Humbles ou narcissiques : quels entrepreneurs réussissent dans « Qui veut être mon associé ? »

Une analyse de 140 pitchs de l’émission de M6 a mesuré les niveaux d’humilité et de narcissisme des entrepreneurs. Résultat : l’humilité paie davantage.

Mar 12, 2025 - 12:47
 0
Humbles ou narcissiques : quels entrepreneurs réussissent dans « Qui veut être mon associé ? »
Trois _business angels_ de l’émission : Alice Lhabouz, Kelly Massol et Marc Simoncini. LÉACRESPI/PASCO&CO/M6

Une analyse des 140 pitchs des quatre premières saisons (2020-2024) de l’émission Qui veut être mon associé ? sur M6 a mesuré les niveaux d’humilité et de narcissisme des entrepreneurs. Résultat : l’humilité paie davantage.


Depuis quelques semaines, M6 diffuse chaque mercredi la cinquième saison de l’émission Qui veut être mon associé ?. Plus que jamais, à travers les pitchs passionnés des entrepreneurs et les commentaires enflammés des business angels, un débat d’actualité se dessine. Pour obtenir des financements – et plus largement pour réussir dans l’univers de la tech –, faut-il, à l’instar des emblématiques Elon Musk et Steve Jobs, afficher une confiance inébranlable voire un narcissisme arrogant ? Ou, au contraire, faut-il faire preuve d’humilité et d’ouverture, en se montrant réceptif aux suggestions et aux conseils des investisseurs pour transmettre la promesse d’une collaboration fructueuse ?


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Les business angels recrutés par M6, à l’instar de leurs pairs interrogés dans d’autres contextes, s’accordent à dire que la personnalité des entrepreneurs est déterminante dans leur décision de financement. Comme ils le disent souvent, dans le cas des projets entrepreneuriaux très récents, ils « parient sur le jockey (l’entrepreneur) plus que sur le cheval (le projet) ». Toutefois, lorsqu’il s’agit de préciser les traits de personnalité qu’ils valorisent tout particulièrement, les témoignages deviennent plus nuancés.

Humble et narcissique

Les investisseurs, dans Qui veut être mon associé ? et ailleurs, reprennent à leur compte les stéréotypes entrepreneuriaux véhiculés par les success stories de la Silicon Valley. Ils insistent sur le fait qu’une certaine « folie des grandeurs » – persévérance à toute épreuve et combativité farouche – est essentielle dans le parcours entrepreneurial.

Trois caractéristiques relevant du narcissisme non pathologique sont louées : une haute estime de soi, une foi inébranlable dans la réussite de son projet et une forte agressivité à l’égard des concurrents. Elles sont perçues comme des marqueurs de motivation et de détermination, deux qualités prisées par les investisseurs.

Dans cet esprit, les investisseurs poussent les entrepreneurs à une rhétorique plus affirmée et agressive. Comme l’a dit, Anthony Bourbon, business angel et fondateur de Feed, « (il faut nous dire) “J’ai la dalle, je vais tout exploser, et je serai numéro 1”. ».

Ces mêmes investisseurs, qui sont souvent eux-mêmes d’anciens entrepreneurs et jouent un rôle de mentor auprès des entreprises qu’ils financent, apprécient la manifestation d’une certaine humilité (c’est-à-dire une vision correcte de soi et de ses capacités ainsi qu’une appréciation affichée des forces et contributions des autres).

Ils recherchent donc des entrepreneurs capables d’écouter leurs conseils et de les mettre en œuvre. Cette ouverture d’esprit est vue comme un gage de collaboration harmonieuse et d’une aptitude à bien s’entourer pour bâtir une équipe performante. Ils insistent également sur la capacité des entrepreneurs humbles à bien réagir face aux critiques et à être plus calmes dans leurs prises de décision.

Les attentes des investisseurs de Qui veut être mon associé ? peuvent paraître paradoxales. Plus qu’une simple divergence de critères entre les différents business angels participant à l’émission, ces contradictions illustrent un paradoxe souvent observé parmi les investisseurs en capital : ils recherchent des entrepreneurs à la fois humbles et narcissiques.

Mais peut-on réellement conjuguer ces deux traits lors d’un pitch ? Et si ce n’est pas le cas, lequel est le plus efficace ?

Humilité et narcissisme, un duo gagnant ?

Pour explorer ces contradictions, nous avons analysé les 140 pitchs entrepreneuriaux des quatre premières saisons de l’émission, de 2020 à 2024. À l’aide d’échelles psychométriques reconnues, nous avons mesuré les niveaux d’humilité et de narcissisme des entrepreneurs. Puis, nous avons étudié leurs effets sur la probabilité d’obtenir un financement, le nombre d’offres reçues et la valorisation finale de la start-up.

Ce sont 59 % des entrepreneurs humbles qui ont obtenu plusieurs offres de financement, contre seulement 17 % des moins humbles. Fourni par l'auteur

Les résultats montrent que l’humilité et le narcissisme ne sont pas des traits de personnalité mutuellement exclusifs. Certains entrepreneurs peuvent manifester les deux traits de façon simultanée. Par exemple, parmi les entrepreneurs présentant un niveau d’humilité supérieur à la moyenne, 39 % affichaient également un narcissisme élevé, et 15 % figuraient même parmi les 25 % des individus les plus narcissiques de notre échantillon.

Les deux traits exercent simultanément un effet positif sur la probabilité de convaincre les business angels. Lorsqu’un entrepreneur est humble et/ou narcissique, il a une plus forte probabilité d’obtenir un financement, de convaincre plusieurs business angels, et d’éviter que la valorisation de son entreprise soit revue à la baisse.


À lire aussi : Elon Musk est-il le symptôme des dérives du mythe charismatique ?


Ces observations corroborent une théorie récente sur le « leadership paradoxal ». Selon cette théorie, qui s’inspire de la philosophie du yin-yang, des traits apparemment opposés peuvent coexister et s’harmoniser. Une personnalité complexe, combinant humilité et narcissisme, semblerait particulièrement adaptée au contexte entrepreneurial, et plus spécifiquement à l’exercice du pitch. Elle permettrait notamment de concilier capacités innovantes et qualité relationnelle, deux dimensions essentielles dans ce domaine.

À défaut des deux, mieux vaut l’humilité

Notre analyse montre également que, si les deux traits ont des effets positifs sur la réussite entrepreneuriale, l’humilité se révèle être un trait plus valorisé que le narcissisme.

Ce sont 59 % des entrepreneurs humbles qui ont obtenu plusieurs offres de financement, contre seulement 17 % des moins humbles. À l’inverse, le niveau de narcissisme n’a pas d’influence significative sur le nombre d’offres reçues.

Dans le même esprit, la proportion d’entrepreneurs qui ont obtenu un financement et qui ont maintenu une valorisation équivalente ou supérieure à celle initialement proposée est plus importante chez les entrepreneurs les plus humbles que chez les entrepreneurs les plus narcissiques (cf. graphique au-dessus). Ces résultats restent valables quels que soient les business angels présents sur le plateau et ce, même après avoir contrôlé des variables comme l’âge, le genre, le niveau d’éducation et l’expérience de l’entrepreneur ainsi que la qualité perçue du projet et sa dimension de responsabilité sociale et environnementale (RSE).


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, recevez gratuitement des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).


Alors que le mythe du « strong man » – ce leader, autoritaire et narcissique – semble connaître un regain de popularité, il n’est pas universellement synonyme de succès.

L’humilité, bien que moins spectaculaire, reste un atout essentiel. Être humble, ce n’est pas seulement écouter les conseils des investisseurs ou se montrer ouvert à la critique, c’est aussi savoir reconnaître ses limites et s’entourer des bonnes personnes. Dans le contexte de Qui veut être mon associé ?, cette qualité semble davantage convaincre les investisseurs. Si l’idéal d’une personnalité complexe (suffisamment humble pour apprendre et suffisamment narcissique pour innover et persévérer) n’est pas atteignable, les investisseurs privilégient l’humilité, signal d’une capacité à bâtir collectivement et sur le long terme.The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.