge du premier rapport. On observe une réflexivité croissante, notamment sur le consentement, liée à l’augmentation des ressources numériques sur ces questions. Cela a pu jouer sur la manière dont les jeunes, et surtout les jeunes femmes, envisagent et entament leur entrée dans la sexualité. Dans quelle mesure cette tendance à la hausse est-elle temporaire ou durable ? Impossible de le dire aujourd’hui.

En 2023, 35 % des 25-29 ans ont eu dix partenaires ou plus

M. B. : C’est une évolution majeure. Le nombre de partenaires sexuels au cours de la vie a certes augmenté depuis le milieu du XXe siècle, mais sur la période récente, on observe une nette accélération : la génération qui avait 18-29 ans en 2023 a significativement plus de partenaires avant 30 ans que la précédente.

Dans la dernière enquête « Contexte de la sexualité en France » (Inserm, Ined), réalisée en 2006, dans cette tranche d’âge, les femmes en déclaraient en moyenne quatre au cours de la vie. Aujourd’hui, c’est huit – le double ! Les hommes en déclaraient huit, désormais ils en mentionnent douze.

L’augmentation du nombre de partenaires signe aussi une profonde diversification relationnelle. Les 18-29 ans ont vraiment inventé une multitude de nouveaux termes pour nommer ces différentes relations, il y a toute une gamme de nuances entre le « couple » et le « plan cul », c’est aussi cela aussi que montre notre enquête.

La multiplication des rencontres est favorisée par l’usage important des applications de rencontre – 56 % des 18-29 ans s’y sont déjà connectés –, qui facilitent l’accès aux partenaires. Mais les applications ne font pas tout, les jeunes vivent aussi plein d’histoires d’un soir qui démarrent hors ligne : si 21 % des hommes ont rencontré leur partenaire d’un soir sur une appli, 30 % l’ont fait dans un lieu public comme un bar ou une boîte, et 11 % dans le cadre de leurs études (des chiffres sensiblement identiques pour les femmes).

21 % des jeunes ont eu une histoire d’un soir dans l’année, 15 % une relation sexuelle suivie

M. B. : Dans l’enquête, on s’intéresse à trois types de relations différents : le couple, qui est la forme relationnelle dominante ; à l’autre bout du spectre, « l’histoire d’un soir » ; et entre ces deux pôles, on observe un continuum relationnel que l’on a appelées des « relations suivies ».

Entre le couple et la sexualité sans lendemain, il y a aujourd’hui une multitudes d’autres relations qui peuvent durer un certain temps mais qui, pour les jeunes, ne font pas « couple ».

Lorsqu’on leur demande de les qualifier, ils utilisent énormément de termes différents – plus de 300 ont été recensés au cours de notre enquête, certains très spécifiques, d’autres assez récurrents. « Sexfriend » est le plus souvent utilisé, on relève aussi « plan cul régulier » ainsi qu’« amitié avec un plus » qui est la traduction française de « Friends with benefits ».

« Sexfriend » s’applique plutôt à un partenaire sexuel (parfois rencontré en ligne) avec qui on développe une relation sexuelle amicale, et « amitié avec un plus » s’applique davantage à quelqu’un que l’on a rencontré par l’intermédiaire d’amis et avec qui se noue une relation sexuelle. On a aussi pu recenser d’autres termes plus minoritaires comme « aventure » et « flirt », qui existent depuis longtemps.

Ce qui nous a frappés, ce sont notamment ces relations qui brouillent la frontière entre amitié et sexualité. Des relations amicales où il y a eu de la sexualité, cela a bien sûr pu exister par le passé, mais ce qui est nouveau, c’est le fait de les nommer. Mettre des mots, c’est vouloir faire exister, donner une forme de reconnaissance, de légitimité.

66 % des jeunes ont été en couple dans l’année écoulée

M. B. : La norme conjugale demeure très forte et dans le même temps, d’autres formes relationnelles se sont multipliées. Ce n’est pas du tout contradictoire, parce qu’aujourd’hui les parcours sont vraiment marqués par des phases d’alternance entre couple et célibat, celui-ci étant vécu comme un temps d’expérimentations. Ces expérimentations sont attendues pendant la vingtaine, il y a cette idée que lorsqu’on est jeune, et qu’on est célibataire, il faut en « profiter ».

Aujourd’hui, 27 % des 18-29 ans vivent en couple cohabitant – c’est une tendance à la baisse. Nos chiffres confirment les observations de l’Insee : en 1990, 46 % des jeunes de 20 à 29 ans vivaient en couple cohabitant, ils n’étaient plus que 35 % en 2021. Mais il faut noter qu’il y a un report : la cohabitation n’est pas rejetée, à l’approche de la trentaine une majorité de jeunes s’installent en couple sous un même toit. C’est aussi à ce moment-là que l’on va voir émerger la parentalité. À 29 ans, 46 % des femmes sont mères et 30 % des hommes sont pères. Le couple comme institution et comme idéal est toujours très présent.

70 % des jeunes en couple discutent d’exclusivité sexuelle

M. B. : C’est le sujet de thèse de Malena Lapine, jeune chercheuse à l’Ined (Institut national d’études démographiques). Elle montre que l’exclusivité dans le couple ne va plus de soi : on se pose la question à un moment ou à un autre de la relation, le plus souvent lorsque celle-ci débute.

Une très large majorité des jeunes choisit cependant l’exclusivité : ainsi, 88 % des personnes en couple qui en ont parlé avec leur partenaire ont décidé que leur relation resterait exclusive, et seulement 4 % des personnes en couple ayant abordé ce sujet ont opté pour une configuration non exclusive. Pour 8 %, c’est plus compliqué : rien n’a été décidé ou bien il n’y a pas d’accord entre les partenaires.

Nous montrons aussi dans notre enquête que les relations non monogames, comme le polyamour, sont certes très médiatisées mais demeurent très minoritaires.

Le « couple libre » est aujourd’hui dans le champ de vision de tout le monde – notamment par le biais des réseaux sociaux – et 20 % des jeunes se disent par ailleurs capables de vivre une telle relation, mais le passage à la pratique demeure rare et socialement situé.

Entre 2006 et 2023, la part des sexualités minoritaires (non hétérosexuelles) a été multipliée par cinq chez les 18-29 ans, passant de moins de 3 % à 15 %

M. B. : C’est un bond spectaculaire, et plus spectaculaire encore chez les femmes : 19 % des jeunes femmes (c’est-à-dire une sur cinq) s’identifient autrement qu’hétérosexuelles, contre 8 % des hommes.

Ce qu’on observe chez les femmes, c’est une augmentation très forte de ce que mes collègues Tania Leibowicz et Wilfried Rault appellent des plurisexualités, parce que c’est la bisexualité (être attiré par les deux sexes) et la pansexualité (ne pas définir son désir par le prisme du genre) qui augmentent beaucoup. Cela correspond à une forme d’ouverture plus importante et potentiellement à une critique de la binarité de genre.

Aujourd’hui les jeunes femmes se déclarant pansexuelles ou bisexuelles sont beaucoup plus nombreuses que celles se déclarant lesbiennes (en 2023, 10 % des jeunes femmes se disent bisexuelles, 5 % pansexuelles, 2 % lesbiennes). Il faut sans doute y lire, dans un contexte post-MeToo, une critique et une forme de désaffiliation de l’hétérosexualité. C’est aussi très lié à la diffusion du féminisme. En France, ces dernières années, on a beaucoup discuté de plaisir, de désir, de consentement, d’hétérosexualité, et c’est un contexte qui est très important, je pense, pour comprendre les évolutions.

Pour les hommes, l’augmentation des sexualités minoritaires est réelle mais bien moindre : 8 % d’entre eux se définissent autrement qu’hétérosexuels, dont 3 % comme gays.

Une piste pour comprendre cela : même si l’acceptation de l’homosexualité masculine augmente, la figure du « pédé » continue d’agir comme un repoussoir au sein de la jeunesse, comme le montrent les travaux de la sociologue Isabelle Clair concernant les adolescents. Les regards portés sur la sexualité des femmes et sur celle des hommes ne sont pas symétriques. L’équivalent féminin de « pédé », en termes d’insulte, ça n’est pas « gouine », c’est « pute ». Pour les hommes, c’est avant tout l’écart à l’hétérosexualité qui est stigmatisé ; pour les femmes, c’est l’écart à la norme féminine de réserve sexuelle. Les choses ont bougé, bien entendu, mais ces figures n’ont pas disparu : il y a aujourd’hui des tensions normatives entre, d’un côté, ces figures repoussoirs qui sont toujours présentes et, de l’autre, de nouvelles normes, plus ouvertes.

1,7 % des jeunes de 18 à 29 ans se déclarent non binaires

M. B. : Il est important de relever que c’est la première enquête d’envergure nationale qui permet de capter les personnes non binaires en France. Dans toutes les enquêtes statistiques réalisées jusqu’ici, on demandait « Est-ce que vous êtes homme ou femme ? » L’enquête Envie a donné la possibilité de se définir comme non binaire. On montre que cela concerne une petite minorité.

Mais on relève des interrogations plus larges autour du genre, comme le montrent les travaux de Mathieu Trachman sur le genre. Ainsi, 24 % des jeunes disent qu’ils ou elles se sont questionnées sur leur féminité et sur la masculinité. Ce chiffre est le même pour les hommes et les femmes. On ne dispose pas d’éléments de comparaison, car la question n’a pas été posée ainsi dans de précédentes enquêtes, mais on peut penser que le contexte #MeToo a favorisé ces questionnements-là.

43 % des femmes déclarent que quelqu’un les a forcées ou a essayé de les forcer à subir ou à faire subir des pratiques sexuelles au cours de leur vie

M. B. : C’est un chiffre en très nette augmentation : en 2006, elles étaient 23 % à déclarer de tels faits. La question que l’on se pose toujours face à de telles évolutions, c’est de savoir s’il s’agit d’une augmentation des déclarations ou du phénomène lui-même.

Dans notre ouvrage, les sociologues Florence Maillochon et Mathieu Trachman insistent sur deux éléments. Bien sûr, grâce au mouvement #MeToo notamment, les violences faites aux femmes sont de plus en plus dicibles. Elles évoquent donc plus facilement ce qu’elles ont subi. Ce qu’on appelle la violence évolue aussi : les générations actuelles considèrent comme intolérables des situations ou des gestes qui étaient perçus comme plutôt normaux par le passé. Le travail de thèse de Rébecca Lévy-Guillain le montre bien : les débats autour du consentement favorisent une relecture des expériences passées, ce que l’on considérait comme acceptable ne l’est plus.

Mais Florence Maillochon et Mathieu Trachman pointent aussi une plus grande exposition des jeunes femmes aux situations à risque, du fait qu’elles ont davantage de partenaires que par le passé et notamment de partenaires éphémères. Si la jeune génération déclare plus de violences que les générations plus âgées, c’est donc à la fois qu’elles qualifient plus aisément certaines de leurs expériences comme étant des rapports forcés ou des tentatives de rapports forcés, mais c’est sans doute aussi que, en ayant beaucoup plus de partenaires, elles sont davantage exposées aux violences sexuelles masculines.


Léonor Amilhat, Yaëlle Amsellem-Mainguy, Marie Bergström, Milan Bouchet-Valat, Michel Bozon, Géraldine Charrance, Paul Cochet, Titouan Fantoni-Decayeux, Constance Hemmer, Malena Lapine, Tania Lejbowicz, Florence Maillochon, Marion Maudet, Arno Muller, Pauline Mullner, Isabelle Parizot, Clark Pignedoli, Romain Philit, Delphine Rahib, Wilfried Rault, Arnaud Régnier-Loilier, Mathieu Trachman et Damien Trawale ont contribué à l’ouvrage La sexualité qui vient. Jeunesse et relations intimes après #MeToo, aux éditions La Découverte, « Sciences humaines », 2025.The Conversation

Marie Bergström ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.